06/10/2013
Lecture et image du jour
"Un meurtre est tout, comme le montre l'ouverture de La Condition humaine de Malraux, un meurtre, un seul meurtre est tout, tout autant que 77 ou 10 000. Or, qui n'est pas parvenu à nous faire ressentir un frisson d'horreur sacrée en décrivant un seul meurtre, comme celui d'une usurière par un étudiant fauché ou d'un homme par un autre, ne parviendra jamais à nous émouvoir en en décrivant 76 autres ou 9 999 autres."
Plus loin dans l'article le critique littéraire écrit ceci à propos notamment de l'esprit scientifique de l'écrivain, esprit qui tourne à l'horrible :
"«Ces considérations hautement philosophiques sur la nature darwinienne et lorenzienne de l'homme depuis qu'il s'est séparé de son très lointain ancêtre bonobesque (pour revenir à celui-ci dans bien des cas, dirait l'auteur, amateur de métaphores animalières), bien d'autres propos encore qui forment le soubassement pour le moins friable sur lequel s'appuie la multitude d'exemples et de chiffres donnés par Laurent Obertone, sont très instructifs, puisqu'ils nous font soupçonner, derrière le stuc d'un nietzschéisme de bazar et, bien davantage encore, mais surtout plus grave, d'un spencérisme bon teint, un mur de froideur inattaquable sur lequel la plus humble radicelle de vertu et, surtout, réflexion chrétienne, aurait encore du mal à trouver prise.»
Nietzschéisme de bazar qui est pesante apologie du surhomme (cf. p. 135 ou encore p. 141), spencérisme (6) bon teint... Avouons que je ne m'étais pas trompé et que le second ouvrage de Laurent Obertone tire sur cette fort maigre ficelle idéologique (Utøya, ou le récit idéologique par excellence) jusqu'à dépouiller de son paletot loqueteux la puante dépouille d'un darwinisme social assez vulgairement exposé, comme le montrent amplement de nombreux passages du troisième chapitre, intitulé La stratégie du rat-taupe nu qui commence ainsi : «La peur est une manifestation purement biologique, animale. Nous luttons pour notre survie parce que notre organisme est programmé pour ça. Nos gènes nous ont été transmis pour leur capacité à survivre. [...] Nos gènes ne sont pas le produit du hasard, ce sont des gènes gagnants, qui présentent des caractéristiques gagnantes» (p. 97), se poursuit par : «La morale, c'est celle des gènes. Survivre, protéger les siens, s'imposer, trouver et séduire le partenaire, transmettre la vie, prendre soin des enfants... Tout s'articule autour de l'égoïsme de nos gènes» (p. 98) et «Avoir le pouvoir, c'est être mieux adapté. C'est s'imposer. C'est donc assurer sa survie dans les meilleures conditions» (p. 99), et se conclut par l'application de cette pseudo-théorie scientifique à la société tout entière : «C'est comme ça que nous avons dominé le monde entier. C'est comme ça que les gènes des plus forts, puis des plus intelligents se sont répandus. L'organisation eusociale [celle des rats-taupes nus (7)], c'est le nationalisme, une compétition entre États-nations, ce que nous avons fait de mieux» (p. 101), Anders Breivik se proposant donc, de la plus radicale des façons, de relancer la «compétition pour la vie» (p. 103) en ayant décidé, comme un rat-taupe incapable de (ou dans son cas, désireux de ne pas) se reproduire, de se «sacrifier pour la colonie», son action permettant «à d'autres nordiques, les reproducteurs, de transmettre leur génome dans de bonnes conditions, à l'abri des envahisseurs venus de galeries orientales» (p. 112), afin que sa nation ne se mobilise plus «pour interdire à ses enfants d'avoir peur de l'envahisseur» (p. 113)."
http://www.juanasensio.com/archive/2013/09/22/utøya-de-la...
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