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06/07/2012

La Corne d'abondance, suite des Marcheurs

Jeudi se laissa emporter, épuisé, vers la Corne d’abondance.   

Dora s’était rendue dans le grenier de la maison, là où l’on aimait à se représenter les bienveillants fantômes des premiers habitants, là également où Jeudi et elle avaient fait l’amour pour la première fois, alors qu’elle lui présentait un assortiment de vêtements de change après l’avoir sauvé de l’agression d’une bande de Bléassengh ; cela à l‘insu de son compagnon d’alors, Hector, qui en fut quand il l’apprit par la suite, assez meurtri. Elle s’apprêta dans le coin salle de bain, se parfuma et attendit fébrilement. Des bruits de voix se firent entendre en bas, Hector riait, Jeudi semblait murmurer. Le café était en train de se faire à en juger au parfum qui se répandait dans la maison, elle entendit Tom et Odette qui descendaient précipitamment les escaliers, l’enthousiasme d’une joie enfantine au coeur.

— Mais oui, tu peux l’embrasser aussi ce robot Tom, il l’a bien mérité ! 

Tout le monde s’esclaffa, seule Dora tremblait, elle sentait la présence magnétique de Jeudi, il était déjà près d’elle lui semblait-il. Tout le monde la savait submergée par l‘émotion dès qu‘il s‘agissait de lui et comprenait son attitude. Chacun félicita Jeudi, le réchauffa de son amitié ; on dégusta un café et personne ne s’attarda. Ils le laissèrent s’éclipser. Aucun d’eux n’avait mentionné Dora mais il savait où la trouver. Quand la porte s’ouvrit, elle ne fut pas trop étonnée de voir deux hommes s’avancer en souriant vers elle. Hector avait été son premier mari, la séparation, bien que douloureuse, n’avait pas détruit l’amour qu’ils se portaient, Jeudi les savait encore épris l’un de l’autre ; il aimait Hector presque autant que Dora, le désir en moins. Jeudi et Dora s’embrassèrent, elle enlaça ensuite Hector. Les trois balbutiaient leur bonheur à la façon d’enfants maladroits. Les amoureux firent l’amour, Hector caressant la tête de Dora qui se retourna enfin vers lui, lui chuchotant son admiration, elle le remerciait d’avoir sauvé Jeudi. Ils restèrent ensemble durant un certain temps pendant lequel la rumeur s’ébruita que les ébats dans le grenier concernaient aussi bien Hector que le rescapé. "Ouf ! dit doctement Monsieur Dross, je pensais que Dora  trompait Jeudi avec Hector ces derniers jours, mais il n’en est rien. Rien à dire en ce cas, c’est loyal et mâture."  Les autres se rangèrent à son avis, trouvant, dans le contexte de la rencontre de Jeudi et Dora, la chose assez normale compte tenu qu’Hector n’avait toujours pas repris véritablement femme depuis le départ de Dora, son épouse d’alors, avec Jeudi. Les collègues de la zone verte ne trouvaient pas Dora réellement belle comme l’était Géraldine par exemple, mais désirable. Après tout Hector et elle avaient ensemble de grands enfants, déjà étudiants par ailleurs. Ces deux là s’aimaient encore, ils s'en étaient bien douté, et ce, en dépit du coup de foudre qui s’éternisait entre Jeudi et Dora. Ils pensèrent que Jeudi faisait preuve d’intelligence, son empathie naturelle pour Hector, et maintenant sa reconnaissance, tout cela avait rendu la chose, a priori hors du commun, du rapport intime à trois, assez naturelle finalement, les concernant, et spontanée leur semblait-il. Lorsqu’ils poussèrent plus loin la réflexion, ils en conclurent que des retrouvailles de ce genre à deux leur eussent au bout du compte, paru mesquines à l’encontre du pauvre Hector. Ils se quittèrent un sourire de bienveillance aux lèvres pour les amoureux, après avoir mis Tom et Odette quelque peu interdits, dans la confidence. De mémoire de Louradiens, jamais on avait entendu femme plus expansive sur le plan vocal, que Dora. Ils estimèrent quant à eux que leurs nouvelles connaissances, ils n’osaient plus dire amis après leur expérience récente avec les faux gueux, agissaient en accord avec leurs convictions pacifistes, balayant ainsi au passage d’absurdes rivalités.

04/07/2012

Le retour de Jeudi

— Non mon amie, cette drogue est plus douce. C’est une question d’éthique. Patientez que diable ! Vous le retrouverez bientôt votre cher compagnon, regardez voilà Hector qui se pointe, par robot infirmier interposé cette fois.

En effet la porte du tribunal où se trouvaient Jeudi et ses ennemis, avachis à souhait et toujours larmoyants, s’était entr’ouverte pour laisser passer un robot d’apparence humaine. Il se dirigea vers Jeudi d‘un pas assez assuré, arrivé à proximité du malheureux, il se mit en devoir de se présenter et déclara de sa voix métallique : « Robot-infirmier. Provisoirement en automatique. Téléguide Hector d’ici vingt secondes. Le diagnostique a été établi à 14 heures quarante minutes douze secondes. Une piqûre antidote va vous être faite. En cas de résistance, plaquage au sol. »

Pour toute réponse Jeudi renifla un grand coup et demanda laconiquement au robot s’il lui arrivait d’uriner. Un petit bruit mécanique se fit entendre. 

— Je viens de reprendre les commandes. Re-salut Jeudi. J’ai mis le robot en automatique le temps d’aller pisser. Il t’a mis au courant du protocole ? Si tu bouges trop brusquement, plaquage au sol. Il met en place le garrot ;  il est très perfectionné, très souple. La piqûre va très vite te remettre les idées en place et tu pourras prendre la voiture qui t’attend en face du tribunal. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous craignons que Le Noble ne soit qu’un pion du gouvernement. Quand ils vont s’apercevoir que quelque chose cloche à Bléassengh et que Le Noble est dans les vapes, ils vont envoyer d’autres gens à la rescousse. Il faut faire vite. »

Jeudi se frottait le bras à l’endroit de la piqûre, il émergeait doucement en écoutant la voix d’Hector. « J’ai coupé le contact avec les chiens dit celui-ci, Dora et Dross sont déconnectés. Il paraît que Dross voulait te faire un petit cours sur notre philosophie non violente, basée sur le principe d'une relative indifférence concernant les personnes très violentes. Ces individus n’ont besoin selon nous, ni de notre amour dont ils n’ont que faire, ni de notre haine, voilà en résumé. Dross t'aurais expliqué cela mieux que moi mais nous n’avons pas le temps. Laisse Piéaumur et ses gens là où ils sont et  suis le robot. Ah oui c'est vrai, il te tient la main. Il est doux  en dépit de la ferraille. »

— Il me pince les doigts.

— Je desserre, ça va mieux ?

— Oui, c’est bon. Sauf qu’il accélère drôlement l’allure, on court presque maintenant.

— Il a raison répondit Hector. Voilà, vous êtes sortis. La voiture qui clignote en feux de détresse, juste devant les marches, c’est la nôtre, tu montes dedans et tu laisses faire, profites-en pour faire un petit somme de récupération. D’ici une demi-heure je te réveille en personne et nous boirons un café ensemble. »

Hector mit le robot en automatique et tout se passa cette fois comme prévu. Jeudi se laissa emporter, épuisé, vers la Corne d’abondance.

 

Les Marcheurs - Retrouvailles retardées

— Un robot-voiture va arriver, il va les ramener à Bléassengh. Nous allons rendre à Le Noble ses hommes de main. Un autre, direction La Corne d’abondance va venir vous rechercher tous les deux. Jeudi ne devrait pas tarder lui aussi à rentrer en voiture téléprogrammée. Là-bas la police-robot de Bléassengh a neutralisé les habitants agressifs en même temps que ceux-là qui nous auront servi de sirène d’alarme. Jeudi a été libéré par la même occasion. J’ai réussi à le joindre par chien interposé pendant que Dora vous parlait. À propos des Bléassengh, je n’aurai pas cru devoir en arriver là. Il faut croire que nous les aimions un peu ces démons, jusqu’au bout nous avons espéré un changement de leur part…

Dora répondit d’une voix émue 

— Nous ne serons jamais assez sentimentaux…  

 

Le docteur Dross conseilla à Dora qui venait d'entrer en conversation avec lui de ne pas se mettre tout de suite en contact avec Jeudi via l’un des chiens robots qui encerclaient ses ennemis.

— Je ne vous conseille pas de lui parler maintenant Dora, il a reçu une flèche accidentellement, il pleure, il  soupire sans cesse, et il délire de temps à autre en raison du choc des dernières heures vécues avec les Bléassengh. Il vaudrait mieux le laisser tranquille jusqu’à demain.

 

— Merci de m’avoir prévenu Charles. Je connais les effets de cette drogue, je saurai faire la part des choses. 

Là-dessus Dora se connecta au réseau de Bléassengh 

— Tu m’entends Jeudi ? J’étais tellement inquiète ! 

Jeudi se taisait, essayait de reprendre son souffle, reniflait, elle l’entendit soudain parler à Madame Piéaumur, qu'elle put voir grâce à la caméra incorporée, recroquevillée dans un coin de la pièce où trônait un bureau massif en haut d'une estrade assez monumentale.

— Au fond, vous avez gagné Madame Piéaumur, je suis devenu comme vous, je n’éprouve d’empathie pour aucun de vos enfants que vous exhibez si fièrement et ça me rend très mal. Je voudrais retourner quelque part où je pourrais éprouver de nouveau de l’empathie parce que vivre comme vous, de la haine de l’autre, moi je ne pourrais pas. C’est tout simplement impossible pour moi. Je préfèrerais le suicide. Je ne sais pas comment vous faites. Ouais, nous sommes radicalement différents, c'est bien ce que je disais.

Le docteur Dross, gêné tenta une intervention :

— C’est la drogue qui vous rend triste Jeudi. Pleurez et taisez vous. Dora vous entend.

— Toi le chien ferme ta gueule. Je suis comme le saint Maçon des Râteaux libres, je ne crois que ce que je vois. Et je ne pense pas que dans ce clébard, il y ait mon ami Dross, pas plus que dans celui-là, il y ait Dora. Dora, je l’ai perdue. Je les ai perdus mes amis et en les perdant j’ai trouvé Piéaumur et sa clique. Sa clique qui me faisait un procès truqué, à la va-vite comme d'hab. et m’envoyait pour la seconde fois à la potence. Je pense, clébards, que vous faites partie du jeu sadique de ces salauds. Un de leurs mauvais jeux avant mon exécution et je voudrais dire à ces pleurnichards aux larmes de crocodiles qu’ils ont gagné. Effectivement, parce que leurs enfants me débectent aussi. Je suis devenu aussi mauvais qu’eux et de ce fait, je ne crois pas en l’innocence, pas même en celle des mioches. Avant j’étais candide, j’aimais, je respirais. J’ai accueilli  Dora comme un cadeau du ciel. Mais elle n’était qu’un rêve et vous Piéaumur, ma semblable, vous êtes la réalité.

Un chien ouvrit tout grand sa gueule, et Dora se fit entendre :

— C’est la drogue qui te fait cet effet Jeudi. Patiente un peu. Tu reconnais ma voix tout de même.

Cela ne fit qu'exaspérer Jeudi.

— Vous êtes allé jusqu’à lui piquer sa voix mes salauds, s'exclama-t-il, grandiloquent. C’est comme si vous lui voliez son âme. Cessez cette comédie, qu’on en finisse, achevez-moi.

Autour de lui Madame Piaumur et monsieur Todi, le visage dans les mains pleuraient silencieusement sans discontinuer, parfois à gros sanglots mal étouffés. Dora s’adressa à Dross :

— ça va faire effet combien de temps cette drogue ?

 — Le temps de lui administrer un contre-poison, pour les autres ça va durer quelques jours, le temps de recompartimenter l’hôpital en plusieurs fusées et de mettre les voiles. Si l’État trouve trace de cet engin sptial, nous pourrions apporter de l’eau au moulin de Le Noble.

Dora maugréa :

— Adieu la zone verte alors, nous abdiquons, Le Noble a réussi de toute façon à nous faire partir.

Jeudi avait suivi la conversation, il se recroquevilla avant de déclarer :

— Oui méchant chien, le chien méchant a raison, adieu l’amour, ce n’était qu’un rêve. Je suis piqué. frère chien, mon semblable, tu m‘as piqué.

Dora exaspérée soupira « quelles retrouvailles ! De bons somnifères auraient fait mieux l’affaire ! »

— Non l'amie, cette drogue est plus douce, rétorqua le docteur Dross. C’est une question d’éthique. Patientez bon sang ! Vous le retrouverez bientôt votre  compagnon, allez.