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19/09/2007

Le destin

Ceux qui ont lu Le retour du professeur de danse de Henning Mankell savent que ce n’est pas facile de lâcher le bouquin en cours de route. L’auteur aborde le mécanisme psychologique par lequel une victime peut basculer en bourreau ponctuel, et montre comment les bourreaux se mettent à la merci d’évènements impondérables, répercussions inéluctables de leurs crimes. Le personnage principal du roman, Stefan, tâtonne dans le brouillard, vacille, n’est jamais au bout de ses peines. Je vous invite à lire cet extrait où il découvre que son père était nazi, comme si le destin avait décidé de ne plus le ménager :

 

Stefan resta assis. Il devait partir. Mais quelque chose le retenait. Il ressortit du tiroir le dossier à la reliure abîmée, l’ouvrit et chercha la lettre L. « Lennartsson, David - cotisation payée par sa femme. » Il tourna la page. Ce fut comme si on l’avait frappé. Il n’était en rien préparé à ce coup. Pas plus que si un ennemi l’avait attaqué par derrière. Mais pas d’erreur, c’était bien le nom de son père. « Evert Lindman, décédé - cotisation payée pour vingt-cinq ans. » Figurait aussi la date de sa mort, en 1992. Et puis ce détail qui balaya les derniers doutes de Stefan. Il se rappelait très clairement l’entrevue avec un avocat ami de son père, lors du règlement de la succession. Le testament, établi un an environ avant sa mort, faisait don de quinze mille couronnes - une somme suffisamment importante pour ne pas passer inaperçue - à une fondation, Stiftelsen Sveriges Väl, (littéralement : « Le bien de la Suède »), qui possédait un numéro de compte postal, mais pas d’adresse. Stefan s’était interrogé sur ce don, et sur cette mystérieuse fondation. Mais l’avocat avait affirmé que la volonté du défunt ne faisait aucun doute, qu’il avait même été très clair sur ce point précis. Et dans le chagrin suivant la mort de son père, Stefan n’y avait plus repensé.

Voilà que ce don ressurgissait, contre toute attente, dans l’appartement confiné d’Emil Wetterstedt. Stefan ne pouvait se soustraire à cette évidence. Son père avait été un homme d’extrême droite. L’un de ceux qui cachaient leurs opinions. Un représentant de la masse grise. C’était inimaginable. Pourtant, c’était vrai. Stefan comprit soudain pourquoi Wetterstedt l’avait interrogé sur son nom et sur sa ville d’origine. Il savait ce que Stefan ignorait encore à ce moment-là. Son père avait été comme Wetterstedt, comme Molin, comme Elsa Berggren.

Il rangea le dossier, referma le tiroir et remit la lampe à sa place. Il s’aperçut que sa main tremblait. Puis il vérifia avec soin qu’il n’avait rien perdu ni oublié. Deux heures moins le quart du matin. Il était pressé de sortir de là, de mettre une distance entre lui et les secrets du bureau de Wetterstedt. Avant de sortir, il attendit quelques instants, aux aguets. Puis il se glissa dehors et referma la porte fracturée du mieux qu’il put.

 

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