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15/12/2007

Hymne à la joie

"La moindre des cartes de voeux de Di Rosa, le plus courant de ses cartons d'invitation, toute son oeuvre éclatent de joie. L'hymne à la joie, l'hymne à la vie, courent nettement plus de risques que les lamentations des tragiques troupiers. Ça vieillit plus vite. Question de corps, de narcissisme abandonné, de rapport à la mort et à l'instant. Di Rosa a peint dans le monde entier, rencontré ses contemporains par la couleur, aimé tous les débordements ; on le dit à Paris ces temps-ci. Il a plein d'enfants..."

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« La paternité de la dénomination Figuration libre est attribuée à l'artiste niçois Ben Vautier. ROBERT Combas a apporté à l'aube des années 80 une nouvelle peinture figurative sur la scène artistique dès 1979 que Ben appela "LA FIGURATION LIBRE", mouvement regroupant : Rémi Blanchard, François Boisrond, Robert Combas et Hervé Di Rosa. Peinture faite de libertés elle parle de la société, de la violence, de la sexualité, de la souffrance des gens, de leurs petits bonheurs, de leur petitesse, de leur grandeur ... Robert Combas : "Comment vous expliquer la figuration libre moi qui l'ai inventée ? Je citerai un auteur qui n'est pas encore connu, un des rares écrivains "figuratif libre": Michel ZOOM. "La scène : 2 hommes se rencontrent, l'un des deux dit à l'autre : - j'ai attrapé la maladie de l'oeuf, l'autre lui répond tout étonné : - tiens donc, qu'est-ce donc ? le premier de lui rétorquer: -rien; j'ai envie d'être malade !." Voici un texte figuration libre, une influence de blagues, d'argot, de poésie pour Michel ZOOM. Pour moi une toile peut être influencée par des publicistes naïfs Africains, par l'illustration de livres d'école primaire, mélangée à PICASSO ou à MIRO ou alors, un dessin genre BD, plus des fausses écritures arabes, plus une peinture brute, très DUBUFFET ou COBRA. La figuration libre est une peinture qui ne renie pas ses instincts primitifs et une volonté de culture. Comme Jules Vernes, sans sortir de chez moi, je suis allé à Tombouctou."

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La leçon du Burkina

Le leçon du Burkina, extrait de Voyage aux pays du coton, Erik Orsenna

Pourquoi privatiser ?

Pourquoi détruire cette enclave de (relative) douceur dans cette Afrique de l’Ouest où la vie est si dure ?

La réponse appartient au marché mondial. Tant que les cours du coton demeuraient à des niveaux élevés, on pouvait se permettre de laisser agir à sa guise la CMDT. Chacun savait que ce kolkhoze géant, plus grosse entreprise cotonnière de la planète, ne méritait pas que des éloges sur sa gestion. Chacun devinait les trafics qu’elle couvrait, les corruptions qu’elle nourrissait. Quand une seule société publique recueille la moitié des recettes d’exportation d’un pays, les puissants de ce pays, quel qu’il soit, résistent difficilement à la tentation de puiser dans la caisse. Mais l’objectif premier étant atteint : l’indéniable développement rural, toutes les autorités, d’ailleurs complices, voire intéressées, fermaient les yeux.

La situation change lorsque s’effondre le prix du coton. Par crainte d’allumer la colère des campagnes, le gouvernement n’ose pas répercuter la baisse. Il continue d’acheter la récolte aux cours antérieurs. Les déficits de La CMDT se creusent, ils pèsent sur son propriétaire majoritaire, l’État malien. Un État déjà exsangue, donc contraint de faire appel au crédit international.

La banque mondiale pose ses conditions : je vous aide, mais vous privatisez.

 

 

François Traoré est d’abord paysan. Ses champs se trouvent sur la route de Bobo-Dioulasso, à l’extrême ouest du Burkina. Mais c’est également un syndicaliste. Il préside deux unions de producteurs de coton : celle de son pays et celle de l’Afrique toute entière. À ce titre, on l’a vu à Cancùn porter le fer contre les pays industrialisés. Personne mieux que lui ne connaît les forces et les fragilités de son continent.

Son diagnostique sur la situation malienne ne s’embarrasse pas de prudences diplomatiques.

— s’ils doivent privatiser aujourd’hui, c’est qu’ils ont manqué le coche hier. Il est bien beau de réclamer des délais. Mais n’oublions pas la réalité des affaires : si la situation continue de se dégrader, quelle société privée voudra s’engager ?

Sans trop de mal, le Burkina Faso semble traverser la crise et la chute des cours mondiaux. Quel est son secret ? L‘Histoire mérite d‘être contée, car elle montre l’existence (et la viabilité) d’une troisième voie entre la privatisation et le kolkhoze d’État.

Au début des années 1990, le vieux système ne satisfait plus personne. Depuis toujours, c‘est le village qui est caution solidaire des emprunts contractés pour payer engrais et insecticides. Or certains villageois utilisent ces crédits à d‘autres emplois plus …personnels. En outre, la production stagne, car le paiement du coton livré est des plus aléatoires.

Célestin Tiendrébeogo, directeur de la société nationale sofitex, ouvre le débat. Pour le nourrir, il invite quatre leaders paysans à visiter les pays voisins pour s‘inspirer des réussites et, si possible, éviter les erreurs. Les Maliens, forts de leur toute puissante CMDT, reçoivent non sans condescendance ces Burkinabés modestes et désemparés.

Le quatuor, animé par François Taoré, revient avec des idées claires et des propositions radicales. Acceptées par Tiendrébeogo.

Le principe de cette réorganisation est simple : les paysans doivent devenir de vrais partenaires. Pour cela, il faut dépasser les solidarités de village : une Union nationale des producteurs est créée. Mais ce syndicat doit être directement intéressé à la gestion du système. L‘État accepte de se désengager. Trente pour cent de la Sofitex sont cédés aux producteurs. Ceux-ci, pour financer cette acquisition, doivent renoncer à leurs primes. La pédagogie commence. On met en place les nouvelles règles du contrat. Pour chaque campagne, un prix plancher et garanti est fixé. Les bénéfices, s‘ils existent, seront répartis entre les producteurs et viendront compléter les premiers versements.

Les débuts ne sont pas sans débats, parfois violents. Pourquoi, s’indignent les paysans burkinabés, nos prix sont-ils plus bas que ceux offerts tout près, juste de l‘autre côté de la frontière, à nos collègues maliens ? Lesquels ricanent.

Cinq ans plus tard, la bonne humeur a changé de camp.

Fragilisée par les déficits croissants, la CMDT est poussée à la privatisation, avec les démantèlements qui vont de pair. Et les producteurs maliens campent sur des revendications de prix irréalistes, sans doute parce qu’ils ont été exclus des responsabilités : malgré les promesses, ils n’ont reçu aucune part du capital de la Compagnie. Tandis que la Sofitex, plutôt en bonne santé, nargue les « experts internationaux ». La cogestion décidée par les Burkinabés n’appartient pas à l’orthodoxie libérale prônée par la Banque mondiale. Mais quels arguments invoquer contre un système qui marche ?

François Traoré se demande :

— Le Mali saura-t-il, sans ruiner sa filière, rattraper le temps perdu ?

Et moi, je me souviens de la devise d’un des camionneurs : « Le retard n’empêche pas la chance. »

14/12/2007

Les camions

0b973e38d8a8efce03204a2811833a73.jpgExtrait de Voyage au pays du coton de Erik Orsenna :

"La nuit, la nuit profonde et poisseuse de l’Afrique tombe sur Koutiala. Sortant de l’enclave immense où, protégées par de hautes clôtures, bourdonnent les six usines, on ne peut que tomber sur eux. Et frissonner. On dirait une armée prête à envahir. Ils sont si nombreux. Et même si leurs moteurs sont éteints, il y a de la colère contenue dans ces mastodontes.

Les camions.

Des camions innombrables, plus de six cents, d’après la rumeur.

Et ils attendent.

Attendent des semaines pour décharger leur cargaison de coton ou de graines. Sur dix rangées attendent leur tour parce que personne n’a prévu d’entrepôt de strockage : l’usine se nourrit en puisant directement dans les bennes. Attendent devant les portes fermées ou dans les ruelles avoisinantes, garés tant bien que mal.

Et c’est pour cela que l’attente fait partie du coton : l’attente des camions et des camionneurs pendant les deux mois de récolte. Et l’attente pire encore pendant le reste de l’année, puisqu’il n’y a plus rien à transporter.

De temps en temps, un grondement annonce qu’un camion se met en marche. Dieu, ou l’usine, a eu pitié de lui. Sa patience est récompensée. Il va pouvoir se débarrasser de sa cargaison.

De proche en proche, des dizaines, des centaines de grondements répondent. Les interminables files s’ébranlent. Puis le silence revient. L’attente a repris.

J’ai appris qu’il y a trois catégories chez les camionneurs. Les propriétaires : on ne les voit jamais. Les chauffeurs : ils entrent en scène seulement lorsque le camion bouge, c’est-à-dire rarement. Et les apprentis : ceux-là ne quittent jamais leur camion. Ils partagent tout de sa vie, c’est-à-dire surtout l’attente. Un apprenti camionneur digne de ce nom vit sous son camion, entre le double train avant et le triple train arrière : c’est là qu’il installe son lit de camp, là qu’il accroche son transistor, là qu’il prépare son thé vert. Certains apprentis dressent une tente devant le pare-chocs : il me semble que leurs confrères les regardent un peu de travers. Un bon apprenti camionneur ne s’isole pas de son camion.

Ces jeunes gens n’ont qu’une espérance : s’élever un jour jusqu’au statut de chauffeur. Il leur faut donc réunir assez de fonds pour financer un permis de conduire. Entreprise plutôt difficile puisqu' ils… ne sont pas payés ! Seulement nourris (à peine) et de temps à autre « encouragés » par un petit billet.

En conséquence, ils attendent.

Pour être justes, leurs supérieurs, les chauffeurs, attendent aussi. L’Afrique, comme on sait, n’est pas avare de guerres civiles. Lorsque, par exemple, Abidjan, par suites de troubles, voit son port fermé, il faut passer par le Togo, le Ghana pour livrer les balles de coton. D’où quelques centaines de kilomètres en prime et des mois d’attente supplémentaires.

Pour tuer le temps, interminable, chauffeurs et apprentis ne cessent d’embellir leur gros compagnons. Non contents de les laver, de les briquer, ils les décorent. Ainsi, peints sur toutes les surfaces possibles (pare-brise, bâche, pare-chocs, caisse à outils… ), d’innombrables chefs-d’œuvre naïfs égaient les parkings : paysages typiques (savanes et forêts), bestiaire nostalgique des époques où l’on croisait encore quelques animaux en Afrique (lions, girafes, éléphants, aigles) ou salutations géopolitiques (drapeau des États-Unis d’Amérique).

Mais la plus belle créativité de ces artistes de la route (immobile) s’exprime dans les devises et maximes amoureusement calligraphiées : « La beauté du garçon, c’est le travail », « Tout passe », « Qui sait l’avenir ? », « J’ai peur de mes amis, même de toi », « Ne m’approche pas trop près », « Dieu, donne en secret », « Le retard n’empêche pas la chance »…

Toute une philosophie se trouve là développée : « Tu peux échapper à tous les fauves, sauf à celui qui porte ton destin. »

Quelle plus exacte incarnation des maux de l’Afrique que ce triste destin des apprentis camionneurs ?"

Pages 33 à 36