30/09/2007
Pierre Seghers
Voici un extrait de l’introduction du livre d’or de la poésie française, de Pierre Seghers, intitulée À mon seul désir :
« Où je suis , Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.
Au milieu d’une forêt de symboles et de monstres apprivoisés, entre ses miroirs et ses fleurettes, ses gens et ses lapins, auprès d’une fontaine qui jase et d’un unicorne qui inspire
Aussi comme unicorne sui
Qui s’esbahist en regardant
Quand la pucele va mirant,
la Dame à la Licorne me propose sa devise : « À mon seul désir ». Cette ravissante personne, qui sort si naturellement de sa tenture du XVIe siècle — c’était hier, c’est aujourd’hui ! — me permettra d’ajouter mon présent à ceux qui l’entourent. Elle y retrouvera l’écho des troubadours, la musique des luths et des violes, le « clus trobar » et aussi les tambours : j’en demande pardon à ses hermines !
Entre les poètes de cour et ceux des tavernes, l’Académie (à venir) et la solitude peuplée, les pouvoirs de l’incantation et le feu sous la langue ; accueillante aux meilleurs, parfois aux inconnus, cette gente et noble personne demeure la reine d’un monde aussi nombreux que mystérieux. Sans audience pour les ennuyeux, toujours prête pour les guitares, elle découvrira au cours de son voyage plusieurs siècles de voix et de chants nouveaux, et qu’il y eut toujours des modes dans les sortilèges.
Pour elle, ce livre ne sera pas une collection de fleurs mortes, un tableau de chasse de l’histoire littéraire ; Plutôt une invention qui ne surprendra personne aujourd’hui, une sorte de composition projetante et parlante qui lui fera voir les images d’une permanence, celle de la poésie française à travers l’évolution d’une langue appliquée à mieux dire, les péripéties de la recherche de l’expression, le jeu des reflets entre l’allusion et l’inégalable de la musique, enfin la fulguration d’un vers qui devient tout à coup plus cher que les plus chers bijoux.
Petit à petit, cette anthologie s’est aménagée comme une machine vivante, infernale sans doute aux yeux des messieurs de Sorbonne. Agencée, non pour enseigner, mais pour faire entendre les voix des poètes français, savants et populaires, parfois secrets comme la nuit qu’ils explorent. C’est avec ses hommes de passion et de méditation, ses princes et ses rois, ses navigateurs, ses artisans, ses poètes, que la Dame à la Licorne recevra l’hommage de cette aventure dédiée à sa grâce et À mon seul désir. »Pierre Seghers
Un texte de Pierre Seghers chanté par Léo Ferré, « Merde à Vauban ».
Bagnard, au bagne de Vauban
Dans l'îl' de Ré
J'mang' du pain noir et des murs blancs
Dans l'îl' de Ré
A la vill' m'attend ma mignonn'
Mais dans vingt ans
Pour ell' je n'serai plus personn'
Merde à Vauban
Bagnard, je suis, chaîne et boulet
Tout ça pour rien,
Ils m'ont serré dans l'îl' de Ré
C'est pour mon bien
On y voit passer les nuages
Qui vont crevant
Moi j'vois s'faner la fleur de l'âge
Merde à Vauvan
Bagnard, ici les demoiselles
Dans l'îl' de Ré
S'approch'nt pour voir rogner nos ailes
Dans l'îl' de Ré
Ah ! Que jamais ne vienne celle
Que j'aimais tant
Pour elle j'ai manqué la belle
Merde à Vauban
Bagnard, la belle elle est là-haut
Dans le ciel gris
Ell' s'en va derrière les barreaux
Jusqu'à Paris
Moi j'suis au mitard avec elle
Tout en rêvant
A mon amour qu'est la plus belle
Merde à Vauban
Bagnard, le temps qui tant s'allonge
Dans l'îl' de Ré
Avec ses poux le temps te ronge
Dans l'îl' de Ré
Où sont ses yeux où est sa bouche
Avec le vent
On dirait parfois que j'les touche
Merde à Vauban
C'est un p'tit corbillard tout noir
Etroit et vieux
Qui m'sortira d'ici un soir
Et ce s'ra mieux
Je reverrai la route blanche
Les pieds devant
Mais je chant'rai d'en d'ssous mes planch's
Merde à Vauban
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29/09/2007
La grande dame
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Alphonse de Lamartine
Le vallon (1820)
Mon cœur, lassé de tout, même de l’espérance,
N’ira plus de ses vœux importuner le sort,
Prêtez-moi seulement, vallon de mon enfance,
Un asile d’un jour pour attendre la mort.
Voici l’étroit sentier de l’obscure vallée :
Du flanc de ces coteaux pendent des bois épais,
Qui, courbant sur mon front leur ombre entremêlée,
Me couvrent tout entier de silence et de paix.
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon :
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.
La source de mes jours comme eux s’est écoulée :
Elle a passé sans bruit, sans nom et sans retour ;
Mais leur onde est limpide, et mon âme troublée
N’aura pas réfléchi les clartés d’un beau jour.
La fraîcheur de leurs lits, l’ombre qui les couronne,
M’enchaînent tout le jour sur les bords des ruisseaux.
Comme un enfant bercé par un chant monotone,
Mon âme s’assoupit au murmure des eaux.
Ah! C’est là qu’entouré d’un rempart de verdure,
D’un horizon borné qui suffit à mes yeux,
J’aime à fixer mes pas, et, seul dans la nature,
À n’entendre que l’onde, à ne voir que les cieux.
J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie :
L’oubli seul désormais est ma félicité.
Mon cœur est en repos, mon âme est en silence ;
Le bruit lointain du monde expire en arrivant,
Comme un son éloigné qu’affaiblit la distance,
À l’oreille incertaine apporté par le vent.
D’ici je vois la vie, à travers un nuage,
S’évanouir pour moi dans l’ombre du passé ;
L’amour seul est resté, comme une grande image
Survit seule au réveil dans un songe effacé.
Repose-toi, mon âme, en ce dernier asile,
Ainsi qu’un voyageur qui, le cœur plein d’espoir,
S’assied, avant d’entrer, aux portes de la ville,
Et respire un moment l’air embaumé du soir.
Comme lui, de nos pieds secouons la poussière ;
L’homme par ce chemin ne repasse jamais ;
Comme lui, respirons au bout de la carrière
Ce calme avant-coureur de l’éternelle paix.
Tes jours, sombres et courts comme les jours d’automne,
Déclinent comme l’ombre au penchant des coteaux ;
L’amitié te trahit, la pitié t’abandonne,
Et seule, tu descends le sentier des tombeaux.
Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ;
Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours :
Quand tout change pour toi, la nature est la même,
Et le même soleil se lève sur tes jours.
De lumière et d’ombrage elle t’entoure encore :
Détache ton amour des faux biens que tu perds ;
Adore ici l’écho qu’adorait Pythagore,
Prête avec lui l’oreille aux célestes concerts.
Suis le jour dans le ciel, suis l’ombre sur la terre :
Dans les plaines de l’air vole avec l’aquilon ;
Avec le doux rayon de l’astre du mystère,
Glisse à travers les bois dans l’ombre du vallon.
Dieu pour le concevoir, a fait l’intelligence :
Sous la nature enfin découvre son auteur !
Une voix à l’esprit parle dans son silence :
Qui n’a pas entendu cette voix dans son cœur ?
Alphonse de Lamartine
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09:15 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (3)