27/10/2013
Mémoire d'un voyou
"Les dortoirs, étaient installés sous les combles. La lumière y pénétrait largement de toute part, car les fenêtres mansardées y étaient nombreuses. Une allée centrale partageait les six rangées de lits, celles contre les murs réservées aux anciens, où les places d’angle constituaient le privilège des meilleurs élèves, des plus sages, des moins soupçonnables, ou de ceux qui paraissaient avoir la vocation. C’est pourtant sur l’une de ces couches exemplaires que j’ai surpris par hasard, un soir d’été, tout le monde en récréation et le dortoir des grands vide, le futur séminariste qui en jouissait en train d’étreindre et baisoter un garçon de la division des moyens dont la blondeur, le joli teint et des fesses qui remplissaient trop sa culotte faisaient des ravages. Le pion couchait derrière un rideau, près des cabinets.
Il y avait, à la tête de chaque lit, une petite table qui portait une cuvette minuscule et un pot à eau ; la contenance de celui-ci ne dépassait guère un litre. L’hiver, il arrivait qu’il fallût, au réveil, briser avec le manche de sa brosse à dents la pellicule de glace qui s’y était formée durant la nuit. Bien que, dans l’Aveyron, les hivers soient extrêmement rigoureux, Saint-Gabriel était dépourvu non seulement d’eau courante mais de tout moyen de chauffage à l’intention des pensionnaires. Pas le moindre poêle, sauf à l’infirmerie ; les pères et le personnel laïc pouvaient faire du feu dans leur chambre. Seule douceur permise : l’abonnement à la bouillote, contre une modeste contribution au domestique du dortoir. On se défendait du froid avec des chandails, un passe-montagne, de gros cache-nez, des mitaines à l’intérieur, des gants fourrés au-dehors. Le trousseau comportait obligatoirement des chaussons et une paire de sabots cloutés, qu’on enfilait pour sortir et dont il fallait, avant de rentrer, gratter la neige, qui sévissait de décembre à mars. Engelures et gerçures tuméfiaient les doigts, enflammaient la peau des cuisses et fendillaient celle des lèvres. Je m’aperçois aujourd’hui que nous étions des petits martyrs.
Le manque d’hygiène m’étonne encore. A peine se débarbouillait-on ; on se lavait les pieds la veille des vacances de Carnaval, de Pâques et de Pentecôte, assis par brochettes sur les bancs du réfectoire, où un garçon nous apportait de la cuisine des bassins d’eau chaude ; enfin, on prenait un bain par an, dans un établissement de la ville, la semaine de la distribution des prix. Cérémonie périlleuse au cours de laquelle les pères, chargés de notre surveillance, s’affolaient de nous savoir tout nus en train de regarder et tripoter notre corps. Le Taureau veillait lui-même, montre en main, à ce que personne ne séjournât plus de dix minutes dans cette antichambre de l’enfer. Les bons pères ne se trompaient pas : presque tout le monde s’y branlait.
Il reste à dire que les chiottes des cours de récréation étaient d’une saleté repoussante."
Maurice Chapelan Mémoire d'un voyou, Grasset, extrait page 105
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26/10/2013
Ensuite
Le canal a mauvaise réputation, s'y sont passés des événements glauques, des agissements merdiques, on s'y débarrassait non seulement d'objets usés mais aussi d'animaux domestiques indésirables, presque une tradition ; ce canal représente même pour certains qui le trouvent pour toutes ces raisons sinistre une invitation au suicide. Un adolescent s'est pendu il y a quelques mois à la poutrelle du pont de Saint Fleuris je crois, un endroit dont le romantisme me touche, qui incite à se recueillir selon moi. Je ne suis pas la seule à voir le canal autrement, un peintre, notamment, pas célèbre encore mais à qui je trouve beaucoup de talent, peint le canal comme Van Gogh peint la Provence. Un jour je l'ai vu dans la salle d'attente d'un vétérinaire, je lui ai parlé de ces toiles ensoleillées, il m'a répondu, que tout était dans sa tête, il tenait donc plus de Picasso dans sa démarche d'artiste. Ce peintre en question a échappé au destin réservé aux enfants des mineurs de fond, qui était de travailler à la mine à leur tour. Grâce à son oncle il a appris le métier de marinier. D'où sa perception du canal qui le sauva, pour ainsi dire, des eaux. Ce sentiment d'émerveillement, en dépit donc des nombreux drames qui se déroulèrent sur ces berges ; j'ai omis de parler des soldats anglais qui formaient là les lignes de défense ou de réserve durant la bataille de la Lys, au cours de la première guerre mondiale. L'expérience personnelle peut transcender tout ça et c'est heureux.
Une personne aimante voit son partenaire beau ou belle, quand beaucoup d'autres lui trouvent une tête de choux. Je regarde cet endroit apparemment banal avec attention, je me rappelle ces histoires dramatiques qui s'attachent à lui et je plaide non coupable. Au début pourtant, comme beaucoup j'imagine, j'étais si bien impressionnée par la mélancolie du lieu que j'avais peur, je l'ai plusieurs fois quitté précipitamment, sans raison apparente. Je pense qu'il faut l'écouter pour qu'il devienne fréquentable. Et le canal commence à faire quelques adeptes, dont à une époque, un promeneur d'âne. Un promeneur d'âne, et la magie a opéré.
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Lady night et les ladies
j'en étais ici de cette promenade. Retour vers Béthune.
Les ponts se succèdent tous les deux-trois kilomètres, parfois ils sont comme jumeaux. Le paysage garde le même style durant des kilomètres mais son aspect peut changer suivant les humeurs du temps qui sont variables d'un instant à l'autre certains jours. Voici Lady night.
Trigkster, au nom sévère (néerlandais ?) , suit Lady night d'assez près.
Elle arbore différents drapeaux. Trigkster pavoise, mine de rien.
Le nom sonne sévère, les propriétaires de la péniche ne le sont pas forcément.
Ce groupe de volatiles me laisse perplexe. Je les appellerai les "canards-cygnes".
Le groupe de tête.
Et le traînard. Les autres vont finir par le devancer d'une quinzaine de mètres. Il ne panique pas, les suit à son rythme. Est-il vieux ou handicapé ? Je trouve qu'il nage curieusement.
Le groupe qui s'apprêtait à le semer a décidé de faire demi-tour. Il les rejoint. De la solidarité chez les canards-cygnes ? Une riveraine m'a affirmé un jour, que oui, à propos justement d'un canard handicapé.
Des cavalières que je ne connais pas arrivent, je les prends de loin en photo car on ne verra pas leur visage.
Je vais vers elle, "je me suis permis" etc. alléguant que de loin on ne voit pas les visages. "mais ça ne nous dérange pas ! Allez-y !" et là-dessus elles se rapprochent en guise de confirmation. J'aurais dû zoomer. De plus j'ai involontairement flouté leur visage, quel dommage ! Les chevaux ont manifestement l'air de poser aussi pour la photo. Touchante entente du quatuor.
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