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22/07/2013

Jean Follain

AFFRONTER L’ANIMAL

 

 

 

N’est pas toujours facile

d’affronter l’animal

même s’il vous regarde sans trouble ni haine

il le fait fixement

et semble dédaigner

le fin secret qu’il porte

paraît mieux sentir

l’évidence du monde

celle qui jours et nuits

taraude et blesse à l’âme

dans le bruit, le silence.

 

 

(D’après tout, éd. Gallimard)

 

 

 

SUR LES SEUILS

 

 

Ceux qui inlassablement regardent

sur les seuils

sans rien faire d’autre

voient frémir l’herbage

l’attente les a durcis

apercevant ceux-là qui s’avancent

sans savoir où aller

ne regrettant pas

le règne des rois

ils ne cherchent pas à se faire meilleurs

ni à tuer

fût-ce l’insecte silencieux

qui gravit leur main.

 

 

(D’après tout, éd. Gallimard)

 

 

 

LES ENFANTS

 

 

Les enfants jouent au théâtre

jusqu’à l’heure

du souper dans la nuit qui vient

alors les grandes personnes les appellent

le garçon a les yeux si clairs

puis voici celle qui mourra jeune

et celle dont sera seul le corps

tous se lavent les mains dans l’ombre

près des végétaux flamboyants

et sont encore à ce temps

que l’on vit dans l’éternité.

 

 

(Territoires, éd. Gallimard)

 

 

 

 

DES HOMMES

 


Au milieu d'un grand luminaire
on voyait discuter des hommes
en proie à la grande peur
d'autres pleuraient      ,
on trouvait aussi les amants
de la secrète beauté
ils gagnaient les anciens faubourgs
et rejoignaient leurs compagnes
marchant pieds nus
sur les planchers de bois blanc
pour ne pas réveiller.

 


extraits du livre Exister de Jean Follain. Éditions Gallimard, 1969. Page 40

 

 

 À propos de Jean Follain :

 

"Il disait : « Tout fait événement pour qui sais frémir ».
Il nomme, il dénomme précisément, toujours avec une voix presque chuchotée mais avec le mot juste, irréductible, vagabond humble, simple de tous les villages qui sait tous les anciens grimoires, les vieux outils, les anciens rites. Amant « de la secrète beauté », il ne peut concevoir le monde sans les petites choses qui font les humains respectables, leurs peurs, leurs rêves, leurs amours. Il semble cacher des témoignages secrets au fond de ses mots.
Il demeure ce promeneur en poésie qui se souvient de chaque herbe de son enfance :
« alors que dans un champ / de son enfance éternelle / le poète se promène / qui ne veut rien oublier ». (Jean Follain).

Il est à part, il est en nous. Discret, osant à peine se faire une petite place, il est là presque inaperçu.Et ces petits « riens » que sont ses poèmes font de vastes bouffées de souvenance. Il soupesait le poids du monde en touchant, en effleurant les objets, les verrous secrets de l’enfance. L’avenir de sa poésie se cache dans les plis des dits et des non-dits de ses mots, si simples en apparence, mais qui ont su retenir le toit des sentiments. Elle ne se lit pas, elle s’insinue en nous. Pour longtemps.

A-t-il lui aussi tremblé d’exister ?" Gil Pressnitzer

 

 

 

 

 

 

12:07 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

20/07/2013

Préambule - Jean Cocteau

 Préambule

 

A force de vouloir être

 

Dans cette solitude où

 

De n’être rien les autres craignent

 

A force d’oublier de vivre

 

Traqué par la peur d’un esclandre

 

Évitant que n’importe quel

 

Joyeux drille ne s’aperçoive

 

De mon effort d’être je n’ose

 

Ni manger ni boire ni

 

M’attabler au bord de leurs danses

 

A force de vivre sous

 

L’uniforme mal connu

 

D’une légion étrangère

 

A force de me donner l’air

 

De n’avoir pas l’air à force

 

De m’engluer dans mes pièges

 

A force de me dire s’ils veulent

 

Voir mes papiers je suis perdu

 

Bref à force de feindre

 

D’être des leurs moi le voleur

 

Aux semelles de silence

 

A force de donner le change

 

Et pour l’ombre d’un bossu

 

Avoir pris celle des anges

 

Et d’alourdir mon scaphandre

 

D’Œuvres de plus en plus suspectes

 

A la barque des beaux rameurs

 

A force de suivre les ombres

 

De fantômes sans châteaux

 

Styx sur tes désertes rives

 

Sans avoir vécu je meurs.

 

 

 

 

 

Le Requiem, éd. Gallimard

 

 

15:51 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

Chant dans le vent - Marie Noel

 

 

A Yves-Gérard Le Dantec

 

 

Le vent emporte au loin sa fille qui pleure,

Le vent va la cacher loin dans son pays,

Le vent que la terre et le ciel ont trahi

Fuit sans terre ni ciel, fuit vers sa demeure.

 

 

Il fuit parmi les collines effrayées,

Par les blés tourmentés, les seigles… Il fuit…

En vain la petite église agenouillée

Sur les chaumes se voue à prier pour lui.

 

 

Il fuit les prés, l’étang, la lande, il s’enfonce

Dans la grande mélancolie au long soir

Où nul n’est entré derrière les bois noirs,

Où se perd l’écho sans donner de réponse.

 

 

Il fuit où ne sait plus personne. C’est là,

Quelque part dans une angoisse qu’il traverse,

C’est là que tout bas, plaintivement, il berce

Sa fille qui va mourir du mal qu’elle a.

 

 

C’est là que d’une haleine pas entendue,

Il caresse, il chante avec un cri fermé,

Il endort à mi-voix sa fille perdue

Dont le chagrin jamais ne sera calmé.

 

…………………………………………………........

 

Mais voici des chasseurs entre les feuillages.

Pour chercher le nid du vent ils sont partis.

Ils sont montés haut sur le plateau sauvage

Où meurt le sentier qui n’a plus de petits.

 

 

Il veulent aller prendre en la solitude

Le secret du pays âpre, mais le vent

Farouche, le vent, de toutes ses mains rudes,

Leur barre l’espace autour de son enfant.

 

 

Il oppose à leur marche ses mains hurlantes,

Il retourne leur route, il dresse contre eux

Un mur désespéré d’ailes violentes,

Part, au loin s’appelle et revient plus nombreux.

 

 

Il pousse les bois sur eux, il fonce, crie,

Leur jette aux yeux les ifs, les buissons de houx,

Il refoule avec les branches en furie

Leurs aventureux visages à grands coups.

 

 

Et leur chemin aveugle perd pied, chavire…

Le vent fuit… Il emporte à travers le temps

Sa fille dans son manteau qui se déchire,

Sa Douleur chérie où le soir pleure tant.

 

 

Il fuit, épars, il fuit… Nul ne le retrouve,

Nul n’arrive jamais au nid qu’il défend,

Où loin de la terre et loin du ciel il couve

Sous un soupir la longue mort de son enfant.

 

………………………………………………….....

 

O vent pâle, grand vent de mon pays triste,

Veux-tu pas en pleurant m’aller prendre aussi

Comme un petit oiseau sans nom qui n’existe

Que très peu dans un silence loin d’ici ?

 

 

Veux-tu pas m’aller cacher ? Je suis en fuite.

Je chantais dans un bois noir, mais le sentier

Des chasseurs s’est mis soudain à ma poursuite.

Il s prétendent me voir le cœur tout entier.

 

 

Ils veulent s’emparer du nid de mon âme.

Mais nul ne le trouvera — peut-être un seul —

Ils entendront la pie en l’air qui réclame

Beaucoup de place autour des tilleuls.

 

 

Ils s’égaieront par là de chansons et d’autres,

Mais nul n’atteindra le lointain battement

De celle qui n’a pas de frère, la nôtre,

Celle douce entre les douces tristement.

 

 

Celle qui tremble trop pour être entendue,

Si tendre qu’un seul, qui ce soir remuerait

Le feuillage où palpitante elle s’est tue,

D’un regard, d’un seul à peine, la tuerait.

 

…………………………………………………...

 

C’est ma petite fille qu’on m’a brisée,

Que le sanglot du vent me rapporte ici,

Celle qui n’est ce soir jamais apaisée

Et qu’en vain je calme en mon cœur obscurci.

 

 

Ah ! Ne laisse plus personne approcher d’elle,

Vent sauvage ! Attends qu’elle ait un peu dormi.

Plus personne… Entoure-la de sombres ailes…

Plus personne, ô vent, surtout pas un ami.

 

 

Ne laisse plus personne rompre ce somme

Où se plaint tant d’ombres, où tant de rêve a peur…

Ah ! Plus un ami surtout ! Rien n’est lourd comme

Le pas trop léger d'un ami sur le cœur.

 

 

Chasse tous les chemins hors de sa détresse,

Et le ciel, et les nuages, mais mon ami,

Lui si doux… écarte-le d’une caresse

Qui loin, loin, repousse… et retient à demi.

 

 

Prends-le dans ton souffle et l’implore, et l’entraîne

Par les pays grands pour qu’il ne passe plus,

Plus jamais sur le seuil où j’endors la peine

De ma fille en pleurs qui n’a pas de salut.

 

 

 

Où, pauvre nourrice vaine, je murmure

Sur mon enfant que rien ne peut plus guérir

Un air à voix lasse, entrecoupée, obscure,

Pour aider le temps long qu’elle passe à mourir.

 

 

 

Marie Noel - Œuvre poétique, éd. Stock

06:50 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)