Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/09/2007

Au bruit des berceaux...

Deux citations précèdent l’histoire de Celui qui voulait voir la mer :

Au bruit des berceaux que bercent les mères la haine et les flots devraient s’endormir.

TH. Botrel.

 

Je souris, parce que la porte s’ouvrait

sur l’avenir, maman était triste parce que

la porte se fermait sur le passé

Charles-Louis Philippe.

 

J’ai aimé la douce compagnie de la Mère Dubois. Aujourd’hui, autre découverte, en cherchant Armand Lanoux, à qui Bernard Clavel a dédié le roman, je suis arrivée sur une association que je ne connaissais pas du tout : Le Pen club international, qui n’a évidemment rien à voir avec le politique d’extrême droite, il s’agit d’une association d’artistes… :

Le PEN club international est une association internationale apolitique non gouvernementale d'écrivains fondée en 1921 par Catharine Amy Dawson Scott avec l’appui de John Galsworthy. Elle a pour but de « rassembler des écrivains de tous pays attachés aux valeurs de paix, de tolérance et de liberté sans lesquelles la création devient impossible ». Depuis mars 2004, son président est l'écrivain et diplomate tchèque Jiří Gruša.

Le sigle PEN est de Catharine Amy Dawson Scott. Cet acronyme du mot anglais « pen (plume) » résume les différents métiers de l'écriture ; P = Poets, Playrighters; E = Essayists, Editors; N = Novelists, Non-fiction authors.

La section française du PEN Club est fondée en 1921. Elle est dirigée successivement par Anatole France (1921), Paul Valéry (1924 et 1944), Jules Romains (1934), Jean Schlumberger (1946), André Chamson (1951), Yves Gandon (1959), Pierre Emmanuel (1973), Georges-Emmanuel Clancier (1976), René Tavernier (1979). Depuis sa création, le PEN Club s'est attaché à défendre la libre circulation des hommes et des idées, en organisant notamment des congrès et des échanges culturels internationaux.

La Liberté d'Expression, elle va la défendre devant ce grand tribunal à la mesure du globe, à Genève ou à New York, à la Commission des Droits de l'Homme ou à l'Assemblée Générale. Cette liberté d'expression, elle la réclame pour tous; elle lutte pour le respect de la parole féminine, la culture des langues, la culture de la Paix. Elle prendrait pour mot d'ordre ce dit de Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrais pour que vous puissiez le dire. »

Aujourd'hui agréée par l'UNESCO et le conseil économique et social des Nations unies

 

Pour continuer la lecture, c’est ici

 

 

 

 

 

21/09/2007

Extrait de celui qui voulait voir la mer

"Une fois seule, la mère se mit à son ouvrage. Elle leva le couvert et fit sa vaisselle. Quelque chose était de nouveau en elle, qui l’empêchait de penser à ce qu’elle faisait. En rangeant les assiettes dans le placard, elle faillit faire tomber un bol qui se trouvait au bord du rayon.

— Ce sont mes rhumatismes qui me reprennent, murmura-t-elle.

Pourtant, dès qu’elle eut balayé sa cuisine, elle gagna la chambre de Julien.

C’était une petite pièce mansardée, éclairée par une lucarne ouvrant sur le toit. Sous la lucarne, un bureau ; contre les murs, plusieurs rayons où se trouvaient des livres et des boîtes de carton. Épinglé au-dessus du lit, le portrait de Joë Louis, le visage trempé par la fatigue, et que la mère évitait de regarder. « Ce bonhomme me fait peur  », disait-elle à Julien.

Elle commença par faire le lit ; puis, ouvrant le tiroir du bureau, elle en sortit un carton à dessin et deux cahiers d’écolier qu’elle avait remarqués lorsque Julien les tirait de sa valise. Elle ouvrit d’abord le carton et, lentement, avec beaucoup d’attention, elle se mit à examiner les dessins et les aquarelles qu’il contenait. Il y avait quelques paysages des bords du Doubs et des vieux quartiers de Dole. Elle cherchait dans ses souvenirs, et, lorsqu’elle parvenait à identifier une rue, un porche ou un pont, son visage s’éclairait, ses yeux exprimaient une grande joie. Il y avait aussi beaucoup de portraits. Des portraits de femmes qui se ressemblaient tous plus ou moins. Là encore, elle fit un effort de mémoire, puis finit par dire :

— ça ressemble à une actrice de cinéma que j’ai déjà vue sur des affiches, et pourtant, c’est pas tout à fait cette tête-là.

Elle interrogea encore ce visage vingt fois répété, approcha les papiers de la lumière qui tombait de la lucarne, et les replaça dans le carton en disant :

— Cette personne a l’air malheureux. Elle serait malade que ça ne me surprendrait pas.

Ensuite, elle feuilleta les cahiers. Il y avait là quelques poèmes composés par Julien, et d’autres qu’il avait recopiés dans des livres. La mère en lut plusieurs. Elle trouvait ceux de son garçon plus beaux et plus émouvants que ceux de Baudelaire par exemple, dont le nom revenait souvent. Elle s’était assise sur le bord du lit, et ses grosses mains tremblaient un peu en tournant les pages. Plusieurs fois elle s’arrêta, l’oreille tendue, le cœur battant. Quand elle avait identifié le bruit qui l’inquiétait, elle se remettait à lire.

Elle se sentait en faute, et pourtant, à mesure qu’elle avançait dans sa lecture, il lui semblait qu’elle trouvait en elle un peu plus de force. C’était comme une bonne chaleur disparue depuis longtemps et qui revenait, plus vive, plus précise d’instant en instant. Lorsqu’elle eut refermé le cahier, elle le garda sur ses genoux et resta encore un long moment assise sur le bord du lit. Elle ne pensait à rien de bien précis. Simplement, elle demeurait ainsi, parce qu’elle était encore engourdie par tout ce qui était sorti de ces dessins et de ce cahier pour pénétrer en elle.

Enfin, se levant soudain, elle remit tout en place, repoussa le tiroir et descendit l’escalier. À la cuisine, elle regarda le réveil. Il était plus de trois heures après-midi. Il y avait des mois, peut-être même des années que la mère n’était pas restée assise aussi longtemps sans un travail pour occuper ses mains. Cependant, elle ne s’adressa aucun reproche. Quittant ses pantoufles et chaussant ses sabots, elle lança encore un coup d’œil au réveil en répétant plusieurs fois à mi-voix :

— J’irai ce soir. Ce soir, à quatre heures et demie."

 

Bernard Clavel

L'ordinaire en poésie

Bernard Clavel est le fidèle témoin d’une époque pas si lointaine, couvant presque des yeux les gens, les choses, les paysages qu’il aime. Rien des tourments de ses semblables ne paraît lui échapper. Dans ce roman, Celui qui voulait voir la mer, il écoute avant tout les inquiétudes d’une mère. Cette histoire de "petites gens", durant la seconde guerre mondiale envoie le message universel de la paix. Voici un extrait :

Pendant un long moment, elle demeura immobile, les bras croisés sur le bord de la table, fixant la revue que Julien avait laissée ouverte en partant. La mère ne distinguait pas les photographies du texte imprimé. Tout s’éloignait, tout devenait plus flou et, bientôt, elle retrouva le cahier blanc semblable au cahier d’écolier. Elle le fixa longtemps, très longtemps, jusqu’au moment où ses yeux s’étant presque entièrement fermés, il lui sembla voir un petit garçon, en blouse noire d’écolier, s’accouder à la table et se pencher sur le cahier. Alors elle sursauta. Ses yeux s’ouvrirent soudain tout grands, et quelque chose creva en elle quand son regard se posa sur le dossier de la chaise qu’avait occupée Julien.

Elle se redressa de toute sa taille et tout son être se tendit dans l’effort qu’elle fit pour ne pas pleurer. Repoussant sa corbeille et les vêtements qu’elle avait posés sur la table, elle attira à elle L’illustration qu’elle se mit à feuilleter à son tour.

Il y avait des soldats britanniques et français qui « fraternisaient » en se serrant les mains. D’autres soldats coiffés de casques différents couraient en tirant un canon sur une place de Varsovie. Il y avait aussi des généraux et des présidents décorés, assis dans des fauteuils ; des villes américaines illuminées ; et puis la guerre encore avec des chars d’assaut et des maisons en flammes. À mesure qu’elle avançait, la mère tournait les pages de plus en plus vite.

Quand elle eut achevé, elle laissa le magazine sur la table. Seul était visible le dos de la couverture qu’occupait entièrement une publicité pour l’École A.B.C. de dessin. Il y avait un croquis représentant une jeune fille en tenue de sport, et un portrait de garçonnet au regard un peu triste. Entre les deux, un intertitre en caractères gras barrait la moitié de la page : « ET VOS ENFANTS ? »

La mère le lut plusieurs fois sans même savoir ce qu’elle lisait ; puis, ayant rangé dans le bahut sa corbeille à ouvrage, elle commença de se déshabiller.