Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/09/2007

Frangine

J’ai terminé hier soir la lecture du roman policier Le retour du professeur de danse, après une petite balade revigorante en Écosse avec Stefan et une charmante vieille dame, je sors de cette histoire plus aguerrie. Dès potron-minet, je suis déjà tombée sur un autre livre, à moins que ce soit l’inverse, le bouquin surnageait, l’air un peu abandonné, au-dessus d’un petit bic à brac de cahiers, entreposés dans une caissette, présentant sa post-face : « Après « La maison des autres », Bernard Clavel poursuit la chronique d’une petite ville durant les heures noires de la débâcle et trace, avec sa sympathie profonde pour les humbles, un inoubliable portrait de mère. » Il s’intitule Celui qui voulait voir la mer. Le livre à peine entrouvert, une feuille de cahier d’écolier, pliée en quatre, en est tombée. Il s’agissait d’un poème que ma soeur m’avait envoyé, il y a de cela plus de trois ans. Son fils Thomas, décédé à cette époque  dans un accident de voiture. Je mets ce poème en ligne. Demain vous pourrez lire un extrait du roman de Bernard Clavel.

Je corridor

Une âme s’est mise à danser

Comme un voile sur la pensée

Danse pour me faire cHanter

Les yeux fermés pour mieux le voir

La fin d’un gros trou noir

Oublier la mémoire

D’un geste improvisé

Mon âme, voulez-vous danser ?

 

Un aRBRe s’est dessiné

Tout le long de mon dos

Comme tous les déracinés

Ses racines sont en Haut

Tout le monde n’a vu Que l’écorce

La forme déguisait la force

Moi, j’BRûle d’la tête aux pieds

Mon corps, veux-tu me laisser ?

 

Seul, ensemble

Plus on est Haut, plus tout s’assemble

Comme c’est Beau

De tout laisser vivre sans dire un mot

 

Seul, ensemble

Plus on est loin, plus on se ressemBle

Le repos, c’est mouRiR pour apprendre à

Vivre

Laisser vivre, c’est mourir Quand il le faut

 

Ma tête s’est mise à bouger

Comme le bout d’une chandelle

La raison part en fumée

On n’aura plus besoin d’elle

La flamme sort des deux côtés

Moi, j’Brûle d’la tête aux pieds

Au milieu de mon corPs

Monte un grand coRRidor

- Harmonium - été 1976 

« Moi aujourd’hui » a été sa façon de signer ce courrier-poème. Harmonium, est-ce un groupe de pop-musique ou est-elle l'auteure du poème ? Je ne sais pas et pour moi, peu importe en la circonstance. Il me semblait que parfois elle « dessinait » certaines lettres, c’est pourquoi j’ai laissé ses majuscules « en plein mot ».

08:50 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (1)

19/09/2007

Le destin

Ceux qui ont lu Le retour du professeur de danse de Henning Mankell savent que ce n’est pas facile de lâcher le bouquin en cours de route. L’auteur aborde le mécanisme psychologique par lequel une victime peut basculer en bourreau ponctuel, et montre comment les bourreaux se mettent à la merci d’évènements impondérables, répercussions inéluctables de leurs crimes. Le personnage principal du roman, Stefan, tâtonne dans le brouillard, vacille, n’est jamais au bout de ses peines. Je vous invite à lire cet extrait où il découvre que son père était nazi, comme si le destin avait décidé de ne plus le ménager :

 

Stefan resta assis. Il devait partir. Mais quelque chose le retenait. Il ressortit du tiroir le dossier à la reliure abîmée, l’ouvrit et chercha la lettre L. « Lennartsson, David - cotisation payée par sa femme. » Il tourna la page. Ce fut comme si on l’avait frappé. Il n’était en rien préparé à ce coup. Pas plus que si un ennemi l’avait attaqué par derrière. Mais pas d’erreur, c’était bien le nom de son père. « Evert Lindman, décédé - cotisation payée pour vingt-cinq ans. » Figurait aussi la date de sa mort, en 1992. Et puis ce détail qui balaya les derniers doutes de Stefan. Il se rappelait très clairement l’entrevue avec un avocat ami de son père, lors du règlement de la succession. Le testament, établi un an environ avant sa mort, faisait don de quinze mille couronnes - une somme suffisamment importante pour ne pas passer inaperçue - à une fondation, Stiftelsen Sveriges Väl, (littéralement : « Le bien de la Suède »), qui possédait un numéro de compte postal, mais pas d’adresse. Stefan s’était interrogé sur ce don, et sur cette mystérieuse fondation. Mais l’avocat avait affirmé que la volonté du défunt ne faisait aucun doute, qu’il avait même été très clair sur ce point précis. Et dans le chagrin suivant la mort de son père, Stefan n’y avait plus repensé.

Voilà que ce don ressurgissait, contre toute attente, dans l’appartement confiné d’Emil Wetterstedt. Stefan ne pouvait se soustraire à cette évidence. Son père avait été un homme d’extrême droite. L’un de ceux qui cachaient leurs opinions. Un représentant de la masse grise. C’était inimaginable. Pourtant, c’était vrai. Stefan comprit soudain pourquoi Wetterstedt l’avait interrogé sur son nom et sur sa ville d’origine. Il savait ce que Stefan ignorait encore à ce moment-là. Son père avait été comme Wetterstedt, comme Molin, comme Elsa Berggren.

Il rangea le dossier, referma le tiroir et remit la lampe à sa place. Il s’aperçut que sa main tremblait. Puis il vérifia avec soin qu’il n’avait rien perdu ni oublié. Deux heures moins le quart du matin. Il était pressé de sortir de là, de mettre une distance entre lui et les secrets du bureau de Wetterstedt. Avant de sortir, il attendit quelques instants, aux aguets. Puis il se glissa dehors et referma la porte fracturée du mieux qu’il put.

 

18/09/2007

Ordinaire

Je lis en ce moment Le retour du professeur de danse de Henning Mankell. J’en suis à la page 159, d’un roman qui en compte 622, je ne sais donc pas encore qui a tué un certain Herbert Molin. Le résumé du livre, en postface semble indiquer que Molin est un ancien nazi qui se cachait sous une fausse identité. J’en suis au portrait psychologique, que l’auteur dresse au fil de l’action, de Stefan, un des deux principaux policiers mis sur l’enquête. Sa maladie lui fait faire ce rêve, et s’interroger ensuite sur sa situation :

 

« Il se réveilla en sursaut et regarda sa montre. Cinq heures moins le quart. Il avait rêvé. Quelqu’un le pourchassait. Soudain il était encerclé par une meute de chiens qui déchiraient ses vêtements et commençaient à lui arracher des lambeaux de chair. Son père était là à l’arrière-plan, ainsi qu’Éléna. Il alla se rincer le visage sous le robinet. Le rêve n’était pas difficile à interpréter. La maladie, les cellules qui se multipliaient hors contrôle comme une meute de chiens sauvages lâchés dans son organisme…Il se déshabilla, se glissa entre les draps, mais ne parvint pas à se rendormir.

C’était toujours à ce moment, au petit matin, qu’il se sentait le plus vulnérable. Il pensa qu’il était un policier de trente-sept ans, qui essayait de mener une vie digne. Rien de remarquable, rien qui sorte de l’ordinaire. Mais c’était quoi l’ordinaire ? Il se rapprochait à toute vitesse de la quarantaine et n’avait pas d’enfants. Et maintenant il en était réduit à lutter contre une maladie qui le détruirait peut-être. Dans ce cas, sa vie n’aurait même pas été ordinaire. Elle n’aurait été qu’un essai, sans possibilité de démontrer sa valeur. »

Henning Mankell

 

Voilà de quoi interroger également le lecteur. En effet, qu’implique la volonté de vivre en conformité avec cette idée de l’ordinaire, en cas de bouleversement ? Le personnage rattache l’idée de l’ordinaire à celle de la démonstration de sa valeur, d’où sa vulnérabilité accrue.

Je donnerai de ses nouvelles à ceux qui ne connaissent pas ce roman, dans les prochains jours.

Pour les amateurs de danse, cliquez ici