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09/10/2013

Le cercle enchanté

 Nadine était allée chez Dany dans le cadre de son travail d'aide à domicile, c’est ainsi qu’elle avait fait sa connaissance et celle de Bertrand,  le fils handicapé.  Lorsqu’elle arrivait chez eux, deux fois par semaine, tout, à peu près, était en ordre dans la maison, le père déjà parti au travail ; le sac était prêt, Nadine savait que la journée allait se dérouler dans la forêt où l’on pique-niquerait pour profiter au mieux du beau temps en cette saison de printemps qui tenait sa promesse, ils repassaient ensuite tous trois par l’église avant de quitter Grosbois,  juste pour écouter ensemble la résonnance de leurs pas, mais il arrivait, à l'improviste, que l'orgue donnât à entendre ses envolées majestueuses, elles ravissaient Bertrand et, par effet de contagion, d'autant plus les deux femmes. Dany parlait peu et de Dieu jamais mais manifestement l’endroit lui plaisait, et si quelque dévot se trouvait par hasard en prière, elle le regardait à la dérobée, l’air pensif. Le soir Nadine rejoignait son domicile où l'attendaient ses filles, et se réhabituait peu à peu au babillage plaisant de la petite, et aux questions de la plus grande. Celle-ci  observait avec une certaine gravité sa mère qui lui donnait l’impression de rentrer d’un long voyage.

— Aujourd‘hui, c‘était chez Dany, ne manquait-elle pas de dire.

— C’était chez Dany confirmait Nadine.

Puis vint le jour où elle ne trouva que Dany dans la maison, Bertrand était hospitalisé depuis deux jours déjà ; Dany, le  regard absent, après un bref résumé de la situation, lui demanda de l’accompagner à l’hôpital.

Un long trajet en bus, tout en silences et paroles brèves, et elles se dirigèrent bientôt vers la salle d’attente. Un incident insolite se produisit alors. Un enfant, ayant reconnu Dany, déjà venue l’avant-veille, échappa à la surveillance de son père, et  d’emblée lui tint des propos  glauques qui concernaient Bertrand, propos délirants où il était question de cage de verre dans laquelle l'enfant, d‘après lui se trouvait enfermé la plupart du temps, et de raillerie des autres patients à son encontre. Ne le laissez pas là dit-il enfin avant de rejoindre son père. L’enfant blond avait, tout aussi soudainement, parlé avec fierté de la Kabylie d’où il venait. Nadine considéra Dany avec stupeur, celle-ci se contenta de prononcer quelques phrases laconiques pour rassurer l’enfant, dans une quasi indifférence de somnambule.

Elles purent enfin  se promener avec Bertrand dans le parc de l’hôpital, Dany parla du même ton absent du traitement qu’il faudrait désormais administrer à Bertrand, en raison de ses crises. Tout n’était plus que passage obligé. L’enfant regarda sa mère une supplique dans les yeux avant qu’ils ne se quittent. Nadine, qui assistait à cette scène oublia alors instantanément tout ce qui la rattachait à son quotidien, sa réalité, à cette terre que Dany avait l’air de quitter elle aussi en saluant Bertrand. Les jambes cotonneuses les deux femmes se dirigèrent vers la sortie, rêvaient-elles ? Dany invita l'accompagnatrice à prendre un café au bistrot du coin et Nadine accepta. Les gens devisaient, allaient et venaient dans ce petit troquet chaleureux de quartier, tandis que Dany semblait prêter attention aux diverses conversations de comptoir, ne regardant plus à la dérobée cette fois, comme pour les dévots de l’église mais fixant au contraire l’un ou l’autre client avec une sorte de concentration aussi inadéquate qu'inopportune.  « quelque chose ne va pas ? » demanda Nadine.

« c’est comme cela que j’ai appris à lire sur les lèvres. » Lui répondit Dany, enlevant de chaque oreille une grosse boule quiès.

— Ne me dites pas que depuis tout à l’heure, vous lisez sur les lèvres… de … vous avez entendu ce que l’enfant blond vous disait tout à l’heure ?

— comment aurais-je pu ? Mais j’ai compris ce qu‘il disait je crois… Il a des mouvements de lèvres assez explicites. Pour autant, n‘en parlons plus.

— …

— Vous savez, j’ai pris l’habitude de mettre des boules quiès pour regarder des films d’horreur avec Paul. Je déteste les films d’horreur mais Paul aime beaucoup. Je ne voulais pas le laisser tout seul devant l’écran. À partir de là, j’ai constaté cette évidence en quoi c’est principalement la musique, le son  qui produit la peur dans le cinéma d'horreur, d’où les boules quiès. Et puis j’ai étendu la pratique pour les lieux difficiles ... 

Nadine ne s'attendait pas à ce qu'elle prit d'abord pour un manque de courage éhonté mais se contenta d'opiner du chef.

— Bientôt vous apprendrez la langue des signes, si vous vous sentez bien dans l’univers des sourds.

Dany rangea ses boules quiès dans une petite boîte et, frémissante tout à coup, tenta de donner sens aux événements. Une sorte de colère semblait vouloir s'emparer d'elle en vain. Elle s’en prit néanmoins à l’établissement qu’avait fréquenté Bertrand et qui pour elle était la source de tous les maux qu’il endurait désormais, sa violence venait de là, elle n’en doutait pas.

Les protagonistes se regardèrent durant quelques longues secondes… .

— Personne ici ne  s'imagine... ne pense aux patients juste en face. Déclara Nadine, l'air incrédule.

— Personne, répondit Dany.

Un accord tacite entre les deux femmes pris naissance à ce moment, une promesse au-delà des mots. Cet instant même où, sans raison apparente, le destin de l’une faisait trembler sur ses bases une autre, une presque inconnue.

Dany est morte. Nadine maintenant approche seule le cercle vicieux où Bertrand se perd peu à peu, parfois de son bras maigre il semble vouloir l’y faire tomber mais la morte lui parle, elle, de l’autre côté du tympan, du cercle vertueux d'un monde meilleur.

07/10/2013

Science en conscience

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06/10/2013

Lecture et image du jour

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"Un meurtre est tout, comme le montre l'ouverture de La Condition humaine de Malraux, un meurtre, un seul meurtre est tout, tout autant que 77 ou 10 000. Or, qui n'est pas parvenu à nous faire ressentir un frisson d'horreur sacrée en décrivant un seul meurtre, comme celui d'une usurière par un étudiant fauché ou d'un homme par un autre, ne parviendra jamais à nous émouvoir en en décrivant 76 autres ou 9 999 autres."

 

 

Plus loin dans l'article le critique littéraire écrit ceci à propos notamment de l'esprit scientifique de l'écrivain, esprit qui tourne à l'horrible : 

 

"«Ces considérations hautement philosophiques sur la nature darwinienne et lorenzienne de l'homme depuis qu'il s'est séparé de son très lointain ancêtre bonobesque (pour revenir à celui-ci dans bien des cas, dirait l'auteur, amateur de métaphores animalières), bien d'autres propos encore qui forment le soubassement pour le moins friable sur lequel s'appuie la multitude d'exemples et de chiffres donnés par Laurent Obertone, sont très instructifs, puisqu'ils nous font soupçonner, derrière le stuc d'un nietzschéisme de bazar et, bien davantage encore, mais surtout plus grave, d'un spencérisme bon teint, un mur de froideur inattaquable sur lequel la plus humble radicelle de vertu et, surtout, réflexion chrétienne, aurait encore du mal à trouver prise.»
Nietzschéisme de bazar qui est pesante apologie du surhomme (cf. p. 135 ou encore p. 141), spencérisme (6) bon teint... Avouons que je ne m'étais pas trompé et que le second ouvrage de Laurent Obertone tire sur cette fort maigre ficelle idéologique (Utøya, ou le récit idéologique par excellence) jusqu'à dépouiller de son paletot loqueteux la puante dépouille d'un darwinisme social assez vulgairement exposé, comme le montrent amplement de nombreux passages du troisième chapitre, intitulé La stratégie du rat-taupe nu qui commence ainsi : «La peur est une manifestation purement biologique, animale. Nous luttons pour notre survie parce que notre organisme est programmé pour ça. Nos gènes nous ont été transmis pour leur capacité à survivre. [...] Nos gènes ne sont pas le produit du hasard, ce sont des gènes gagnants, qui présentent des caractéristiques gagnantes» (p. 97), se poursuit par : «La morale, c'est celle des gènes. Survivre, protéger les siens, s'imposer, trouver et séduire le partenaire, transmettre la vie, prendre soin des enfants... Tout s'articule autour de l'égoïsme de nos gènes» (p. 98) et «Avoir le pouvoir, c'est être mieux adapté. C'est s'imposer. C'est donc assurer sa survie dans les meilleures conditions» (p. 99), et se conclut par l'application de cette pseudo-théorie scientifique à la société tout entière : «C'est comme ça que nous avons dominé le monde entier. C'est comme ça que les gènes des plus forts, puis des plus intelligents se sont répandus. L'organisation eusociale [celle des rats-taupes nus (7)], c'est le nationalisme, une compétition entre États-nations, ce que nous avons fait de mieux» (p. 101), Anders Breivik se proposant donc, de la plus radicale des façons, de relancer la «compétition pour la vie» (p. 103) en ayant décidé, comme un rat-taupe incapable de (ou dans son cas, désireux de ne pas) se reproduire, de se «sacrifier pour la colonie», son action permettant «à d'autres nordiques, les reproducteurs, de transmettre leur génome dans de bonnes conditions, à l'abri des envahisseurs venus de galeries orientales» (p. 112), afin que sa nation ne se mobilise plus «pour interdire à ses enfants d'avoir peur de l'envahisseur» (p. 113)."

http://www.juanasensio.com/archive/2013/09/22/utøya-de-la...

10:44 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)