21/09/2007
L'ordinaire en poésie
Bernard Clavel est le fidèle témoin d’une époque pas si lointaine, couvant presque des yeux les gens, les choses, les paysages qu’il aime. Rien des tourments de ses semblables ne paraît lui échapper. Dans ce roman, Celui qui voulait voir la mer, il écoute avant tout les inquiétudes d’une mère. Cette histoire de "petites gens", durant la seconde guerre mondiale envoie le message universel de la paix. Voici un extrait :
Pendant un long moment, elle demeura immobile, les bras croisés sur le bord de la table, fixant la revue que Julien avait laissée ouverte en partant. La mère ne distinguait pas les photographies du texte imprimé. Tout s’éloignait, tout devenait plus flou et, bientôt, elle retrouva le cahier blanc semblable au cahier d’écolier. Elle le fixa longtemps, très longtemps, jusqu’au moment où ses yeux s’étant presque entièrement fermés, il lui sembla voir un petit garçon, en blouse noire d’écolier, s’accouder à la table et se pencher sur le cahier. Alors elle sursauta. Ses yeux s’ouvrirent soudain tout grands, et quelque chose creva en elle quand son regard se posa sur le dossier de la chaise qu’avait occupée Julien.
Elle se redressa de toute sa taille et tout son être se tendit dans l’effort qu’elle fit pour ne pas pleurer. Repoussant sa corbeille et les vêtements qu’elle avait posés sur la table, elle attira à elle L’illustration qu’elle se mit à feuilleter à son tour.
Il y avait des soldats britanniques et français qui « fraternisaient » en se serrant les mains. D’autres soldats coiffés de casques différents couraient en tirant un canon sur une place de Varsovie. Il y avait aussi des généraux et des présidents décorés, assis dans des fauteuils ; des villes américaines illuminées ; et puis la guerre encore avec des chars d’assaut et des maisons en flammes. À mesure qu’elle avançait, la mère tournait les pages de plus en plus vite.
Quand elle eut achevé, elle laissa le magazine sur la table. Seul était visible le dos de la couverture qu’occupait entièrement une publicité pour l’École A.B.C. de dessin. Il y avait un croquis représentant une jeune fille en tenue de sport, et un portrait de garçonnet au regard un peu triste. Entre les deux, un intertitre en caractères gras barrait la moitié de la page : « ET VOS ENFANTS ? »
La mère le lut plusieurs fois sans même savoir ce qu’elle lisait ; puis, ayant rangé dans le bahut sa corbeille à ouvrage, elle commença de se déshabiller.
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