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08/11/2012

Haies fleuries, un poème de Armand Dehorne

le poème se termine par l'expression d'un sentiment de culpabilité, de honte même, de fatalité et de compassion mélangées. Son chant sous-tend le texte jusqu'au bout. Voici le poème :

HAIES FLEURIES

 

O voitures, j’ai mal dans mon corps désolant

Des plaintes d’un ami malheureux, ressemblant,

Qui pleure à la fenêtre au-dessus de sa ville…

 

Les étoiles débiles

Ont grand’peine à paraître,

Le conducteur se tait, 

Les nuées sont rapides.

 

Le cri de la chouette

Est plus faux que jamais.

Tous les lieux que j’aimais

Dépérissent en moi,

Se muent en clarinettes,

Qui chantent d’un long nez

Les amours de benêts.

 

Reviendrez-vous pour moi, comètes des charmilles ?

Reviendrez-vous un jour, brûlantes jeunes filles ?

Vos sanglots sur mon cœur tiennent lieu de famille.

 

O voiture, qui vas cahotant ton vieux bruit,

Dans les basses prairies de minuit,

Les vaches, épaissies par de gluants herbages,

Poussent, non des soupirs, mais des souffles sauvages,

Qui montent en geysers sans qu’on les voie descendre ! 

Dis-moi, toi qui secoues tes planches grelottantes,

Toi qui portes mon corps, mais ne l’as pas connu,

Pour qui balances-tu ta lanterne de corne

Qui n’est pas allumée ?

Est-ce un homme vivant que tu crois ramener

Ou bien quelques sanglots de farouche hyménée ?

 

Gambadent devant nous,

Se jettent à genoux,

Se mordent dans le cou,

Gémissent tout à coup,

De nombreuses licornes,

Qui, de ton dur cheval et de ma fièvre nées,

Dans ce vieux animal, reviendront s’enfermer !

 

Voiture ! Que de soins, que de jeunes vocables,

Pour dire qu’on s’ennuie et qu’on est détestable…

Si tu veux t’arrêter, arrêtons-nous, qu’importe !

« Autant ici qu’ailleurs », lirait-on sur la porte.

Quel pays désormais s’ajusterait aux cris

Dont se blesse lui-même un orgueil si meurtri ?

Autant ici qu’ailleurs…

Le poids de la douleur fait basculer la terre ;

Amour ne s’aime pas ; malheur au solitaire !

 

La forte odeur du gros cheval

Emplit chaudement la carriole.

Les licornes, ces faux-narvals,

Recommencent leurs cabrioles

Qui ne sont point navales.

 

Oh ! J’ai peur des maisons tristement retirées,

Emules seulement des muets végétaux,

Qui s’écoutent mourir en briques desserrées

Au bout d’un sentier fourbe et qui s’enlise tôt.

 

Qu’y fait sournoisement l’humanité cupide ?

Les gens ! De quels argents ont-ils l’heure occupée,

Ruminants de manants, dont les têtes stupides,

Plutôt feignant de l’être !

Ne s’évadent jamais par la moindre échappée !

 

Pourquoi chercher, pourquoi comprendre ?

Charge plutôt ton front de cendres !

Ici, comme là-bas, dans le même moment,

Simultanéité des laideurs éternelles,

Tous les maux sont conçus et sont exécutés !

 

Vivre ! Crime normal, affaire ténébreuse,

Injustice parfaite et sournoise infamie,

Atrocité qu’on loue et dégoûtant triomphe.

 

Je fus vil et coupable autant que tous les autres,

Mais peut-on se vanter des flammes de la honte ?

J’étouffe ma mémoire et je veux oublier. 

08:15 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

06/11/2012

Noyelles

Voici un poème entier de Armand Dehorne, tout un climat derrière les coteaux bleus et les piles d'assiettes. Le poème s'intitule Noyelles ; Noyelles est le nom d'une commune du Pas-de-Calais

NOYELLES

 

Les chaussées Brunehaut pendent bas dans l’histoire.

La croupe du terrain mélodieux remue

Comme une belle hanche avec les cuisses nues.

A quel nom, pour quel monde et vers quel élément

Se dédieront un jour autant de lieux charmants ?

 

Septembre au long des haies avec la pèlerine,

Une rose à la main, la dernière ; Septembre !

O vaches en chaleur des berges de la Sambre.

J’écrase un pis grossier sur ma dure poitrine.

Vaches ! Vos quatre seins dans une même cloche,

Vaches ! Vos sentiments que la brise effiloche,

N’importe quelle idée un ange continue !

 

Or, les choses debout sont des moments forcés ;

Le vent s’occupe mal des endroits effacés !

Et sentir qu’on s’en va colore jusqu’aux nues

L’infinité de mains qui s’emparent des flammes.

Dans les affres du ciel ma part est contenue,

Et j’engouffre assez haut l’offre amère des âmes.

 

Emporté comme avant l’histoire

Par des alcyons de pâtures,

Et, des nuits, dans leurs ailes sourdes,

Est-ce là mon heureux départ :

Vouloir quelque chose d’absurde,

La charité tenue à part ?

 

Routes de table rase et sans profession,

Je participe tendre à des faits en retard

Qui, mouvant la nature, ont des tours admirables,

Mais gardent leurs secrets, passants incomparables !

 

Sur un plan cadastral connais-tu ces lavis ?

Tant de cœurs pour mon cœur qui n’aima que les routes !

Les grappes de maisons noircissent à leur branche ;

A droite, mur pourri crevé de trous sauvages

Laissant voir les plâtras et l’ortie d’un décombre.

A gauche, tas nouveaux de briques odorantes !

 

Mes mains ne sont donc pas égales et pareilles.

Car l’une, vers la mort et vers la pourriture,

Vers le déclin, l’abîme et l’horreur, est tournée.

L’autre regarde l’aube en reflétant des briques :

C’est l’avenir rougi du sang des renaissances !

 

La route entre elles deux s’échappe, marche ou rampe,

Ecoutant si l’on vit dans la paix mitoyenne.

Route des petits pas ou des larges foulées,

Hommes, femmes, enfants quels vieux peuples l’ont faite !

Pieds saignants, déformés, pieds douloureux et laids ?

 

La route, quelle peine et quels temps infinis !

Quel lamentable amas de semelles usées !

Quel déplorable chant de la victoire humaine !

Oh ! Penser à genoux l’histoire de la route…

 

Sur un tel monument de la race locale,

Sur cette addition remuante de pas,

A mon tour je me dresse, il faut partir, et simple,

Moi le dernier de tous et le plus ressemblant,

Je convertis du songe en fureur musculaire.

 

Le vide tourbillonne et mon ombre est sonore.

De la pointe du cœur forçant les portes claires,

Ma poitrine commande aux pays circulaires.

Anxieux et tranquille à la fois, déjà double,

Je me laisse happer par le but que je trouble.

La distance est vorace et le temps me dévore !

 

— Tu vois, c’est l’homme à visions

Pratiquant mal l’évasion

Dans la plus chaude incohérence.

 

L’insolite des aventures

N’est pas du tout pour ces natures,

Mais le spectacle de leur transe !

 

Bleus coteaux, les piles d’assiettes…  

09:13 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

02/11/2012

Poète du Nord

Colère et désespoir sublimés ; Armand Dehorne est un poète du Nord, scientifique émérite aussi ; il a fait de "vieux os", certainement la poésie l'a-t-elle retenu sur la rive, du moins à en croire ce que témoigne de lutte intérieure les derniers vers de son poème Deûle ( une rivière canalisée de Lille ).   Tristesse pas  insupportable, La poésie de Dehorne a résisté, le chant et la compassion généreuse du poète ont transcendé ce gros paquet d'angoisse. Note précédente, mélancolie du chant des baleines, mais là pas de colère à dépasser, la beauté est directement accessible. Quelques vers d'Armand Dehorne : 

...

Mais, aux gueules de suie hautement reportées,

Jusques au bout des tubulaires cheminées,

D’autres flammes sont nées.

Industriellement recommence la vie,

Avec des pleurs et des abois

Dans la gorge de la sirène,

Et des soupirs longs d’ouvrières

Après des bois sentimentaux

Et des prés bleus fendus de rives…

 

Forçat ! Du noir poussier charge tes plis d’oreilles ;

Ton crâne bout sous ta casquette dégoûtée,

Ta bouche affreuse cautérise ses gencives

Avec des paquets de tabac.

Et tu maudis stupidement les éléments,

Leur reprochant d’être trop bas,

Lorsque tu fais rouler au machefer qui crie

L’obésité d’une tourie.

 

Kühlmann et Cie, ô laideur des chimies !

Sur le terrain crispé de fraîches escarbilles,

Où mon pas s’irrita d’une vive silice,

Se chauffent au soleil, gros œufs de terre cuite

Pondus par la fabrique,

Des milliers de touries d’acide sulfurique !

 

Assez vécu, bonhomme affreux !

Assez gémi devant le mufle des heureux,

Assez grogné, rude carcasse qui se casse

En des besognes d’indigence !

Ne rentre plus dans ton taudis de vieux bandit,

Qu’on en finisse avec la grande contingence !

Tuons la vie, à deux, veux-tu ?

Toi l’haridelle humaine usée en quels brancards,

Moi le maigre Satan qui ricane à l’écart.

 

Rejoignons-nous, collatéraux,

Sous l’épaisseur d’une même eau.

Couple assorti, couple banal,

Dans la lenteur ignoble du canal

Je te ferai, tu me feras — quel bel été !

Nous nous ferons tous deux en réciprocité,

La vive dédicace

D’un corps injurieux plein d’ordure et de crasse.

Armand Dehorne

06:24 Publié dans Note, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)