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10/08/2007

Un peu de botanique anglaise

 

b3d59656846796c946ffd361f036128d.jpgUn peu de botanique anglaise avec la traduction de ce passage :

"Il ne suivit pas les sentiers bien tracés et bien entretenus qui quadrillaient le jardin, mais s’enfonça à travers les parterres et parmi les hautes herbes aromatiques humides, parmi les cassolettes, les pieds de tabac et les touffes de fleurs de guimauve, d’un blanc spectral, parmi les gros buissons de citronnelles et de lavandes, et il s’enfonça jusqu’aux genoux dans un grand carré de résédas. Arrivé à la grande haie, il s’y força un passage ; les épines du roncier avaient beau le griffer profondément et arracher les fils de son merveilleux costume, les bardanes, les gratterons, la folle avoine avaient beau se prendre dans ses vêtements et y rester accrochés, il n’en avait cure."

"He did not follow the neat set paths that cut the garden squarely, but thrust across the beds and through the wet, tall, scented herbs, through the night-stock and the nicotine and the clusters of phantom white mallow flowers and through the thickets of southern-wood and lavender, and knee-deep across a wide space of mignonette. He came to the great hedge, and he thrust his way through it ; and though the thorns of the brambles scored him deeply and tore threads from his wondrful suit, and though burrs and goose-grass and havers caught and clung to him, he did not care."

H.G. Wells - Traduction Dobrinsky

 

09/08/2007

Suite de la nouvelle : "Le Beau costume"

Comme promis la suite du conte , « le beau costume » , qui a dû prendre sa source dans certains souvenirs de Wells. Sa poésie se dégage de l’atmosphère propice à l’évasion du jeune garçon qui se libère ainsi du carcan des conventions.

Cette nuit particulière sublime, transcende tout . Ce n’est pas sans rappeler un certain poème de Baudelaire que vous trouverez sur ce blog.

Je vous propose l'anlyse de cette nouvelle, entre autres, de Dobrinsky : «… narration plus dépouillée, allégorique, de plusieurs des meilleurs récits de maturité de Wells, comme « Le Pays des aveugles » (1904) et « La Porte dans le mur » (1906). Il s’agit dans la plupart des cas d’interrogations psychologiques sur le sens de la vie et de la mort, la part du sentiment, l’importance du rêve et de la beauté …

À la manière d’un conte de fée, « le Beau costume » dit l’histoire d’un complet du dimanche tendrement tissé par une mère pour son fils mais dont, par souci de le ménager, elle lui interdit le port quotidien jusqu’à ce qu’en un sursaut de révolte nocturne, il l’endosse en secret pour une libre promenade à travers la campagne.

Cette distribution et l’essence du conflit s’inspirent évidemment du passé de l’auteur, dans ses rapports mi-affectueux, mi-rebelles avec une mère conformiste et surprotectrice. Au culte des apparences et à une austérité puritaine s’oppose une protestation hédoniste et d’anarchisme esthétique. Deux traits spécifient le message de cette « fable lunaire » (le titre primitif du conte) : une insistance, la nuit de l’escapade, sur la beauté onirique du paysage, baigné par les reflets argentés de la pleine lune : et le fait que cette plongée dans une existence affranchie et ardente s’achève dans une mort extasiée. Avec un décalage de plusieurs années, ces motifs – éloge d’une quête artiste de sensations, apothéose de cet affranchissement dans une mort romantique – prolongent deux veines typiquement fin de siècle.

L’écriture, d’une élégance sobre, est traversée par des élans lyriques dans la relation de l’escapade au clair de lune, à travers une nature transfigurée. Elle fait appel à des symboles traditionnels : traversée d’un étang baptismal ; vol d’un papillon annonciateur d’une mort spiritualisante. La conclusion, ouverte quant à la nature du triomphe suggéré, laisse une part poétique à l’interprétation du lecteur. Le nouvelliste anecdotique et « réaliste » des textes précédents s’est, lui aussi, transcendé à ce titre. »

Dobrinsky

Malgré sa joie infinie, le petit homme s’abstint de crier ou de chanter. Il resta un moment immobile, comme saisi d’une crainte respectueuse, puis, en poussant un petit cri étrange et en ouvrant tout grand les bras, il sortit du jardin en courant, comme s’il voulait étreindre d’un coup toute l’immensité du globe terrestre. Il ne suivit pas les sentiers bien tracés et bien entretenus qui quadrillaient le jardin, mais s’enfonça à travers les parterres et parmi les hautes herbes aromatiques humides, parmi les cassolettes, les pieds de tabac et les touffes de fleurs de guimauve, d’un blanc spectral, parmi les gros buissons de citronnelles et de lavandes, et il s’enfonça jusqu’aux genoux dans un grand carré de résédas. Arrivé à la grande haie, il s’y força un passage ; les épines des ronciers avaient beau le griffer profondément et arracher des fils de son merveilleux costume, les bardanes, les gratterons, la folle avoine avaient beau se prendre dans ses vêtements et y rester accrochés, il n’en avait cure. Il n’en avait cure, car il savait que le port, ardemment désiré, de son costume impliquait tout cela. « Je suis content de l’avoir mis, dit-il, je suis content de l’avoir porté. »

Après la haie, il arriva à la mare aux canards ou, tout au moins, à ce qui était la mare aux canards dans le jour. Mais, à la nuit, c’était une grande vasque pleine de rayons de lune argentés et envahie par le chant des grenouilles ; pleine des merveilleux rayons argentés de lune, tressés et figés selon d’étranges arabesques. Et le petit homme courut entre les joncs sveltes et noirs pour entrer dans l’onde : il s’y enfonça jusqu’aux genoux, puis jusqu’à la taille, puis jusqu’aux épaules, frappant l’eau avec une main ou l’autre en soulevant des vaguelettes noires et luisantes, des vaguelettes qui oscillaient et frissonnaient et où les étoiles étaient prises à la nasse dans les reflets entrelacés des arbres mélancoliques de la rive. Il marcha en s’enfonçant dans l’eau, puis nagea et traversa ainsi la mare et ressortit sur l’autre rive, en traînant derrière lui, à ce qu’il lui sembla, non pas des lentilles d’eau mais bel et bien de l’argent en longues masses ruisselantes qui s’accrochaient à lui. Et il monta en traversant l’enchevêtrement des épilobes transfigurés et les herbes non fauchées, montées en graines, de la rive opposée. Il arriva joyeux, tout essoufflé, à la grand-route. « Ma joie, dit-il, est infinie, d’avoir eu des vêtements dignes de cette occasion »

La grand-route courait droit comme un vol de flèche : elle s’enfonçait tout droit dans l’abîme bleu foncé du ciel sous la lune, une route blanche et brillante, entre les rossignols qui chantaient ; et il s’y engagea, tantôt en courant et en bondissant, tantôt en marchant avec jubilation, vêtu du costume que sa mère lui avait fait de ses mains tendres et inlassables. La route était recouverte d’une épaisse poussière, mais ce n’était pour lui qu’une blancheur moelleuse, et, tandis qu’il avançait rapidement, trempé et chatoyant, un grand papillon de nuit indistinct vint voleter autour de sa silhouette. D’abord il ne prit pas garde à ce papillon, puis il agita les bras pour le saluer et se livra à une sorte de danse pour accompagner son vol circulaire autour de sa tête : « Doux papillon, s’écria-t-il, cher papillon ! Et merveilleuse nuit, merveilleuse nuit du monde ! Trouves-tu, cher papillon, que mes vêtements sont beaux ? Aussi beaux que les écailles de tes ailes et que tous ces voiles d’argent de la terre et du ciel ? »

Et le papillon tourna de plus en plus près jusqu’au moment enfin où les ailes lui effleurèrent légèrement les lèvres …

Et, le lendemain matin, on le retrouva mort, le cou brisé, au fond de la carrière de pierres : ses vêtements qui portaient des traces de sang étaient souillés, tachés par les lentilles d’eau provenant de la mare. Mais son visage était si radieux que, si vous l’aviez vu, vous auriez bien compris qu’il était mort heureux, sans jamais reconnaître dans cette fraîche coulée d’argent les lentilles de la mare.

H.G. Wells, traduction Dobrinsky

08/08/2007

Le beau costume

" Il était une fois un petit homme auquel sa mère avait fait un beau costume. Il était vert et or, et son étoffe était si délicate et fine que je ne saurais le décrire et il s’accompagnait d’une cravate orange.

D’une étoffe peluchée, à nouer sous le menton. Et les boutons tout neufs brillaient comme des étoiles. Ce costume emplit le petit homme d’une fierté et d’une joie infinie et, quand il le mit pour la première fois, il resta debout devant la longue glace, si brusquement surpris de le voir qu’il ne pouvait plus se détourner.

Il voulait le porter partout où il irait et le montrer à toutes sortes de gens. Il passa en revue tous les lieux qu’il n’avait jamais visités, tous les paysages qu’il n’avait jamais entendu décrire, et il essaya d’imaginer l’impression qu’il éprouverait s’il lui arrivait, à présent, de s’y rendre, vêtu de son costume lumineux ; et il voulut sortir sans délai dans cette tenue pour fouler l’herbe haute du pré sous le soleil brûlant. Rien que pour porter son costume ! Mais sa mère lui dit : « Non. » Elle lui expliqua qu’il devait en prendre grand soin, car jamais il n’en aurait un autre qui approchât de sa beauté : il lui fallait le ménager, toujours le ménager, et ne le revêtir que dans un petit nombre de grandes occasions. C’était son habit de mariage, dit-elle. Et elle en prit les boutons dans les mains pour les entortiller dans du papier de soie, de peur que l’éclat du neuf ne se ternisse, et elle piqua des morceaux de tissu en guise de protection sur les manchettes, au niveau des coudes, et à tous les endroits où le costume risquait le plus de s’abîmer. Il abhorrait ces ajouts et s’y opposait, mais que pouvait-il faire ? Enfin, les mises en garde et les arguments de sa mère l’influencèrent, et il consentit à enlever son beau costume, à le remettre dans ses bons plis et à le ranger. Ce fut presque comme s’il y renonçait. Mais il pensait toujours à le mettre et aux occasions exceptionnelles où il pourrait un jour, libre de tout souci, le porter sans ses protections, sans le papier de soie autour des boutons, dans son intégrité enchanteresse, d’une infinie beauté.

Une nuit où il rêvait de son costume selon son habitude, il enleva dans son rêve le papier de soie qui enveloppait l’un des boutons, et s’aperçut que son éclat avait un peu pâli, ce qui l’affligea fort au sein du rêve. Il astiquait longuement le pauvre bouton pâli ; ce qui avait plutôt pour effet de le rendre plus terne. Il s’éveilla et resta étendu à songer à l’effet que cela lui ferait, quand viendrait la grande occasion (quelle qu’elle fût) si, par aventure, l’un des boutons se trouvait avoir perdu un peu de sa fraîcheur et de son éclat premier et, pendant de longs jours, cette pensée le hanta douloureusement. Et, la fois suivante où sa mère l’autorisa à mettre son costume, il fut tenté, et faillit céder à la tentation, de soulever simplement d’un doigt gauche un bout de papier de soie pour voir si les boutons étaient vraiment restés aussi brillants qu’auparavant.

Fier de son élégance, sur le chemin de l’église, il fut envahi par ce désir irraisonné. Car il vous faut savoir que sa mère, après la réitération de prudentes mises en garde, l’autorisait bel et bien à mettre parfois son beau costume, par exemple le dimanche, pour aller à l’église et en revenir, quand il n’y avait aucune menace de pluie, que la poussière ne volait pas, et que rien ne risquait de l’endommager : avec ses boutons recouverts et ses protections piquées sur le tissu, et une ombrelle dans la main pour maintenir son costume à l’ombre si un soleil trop vif semblait en menacer les teintes. Et, après de telles occasions, il ne manquait jamais de le brosser en entier avant de le replier très délicatement comme elle lui avait appris à le faire, et de le remettre dans l’armoire.

Or, il obéissait, il obéissait toujours à toutes ces restrictions apportées par sa mère au port de son costume jusqu’à une nuit étrange où il se réveilla et vit par la fenêtre la lune briller. Il eut l’impression que ce clair de lune n’était pas ordinaire et cette nuit pas une nuit ordinaire, et il resta allongé quelque temps dans une grande somnolence, l’esprit occupé par cette persuasion bizarre. Ses pensées s’enchaînaient comme des murmures chaleureux d’objets dans le noir. Ensuite, il s’assit dans son petit lit, soudain bien réveillé : son cœur battait très vite et son corps frémissait des pieds à la tête. Il avait pris sa décision. Il savait qu’à présent, il allait porter son costume comme il convenait. Il n’avait aucun doute sur ce point. Il avait peur, une peur terrible, mais il était heureux, heureux.

Il se leva et resta un moment debout près de la fenêtre à regarder le jardin que la lune inondait de ses rayons, en tremblant à l’idée de ce qu’il voulait faire. L’air était rempli du chant minuscule des grillons et de murmures : des cris infinitésimaux de petites créatures.

Il traversa à pas de loup le plancher qui grinçait, de peur d’éveiller la maison endormie, pour aller jusqu’à la grande armoire-étagère sombre à l’intérieur de laquelle reposait son beau costume replié, et il l’en retira, une partie après l’autre ; puis d’un geste tendre et très ardent, il arracha les garnitures en papier de soie et les protections piquées sur son étoffe, jusqu’à ce qu’il apparût, dans sa perfection ravissante tel que lui-même l’avait vu d’abord quand sa mère lui en avait fait don : il y avait, semblait-il, bien longtemps. Pas un bouton n’avait terni, pas un fil de son costume chéri ne s’était fané ; il en pleura de joie en se hâtant de l’enfiler sans bruit. Après quoi, il revint d’un pas vif et léger à la fenêtre qui donnait sur le jardin, et s’y arrêta une minute, resplendissant dans le clair de lune, les boutons de son costume scintillant comme des étoiles, avant de passer sur le rebord extérieur et, avec le plus petit bruissement d’étoffe possible, de descendre en s’aidant des pieds et des mains jusqu’au sentier du jardin au-dessous. Il se planta devant la maison de sa mère, blanche et à peine embellie par rapport au jour, avec toutes ses jalousies, à l’exception de la sienne, fermées comme les yeux d’un dormeur. Les arbres projetaient sur le mur leurs ombres comme de la dentelle noire ouvragée.

Le jardin au clair de lune était très différent du jardin le jour ; les rayons de la lune s’emmêlaient dans les haies et tendaient d’une ramille à l’autre leur toile d’araignée spectrale. Toutes les fleurs brillaient d’un éclat blanc ou d’un noir empourpré et l’air frémissait des stridulations des petits grillons et du chant des rossignols, invisibles dans les profondeurs des arbres. Le monde échappait aux ténèbres, ne présentait que des ombres chaleureuses, baignées de mystère, et la rosée bordait, ourlait toutes les feuilles et les hampes florales d’un chatoiement de pierre précieuse. La nuit était plus tiède qu’aucune autre avant elle ; les cieux étaient, par miracle, à la fois plus vastes et plus proches et, bien que l’énorme lune ivoirine régnât sur le monde, le firmament était rempli d’étoiles. "

H.G. Wells

Suite, demain