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09/08/2007

Suite de la nouvelle : "Le Beau costume"

Comme promis la suite du conte , « le beau costume » , qui a dû prendre sa source dans certains souvenirs de Wells. Sa poésie se dégage de l’atmosphère propice à l’évasion du jeune garçon qui se libère ainsi du carcan des conventions.

Cette nuit particulière sublime, transcende tout . Ce n’est pas sans rappeler un certain poème de Baudelaire que vous trouverez sur ce blog.

Je vous propose l'anlyse de cette nouvelle, entre autres, de Dobrinsky : «… narration plus dépouillée, allégorique, de plusieurs des meilleurs récits de maturité de Wells, comme « Le Pays des aveugles » (1904) et « La Porte dans le mur » (1906). Il s’agit dans la plupart des cas d’interrogations psychologiques sur le sens de la vie et de la mort, la part du sentiment, l’importance du rêve et de la beauté …

À la manière d’un conte de fée, « le Beau costume » dit l’histoire d’un complet du dimanche tendrement tissé par une mère pour son fils mais dont, par souci de le ménager, elle lui interdit le port quotidien jusqu’à ce qu’en un sursaut de révolte nocturne, il l’endosse en secret pour une libre promenade à travers la campagne.

Cette distribution et l’essence du conflit s’inspirent évidemment du passé de l’auteur, dans ses rapports mi-affectueux, mi-rebelles avec une mère conformiste et surprotectrice. Au culte des apparences et à une austérité puritaine s’oppose une protestation hédoniste et d’anarchisme esthétique. Deux traits spécifient le message de cette « fable lunaire » (le titre primitif du conte) : une insistance, la nuit de l’escapade, sur la beauté onirique du paysage, baigné par les reflets argentés de la pleine lune : et le fait que cette plongée dans une existence affranchie et ardente s’achève dans une mort extasiée. Avec un décalage de plusieurs années, ces motifs – éloge d’une quête artiste de sensations, apothéose de cet affranchissement dans une mort romantique – prolongent deux veines typiquement fin de siècle.

L’écriture, d’une élégance sobre, est traversée par des élans lyriques dans la relation de l’escapade au clair de lune, à travers une nature transfigurée. Elle fait appel à des symboles traditionnels : traversée d’un étang baptismal ; vol d’un papillon annonciateur d’une mort spiritualisante. La conclusion, ouverte quant à la nature du triomphe suggéré, laisse une part poétique à l’interprétation du lecteur. Le nouvelliste anecdotique et « réaliste » des textes précédents s’est, lui aussi, transcendé à ce titre. »

Dobrinsky

Malgré sa joie infinie, le petit homme s’abstint de crier ou de chanter. Il resta un moment immobile, comme saisi d’une crainte respectueuse, puis, en poussant un petit cri étrange et en ouvrant tout grand les bras, il sortit du jardin en courant, comme s’il voulait étreindre d’un coup toute l’immensité du globe terrestre. Il ne suivit pas les sentiers bien tracés et bien entretenus qui quadrillaient le jardin, mais s’enfonça à travers les parterres et parmi les hautes herbes aromatiques humides, parmi les cassolettes, les pieds de tabac et les touffes de fleurs de guimauve, d’un blanc spectral, parmi les gros buissons de citronnelles et de lavandes, et il s’enfonça jusqu’aux genoux dans un grand carré de résédas. Arrivé à la grande haie, il s’y força un passage ; les épines des ronciers avaient beau le griffer profondément et arracher des fils de son merveilleux costume, les bardanes, les gratterons, la folle avoine avaient beau se prendre dans ses vêtements et y rester accrochés, il n’en avait cure. Il n’en avait cure, car il savait que le port, ardemment désiré, de son costume impliquait tout cela. « Je suis content de l’avoir mis, dit-il, je suis content de l’avoir porté. »

Après la haie, il arriva à la mare aux canards ou, tout au moins, à ce qui était la mare aux canards dans le jour. Mais, à la nuit, c’était une grande vasque pleine de rayons de lune argentés et envahie par le chant des grenouilles ; pleine des merveilleux rayons argentés de lune, tressés et figés selon d’étranges arabesques. Et le petit homme courut entre les joncs sveltes et noirs pour entrer dans l’onde : il s’y enfonça jusqu’aux genoux, puis jusqu’à la taille, puis jusqu’aux épaules, frappant l’eau avec une main ou l’autre en soulevant des vaguelettes noires et luisantes, des vaguelettes qui oscillaient et frissonnaient et où les étoiles étaient prises à la nasse dans les reflets entrelacés des arbres mélancoliques de la rive. Il marcha en s’enfonçant dans l’eau, puis nagea et traversa ainsi la mare et ressortit sur l’autre rive, en traînant derrière lui, à ce qu’il lui sembla, non pas des lentilles d’eau mais bel et bien de l’argent en longues masses ruisselantes qui s’accrochaient à lui. Et il monta en traversant l’enchevêtrement des épilobes transfigurés et les herbes non fauchées, montées en graines, de la rive opposée. Il arriva joyeux, tout essoufflé, à la grand-route. « Ma joie, dit-il, est infinie, d’avoir eu des vêtements dignes de cette occasion »

La grand-route courait droit comme un vol de flèche : elle s’enfonçait tout droit dans l’abîme bleu foncé du ciel sous la lune, une route blanche et brillante, entre les rossignols qui chantaient ; et il s’y engagea, tantôt en courant et en bondissant, tantôt en marchant avec jubilation, vêtu du costume que sa mère lui avait fait de ses mains tendres et inlassables. La route était recouverte d’une épaisse poussière, mais ce n’était pour lui qu’une blancheur moelleuse, et, tandis qu’il avançait rapidement, trempé et chatoyant, un grand papillon de nuit indistinct vint voleter autour de sa silhouette. D’abord il ne prit pas garde à ce papillon, puis il agita les bras pour le saluer et se livra à une sorte de danse pour accompagner son vol circulaire autour de sa tête : « Doux papillon, s’écria-t-il, cher papillon ! Et merveilleuse nuit, merveilleuse nuit du monde ! Trouves-tu, cher papillon, que mes vêtements sont beaux ? Aussi beaux que les écailles de tes ailes et que tous ces voiles d’argent de la terre et du ciel ? »

Et le papillon tourna de plus en plus près jusqu’au moment enfin où les ailes lui effleurèrent légèrement les lèvres …

Et, le lendemain matin, on le retrouva mort, le cou brisé, au fond de la carrière de pierres : ses vêtements qui portaient des traces de sang étaient souillés, tachés par les lentilles d’eau provenant de la mare. Mais son visage était si radieux que, si vous l’aviez vu, vous auriez bien compris qu’il était mort heureux, sans jamais reconnaître dans cette fraîche coulée d’argent les lentilles de la mare.

H.G. Wells, traduction Dobrinsky

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