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09/11/2012

Arbre à palabres

Il suffit de lire à haute voix certains poèmes d‘Armand Dehorne pour chanter, plutôt dans le grave, en approfondissant presque instinctivement la voix, l’expiration se prolonge, comme en plongée. Depuis quelques jours je m’adonne à ce genre d’exercice durant quelques minutes. Lecture muette : ça chante déjà intérieurement ; la mémoire se réactive sur des choses à propos desquelles on ne se sent pas forcément concerné, du moins directement. Evocation sensuelle et mélodique de moments que le poète parvient à faire partager au lecteur attentif. Je ne vous donnerai pas une explication de texte, il y a  juste à sentir, c’est pourquoi j’avais parlé du chant des baleines. Voici un poème intégral :

 

INTERMITTENCE

 

On entend clouer à la hâte,

Non des cercueils mais des baraques

Pour les filles du chiffonnier,

De magnifiques créatures.

 

La ville aime beaucoup les chaleurs printanières ;

Celles qui font bondir à travers leur crinière

Les femmes de trente ans, surprises de leur force

Autant que des rondeurs de leurs profondes cuisses ;

Les femmes, cris de haine et d’insatiable amour !

Souvent, dans ces beaux jours dont raffolent les êtres,

Il se fait un miracle aux lieux qui sont propices…

 

Un calme étrange est survenu

Qui soulage et pourtant fait mal.

On dirait l’apport d’un corps nu

Par une vague sans histoire.

 

L’air épaissi, doré, se refuse à couler.

Au confluent rouillé des ruelles exquises,

Il reste surchargé d’un excès de musique,

Sorte d’huile odorante en marche sur de l’eau.

Son arrêt singulier semble un arrêt du cœur.

Emprisonnant des fleurs saoules et dégrafées,

Des chiens qui n’aboient plus, des gens qui se regardent,

Etonnés, mais contents de n’avoir plus de rage,

Voilà qu’il cristallise en sucre de groseille,

Ainsi qu’un sirop lent dans sa longue bouteille.

 

La maison est un bloc de bonheur sans fissure,

Où la famille plonge en un bien collectif

De tendresse distraite et de volupté sûre ;

Le souvenir des morts redevient inactif.

 

Tout un rauque faubourg mouvementé se prend

En un cube vermeil qui reste transparent.

Les visages tirés se fixent solitaires,

Les filles qui chantaient coagulent songeuses,

Et de longs hommes roux, qui mangent de la suie,

En s’immobilisant prennent devant l’usine

L’air suspendu, rêveur, de plantes sous-marines…

Beau cristal translucide où chacun sent sa vie

Pour de bon achevée et tendrement ravie.

Et, dans la profondeur qui ressemble à du verre,

Des gestes commencés pendent interrompus,

Comme des ex-votos de membres corrompus,

Au fond d’une chapelle et près d’une verrière.

Même un cheval, surpris dans un semblant de rire,

Devant un cabaret, baille éternellement !

09:22 Publié dans Note, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

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