14/11/2012
Le poème d'une étudiante
J'espère que vous avez lu la note précédente au sujet de la relation qu'entretenait André Peragallo, un poète du nord, avec un autre poète du nord, Armand Dehorne. Leur amitié est née de leur amour commun de la poésie, une amitié qui rayonne jusqu'à nous. Voici maintenant un poème que j'ai lu par hasard sur un blog, il m'a touchée par sa justesse, le poème traduit le dénuement de l'homme puis sa lente évolution face à la mort de l'autre, un autre qu'il aime. L'étudiante l'a écrit en anglais, pour ceux qui ne le parlent pas, je vais en donner une traduction sommaire. Donc, voici ce poème qui s'intitule Les cinq étapes du deuil, vous trouverez à la fin le lien du blog où l'étudiante parle de son expérience dans sa note du samedi 10 novembre 2012.
Yes, I know, I’ve heard the news
But I don’t react the right way
What are those words that people say
I try to pick up on their cues
But if you want the truth, the truth
I can’t believe you went away
So maybe you did after all
And I do have to keep going
But what if I keep on pretending
That I’ll see you, that you will call
It’ll be our secret, a way to stall
Until I am done grieving
How could it happen anyway
How could you leave me all alone
What is this world full of clones
Who won’t let me mourn my own way
Who ask if I will be okay
When on your memory they throw stones
What is this world and is it worth
Trying and trying and for what
Getting bruised and grazed and cut
Until our death, up from our birth
What do we accomplish here on earth
What bright side is there to look at
So you are not here anymore
Don’t know if you’re still listening
I think I feel you lingering
And you should know I’m okay now
I found what I was looking for
So you can spread your wings
Oui, j'ai entendu les nouvelles
Mais je ne peux pas réagir correctement
Que sont ces mots que disent les gens
J'essaie de donner la réplique
Mais si tu veux la vérité, la vérité
est que je ne peux pas croire que tu sois parti
Peut-être qu'après tout, c'est vrai
et je dois continuer, il le faut
mais je persiste à faire semblant
que je te reverrai, que tu m'appelleras
Ce sera notre secret, une façon de différer
jusqu'à ce que j'aie réussi à faire le deuil
Comment cela a-t-il pu arriver
Comment pourrais-tu me laisser toute seule
Qu'est-ce que ce monde empli de clones
Qui ne veulent pas me laisser pleurer à ma façon
qui me demandent de faire face
alors qu'ils bafouent ta mémoire
Qu'est-ce que ce monde et cela vaut-il la peine
d'essayer encore et encore pour finalement
se retrouver meurtri, écorché et isolé
jusqu'à notre mort, depuis notre naissance
Qu'est-ce que nous faisons ici, sur terre
Y a-t-il un côté positif dans tout cela
Ainsi tu n'es plus ici
Je ne sais pas si tu m'entends toujours
J'ai l'impression de te sentir t'attarder dans les parages
Tu dois sans doute savoir que je vais bien maintenant
J'ai trouvé ce que je cherchais
Tu peux déployer tes ailes
Le blog de l'auteure : http://cleetfil.hautetfort.com/
08:53 Publié dans Poésie, Site | Lien permanent | Commentaires (0)
12/11/2012
Argile
ARGILE PLAT D’ETAIN
La tendresse naît du malheur,
Mais je n’en suis qu’à mi-hauteur !
Je multiplie en moi quatre bohémiennes
Qui soulèvent un pan des forêts indiennes.
Ça forme une clairière au sol de cassonade
Qui s’emplit de clairons ou qui sent la grillade.
Ces petites Vénus tendent leur cou de chèvre
Et me jettent au loin des cerises, leurs lèvres !
Les remparts sans honneur où les chiens vont mourir,
Déjà miraculeux, font semblant de s’ouvrir,
Par une déhiscence adorable des briques
Dégageant des parfums immédiats, théoriques.
Je l’ai dit, tant de fois ! Surtout les soirs d’été :
Le secret véritable est la simplicité !
Les baraques de fer reçoivent du goudron,
Le couchant de biais traverse les salades.
Le monde sans vitesse est enfin doux et rond
Et je viens d’être heureux comme un homme malade.
L’instant délicieux se sépare de l’heure,
Et plonge dans lui seul comme un être qui pleure,
Moi qui croyais encore aux luttes primitives,
A peine si mon âme a des ombres actives !
Je suis très las sans être triste.
En ta faveur, calme Univers !
Et par amour des lieux déserts,
Je me renonce et me désiste.
Mais pour aller jusqu’à la nuit
Sans connaître la répugnance,
Je garderai ma patience,
La vertu qui manque de bruit !
Imminent sur le vide, un soleil jalousé
Nous redonne le goût des édens framboisés.
Pas assez ! Jamais trop ! Fertiles métaphores,
Embrassez-le, ce cœur qui veut sauter plus fort !
J’ai l’aspect de mes souvenirs ;
Il n’est rien en moi qui ne pense ;
Le paysage me rumine,
Mon propre regard examine
Si je suis l’homme en concordance.
Ai-je bien mangé mon décor,
Ce morceau de faubourg et ma part suburbaine
De chiffons, de ferraille et d’obliques sirènes ?
Avec lui, longtemps, je fais corps.
Et des ormes fléchis fondent dans ma salive,
Et les noirs campements ont de belles lessives.
Des cygnes tout bleuis, portant bas leur plastron,
Naissent du linge, ou d’un grand drap de mince neige,
A moins qu’ils soient issus du maigre fil de fer !
Mythes facétieux, délicats sortilèges !
Quand ils prendront leur vol, je n’aurai plus de fièvre,
Mais la fleur grêle, oui ! Le nom de Jésus à la bouche !
Jésus veut-il me prendre,
Osé-je le comprendre ?
Et si l’église vient à sortir d la ville,
Va-t-elle s’implanter à son tour dans un île
Entièrement feutrée et à ma ressemblance ?
Elle s’allonge, elle s’éclaire ;
Même elle éclate, peuplant l’air
D’incompatibles projectiles.
Oh ! Sitôt que mon sort comprend moins le mystère,
L’univers se complique en usant du silence.
Je danserai ma mort sur des claviers grossis,
Je pourrirai sans nom dans les bruns harmoniums !
Et vous voilà, grand ciel refusant de noircir,
Occident fatigué, faibles couches de cire
Achevant de briller sur les tendres péniches
D’un Canteleu qui mène au banal Haubourdin.
Vous voilà, pays neutre, honorables jardins !
Je me retrouve seul, inclus dans la substance.
D’un grand nombre de fruits qui tournent pour les hommes.
On se prolonge ainsi dans les plus tendres sommes.
Et, privé de contours, j’ai beaucoup d’existences !
Aller, partir, finir,
Ne plus jamais se dévêtir !
Je change moins de contenu,
Ma chair au songe est convertie.
Aimer ! Mourir de sympathie,
Passer les murs de l’inconnu !
Aimer pour apprendre à mourir !
Mais vous, sombres déchets, abondantes Fumées
Qui rouliez, sans ouvrir vos spirales fermées,
A la place des nues,
Et vous refroidissiez en d’énormes volumes
Plus légers que des plumes,
Qu’êtes-vous devenues ?
— Oh la la ! nous, c’est différent ;
Nous ne rentrons pas dans le rang,
Non oedificandi !
Là-bas, toujours, on fait des pas, les plus fugaces !
On fait le tour du papier peint des paradis,
Non oedificandi !
Armand Dehorne
05:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)
09/11/2012
Arbre à palabres
Il suffit de lire à haute voix certains poèmes d‘Armand Dehorne pour chanter, plutôt dans le grave, en approfondissant presque instinctivement la voix, l’expiration se prolonge, comme en plongée. Depuis quelques jours je m’adonne à ce genre d’exercice durant quelques minutes. Lecture muette : ça chante déjà intérieurement ; la mémoire se réactive sur des choses à propos desquelles on ne se sent pas forcément concerné, du moins directement. Evocation sensuelle et mélodique de moments que le poète parvient à faire partager au lecteur attentif. Je ne vous donnerai pas une explication de texte, il y a juste à sentir, c’est pourquoi j’avais parlé du chant des baleines. Voici un poème intégral :
INTERMITTENCE
On entend clouer à la hâte,
Non des cercueils mais des baraques
Pour les filles du chiffonnier,
De magnifiques créatures.
La ville aime beaucoup les chaleurs printanières ;
Celles qui font bondir à travers leur crinière
Les femmes de trente ans, surprises de leur force
Autant que des rondeurs de leurs profondes cuisses ;
Les femmes, cris de haine et d’insatiable amour !
Souvent, dans ces beaux jours dont raffolent les êtres,
Il se fait un miracle aux lieux qui sont propices…
Un calme étrange est survenu
Qui soulage et pourtant fait mal.
On dirait l’apport d’un corps nu
Par une vague sans histoire.
L’air épaissi, doré, se refuse à couler.
Au confluent rouillé des ruelles exquises,
Il reste surchargé d’un excès de musique,
Sorte d’huile odorante en marche sur de l’eau.
Son arrêt singulier semble un arrêt du cœur.
Emprisonnant des fleurs saoules et dégrafées,
Des chiens qui n’aboient plus, des gens qui se regardent,
Etonnés, mais contents de n’avoir plus de rage,
Voilà qu’il cristallise en sucre de groseille,
Ainsi qu’un sirop lent dans sa longue bouteille.
La maison est un bloc de bonheur sans fissure,
Où la famille plonge en un bien collectif
De tendresse distraite et de volupté sûre ;
Le souvenir des morts redevient inactif.
Tout un rauque faubourg mouvementé se prend
En un cube vermeil qui reste transparent.
Les visages tirés se fixent solitaires,
Les filles qui chantaient coagulent songeuses,
Et de longs hommes roux, qui mangent de la suie,
En s’immobilisant prennent devant l’usine
L’air suspendu, rêveur, de plantes sous-marines…
Beau cristal translucide où chacun sent sa vie
Pour de bon achevée et tendrement ravie.
Et, dans la profondeur qui ressemble à du verre,
Des gestes commencés pendent interrompus,
Comme des ex-votos de membres corrompus,
Au fond d’une chapelle et près d’une verrière.
Même un cheval, surpris dans un semblant de rire,
Devant un cabaret, baille éternellement !
09:22 Publié dans Note, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)