17/10/2013
Articulations hors contrôle
« À Soweto, elles mènent la danse
En Afique du sud, la fin de l’apartheid leur a entrouvert la porte des écoles de danse. Mais, pour cette génération de femmes chorégraphes déterminées, s’exprimer demeure un combat quotidien.
— Johannesburg, début des années 1980. La jeune Robyn Orlin, dont la famille juive originaire d’Europe de l’Est avait trouvé refuge en Afrique du Sud dans les années 1930, revient enseigner la danse dans les townships après s’être formée à Londres. Elle ose, dans ses solos, dénoncer ouvertement l’apartheid. Et révélera plus tard une nouvelle génération d’interprètes, Nelisiwe Xaba en tête. « Elle nous a ouvert la voie !» reconnaissent ses consœurs les plus jeunes - même si la relation avec cette figure de mère un peu écraante est parfois compliquée. A voir aujourd’hui Robyn Orlin, Dada Masilo, Nelisiwe Xaba, Mamela Nyamza ou Désiré Davids, impressionnante cohorte de femme chorégraphes à l’identité bien trempée, débarquer en France à l’occasion de la saison sud-africaine organisée par L’Institut français, on constate l’existence d’une constellation féminine singulière.
Début des années 1990. Nous sommes aux dernières heures de l’apartheid. La danse contemporaine sud-africaine n’est encore qu’un tout petit creuset, en marge des ballets classiques considérés, dans chaque grande ville, comme le standard bourgeois et européen où les corps noirs n’entrent pa! Ni sur scène ni dans la salle. Mais l’étau commence à se desserrer de Soweto (Neliwise Xaba) ou de Gugulethu, un township près de Cape Town (Mamela Nyamza) parviennent à intégrer des cours classiques tout en pratiquant les danses de rues après l’école. « les deux styles m’ont construite, et je l’éprouve sur scéne : le contrôle de mon corps vient du classique. Du coup, si j’aborde les rives de la transe, c’est toujours en danseuse entraînée », raconte Mamela Nyamza, la quarantaine, devenue chorégraphe-performeuse radicale après un long parcours en compagnie. »
J’ai lu cet extrait d'article dans Télérama, écrit par Emmanuelle Bouchez
À mon avis intégrer la danse classique européenne c’est un peu dommage, elle risque d’ôter la spontanéité des danses africaines. Cela me rappelle le témoignage d’une jeune fille que j’ai rencontrée à Auch dans le contexte du travail. Une jolie jeune fille dont les parents avaient émis le vif désir de faire d'elle une danseuse classique. Son corps a été mis à si rude épreuve qu’elle devait voir un kiné régulièrement. Ses articulations craquaient avec un petit bruit de brindilles sèches, qu’elle tenait à ce que j'entende parfois en étirant ses bras en signe de preuve tangible des méfaits des cours de danse classique sur son organisme. Maltraitance involontaire de parents trop zélés ou enclins aux fantasmes de gloire dirons nous, et beauté.
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Respiration
Dans toutes les religions il y a des choses qui me paraissent à la limite de la mesquinerie, tout au moins à première vue ; les impressions comptent pour beaucoup dans l’idée que l’on se fait de quelque chose, bien que comme chacun sait, il ne faille pas toujours s’y fier. Cependant les religions dégagent aussi du positif à mon sens. Le texte mis en ligne précédemment parle de certains traits du catholicisme, catholicisme que je connais bien pour avoir été dévote jusque l’âge de douze ans. Cette prose relève de la poésie également parce qu’elle évoque une figure pour moi hautement poétique, qui est celle de la madone. L’auteur, du fait sûrement que ses personnages soient dans sa peau, écrit Sainte vierge. En ce qui me concerne, l’image de mère candide et sublime à la fois de Myriam prévaut nettement sur la croyance en sa virginité, qui n’a à mes yeux pas d'importance. Projection des dévots sur leur sainte qui devient du même coup leur mère spirituelle en raison des qualités qu’ils lui prêtent. En dépit du fils assassiné, ils l’imaginent bien au-delà de la vengeance. Ce qui est assez impressionnant. Projection en effet de leur propre aspiration au sublime sur elle, susceptible d’élever n’importe qui jusque là où l’amour le porte. Autre possibilité qui tient de la croyance établie, foi à l’état pur, Marie mère de Jésus, est sublime en soi, sainte, et c’est elle qui porte. Elle est seule capable de cette miséricorde envers les misérables qui ne rêvent que de règlements de compte ou crimes. Tellement en mesure d’une telle miséricorde que des miracles peuvent parfois se produire au gré de la connexion des croyants avec elle.
Pour revenir aux choses qui me paraissent à la limite de la mesquinerie dans les religions. Dans le catholicisme, j’ai toujours été dérangée, bien que je ne sois pas plus vampire que diablesse, par la vue du crucifix. Hélas, j’ai été « servie » si l’on peut dire, puisque jadis, lorsque mes parents ont acheté un coin de terrain pourtant pas bien grand, ils ont été obligés ce faisant, d’acheter le calvaire qui faisait partie du lot. J’ai donc dû, jusque mes dix-huit ans, supporter cette vision qui me faisait sinon baisser la tête, regarder la croix avec une contriction bizarre de fausse coupable en voie d'exacerbation, d'exaspération durable pourrais-je même affirmer. Quand je rends visite à mes parents, je détourne les yeux de cette croix imposante de bien presque deux mètres cinquante de haut, perchée, qui plus est, sur son monticule de ciment. Elles sont nombreuses dans le département et les voyant, on peut se demander en toute logique si les catholiques croient vraiment en la résurrection. J'avais une amie à l'époque qui, sarcastique, m'a avoué un jour que chez elle, on nous appelait, mes sœurs et moi, "les filles du calvaire", une blague de catho quoi. Je confesse que là encore une pointe bien sentie d'exaspération planta son petit clou en moi.
Je suis, par voie de conséquence, comme soulagée de voir bouddha représenté non pas torturé, mais au contraire reposé, en paix. Mais, car il y a toujours un - mais - pour moi en presque tout, le concept du karma est ce qui ne me paraît pas vraiment sympathique dans le bouddhisme car il tend une perche pour se détourner des autres lorsqu'une tuile leur tombe méchamment dessus. Comme si chaque religion avait ses lacunes et d’autres côtés qui mettent en poésie, autrement dit pour moi, en respiration.
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16/10/2013
Et un groupe de femmes veillait sur les rochers
"Cependant la cloche, dans la chapelle, hélait encore plaintivement car il manquait trois barques, et un groupe de femmes veillait sur les rochers.
Mais avant minuit deux d’entre elles revinrent et, comme l’équipage ayant ramassé les filets, se dirigeait vers les maisons, une vieille lui barra le chemin.
— « Je Cherche » est-elle loin ?— demanda-t-elle tout bas.
— Savons pas, la mère. Tout de suite après midi le brouillard et le vent nous ont saisis. Nous nous sommes perdus. Peut-être qu’elle vient derrière nous, peut-être qu’elle s’est égarée ou ben qu’elle attend près des Sirènes que le brouillard soit tombé. Le temps est mauvais ; au large le flot vient d’en bas, le vent est court et le brouillard étouffe ; c’est seulement près des rochers que nous avons entendu les cloches. Ayez pas peur, y reviendront au matin. Bonne nuit, mère Caradec !
Elle ne répondit pas, elle écoutait l’océan.
Depuis longtemps déjà, le rivage s’était tu ; les derniers paniers de poissons avaient été enlevés des barques, quelque part la dernière porte s’était refermée, le dernier cabaret était clos et la dernière fenêtre s’était éteinte ; la mère Caradec veillait encore. Elle attendait son fils et sa fière « Je Cherche ». Elle attendait.
La nuit retomba silencieuse, obscure, humide. Les brumes enveloppaient le monde de leurs voiles noirs, mouillés, sur lesquels de temps en temps brillaient les éclats argentés de lumières lointaines. L’océan s’effondrait lourdement dans l’obscurité, les eaux s’amassaient ; on entendait la foule tumultueuse des vagues sortir des profondeurs et éclabousser les bords avec une plainte. La lutte sauvage, acharnée, avec la terre, recommençait.
Le village dormait, les maisonnettes en granit s’étaient assoupies, et les ruelles étroites, les routes interminables reposaient inertes au fond de la nuit.
Dans la chapelle déserte, embrumée, une lampe brûlait et parmi les reflets tremblants, dorés, émergeait, spectrale, la figure violette de la Sainte-Vierge et ses yeux immobiles regardaient à travers le brouillard, à travers le monde entier.
Assise sur le seuil, la mère Caradec égrenait un chapelet.
Patiemment elle attendait son fils et sa « Je Cherche ».
La pluie filtrait sans cesse et la frappait à la tête avec un murmure monotone assoupissant. Parfois les lames du flux crachaient sur elle une immonde écume salée ; mais elle ne sentait pas le froid ; absorbée dans sa prière elle ne savait ce qui se passait autour d’elle.
Elle disait son chapelet, pesant longtemps chaque grain, murmurant chaque mot avec un infini amour ; cette prière la défendait contre l’inquiétude et la frayeur dont les serpents flamboyants enveloppaient son cœur en des étreintes étouffantes. Par moments elle oubliait la prière, le chapelet s’échappait de ses mains et ses yeux se dirigeaient, craintifs, dans l’obscurité menaçante et lugubre.
Elle cherchait son fils là bas et ne trouvait que l’effroi, car, venus des brumes, les terribles fantômes du passé entouraient son âme.
Ils éveillèrent en elle les anciennes minutes maudites et douloureuses.
— Ayez pitié de moi ô Mère de miséricorde ! — murmurait-elle suppliante, revenant dans le cercle des reflets dorés. Et, comme un oison abandonné, elle se blottissait confiante aux pieds de la statue sacrée ; elle voulait s’enfuir loin de ces fantômes lugubres ; mais les anciennes douleurs, les anciens désespoirs, comme des cadavres, se levaient des tombes de l’oubli."
Intégral : http://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Reymont%20-...
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