14/07/2012
Choses différemment perçues
À la Corne d’abondance, les chercheurs étaient restés attablés autour d’un petit déjeuner qui s’était éternisé après le départ de Géraldine suivi peu après de celui d‘Hector. Les mines avaient continué de s’assombrir quelque peu tandis que Dora, s’était plainte de Géraldine à ses amis. Tom et Odette avaient éprouvé quelque difficulté à se montrer compréhensifs. Petit retour en arrière à la Corne d’abondance au moment précis des récriminations de Dora :
— Je ne comprends pas cette nouvelle génération, ils se cramponnent à nous. Son chantage déloyal ne vous a pas échappé n’est-ce pas ? Une façon insidieuse de culpabiliser Hector. Vous avez vu, elle paraissait l’avoir hypnotisé, après l’excellente nuit que nous avons passé ensemble, ça n’a pas de logique, c’est étrange…
Tom prit la parole comme on se lance à l’eau
— Ben oui bredouilla-t-il avant de continuer d’un ton plus assuré : mais d’un certain côté, elle est tout de même sympathique cette Géraldine. Je crois surtout Dora que Janin est contre toi, il a des croyances terribles Janin tu sais. C’est un être très complexe. Il pense que tout le monde doit évacuer cette maison avant que les choses ne dégénèrent encore plus. À mon avis, il a envoyé Géraldine rechercher son amant. J’ai l’impression qu’elle ne serait pas venue d’elle-même, elle me semblait plutôt dans un état second. Tu devrais te méfier Dora, je vois plutôt l’intervention de Géraldine téléguidée. Mais pas à la façon d’Hector avec ses nouveaux robots humanoïdes, lui a réalisé une sorte de téléguidage hypnotique pour le bien de ses protégés.
— Janin est mon ami, Tom répliqua aussitôt Dora, et celui de Jeudi. Ils travaillent ensemble à améliorer la condition des gueux. Je ne vois pas pourquoi il instrumentaliserait Géraldine contre moi.
— Il ne l’a pas instrumentalisée vraiment, cela devait faire partie de sa thérapie. Il agit de la même manière avec Peter, et à son bénéfice… pour l’aider à surpasser certaines émotions qui l’entravent. Il force de cette manière les personnes en crise à se dépasser. Quand il a rencontré Géraldine elle se trouvait dans une sorte de détresse après la douche froide que vous lui avez administré… involontairement.
— Ah zut ! S’exclama Dora, elle n’avait qu’à participer aux « débats » au lieu de s’enfuir comme une mijaurée. On ne croirait jamais que cette effarouchée puisse être un génie des maths avec une libido aussi pauvre ! J’ai mis Géraldine en détresse ! Je pense plutôt que cette péronnelle a révélé son tempérament jaloux, possessif et déloyal. Elle doit avoir des idées régressives du genre à faire passer ses rivales pour des nymphomanes. Nos jeunes aujourd’hui sont sournois, timorés, conservateurs, sans imagination, c’est simple : tous veulent se marier avec la bénédiction d’un chamane. Nous avons affaire à une vague de bénis oui-oui et elle, elle veut entraîner mon Hector là-dedans. Eh bien je ne la laisserai pas faire ! J’irai reprendre Hector.
Odette prit la parole :
— calme-toi ! Réfléchis ! Tu t’emportes comme un volcan en éruption ! N’est pas possessif qui semble l’être à première vue. Regarde la tête que tire Jeudi, on dirait que tu es jaloux d’Hector, Jeudi et pourtant je me trompe peut-être moi aussi. Etre libéré sexuellement n’empêche pas qu’on peut en profiter pour se ré-approprier un ancien amant …
Dora qui n’apprécia que modérément la subtilité d’Odette voulut se montrer odieuse à son tour
— Raconte-nous plutôt ton rêve de cette nuit Odette
Odette ne se fit pas prier, les yeux dans le lointain elle se replongea dans une bribe de souvenir du rêve de la nuit précédente :
— Nous étions dans un appartement de Louradie, en haut d’une des tours les plus affreuses… et hautes. Je venais de retrouver une ancienne voisine. Je lui parlais du temps où, pendant les vacances elle s’était liée d’amitié avec une couturière du quartier. Il se passait de drôles d’événements en Louradie durant la période des vacances. Des gens qui « n’auraient pas dû » se rencontrer en temps normal se rencontraient durant cette période. À ce souvenir ma voisine d’antan et moi, sommes tombées dans les bras l’une de l’autre. Je lui demande ce qu‘elle a fait durant ces vacances-ci. « Eh bien me dit-elle, je suis restée ici cette fois. Regarde par la baie vitrée. Tu vois là-bas dans le ciel, tout en haut du beffroi, il y a continuellement du spectacle, du coup je n’ai pas décampé d’ici. » Je regarde alors par la baie vitrée et vois une toile bleue foncée se découper dans le ciel. C’est le rideau d’un théâtre. Il s’ouvre et des scènes grandguignolesques se succèdent. C’est vertigineux de voir un tel spectacle haut en couleurs tout là-haut, le ciel en toile de fond. « Mais que veulent-ils dire ? » Je pose la question à mon amie. Elle me répond que, dans la vie, les gens font de trois fois rien tout un cinéma et que ces scènes aident à relativiser. Nous rions à voir ces comédiens jouer de toutes leurs tripes, au bord du vide. Le rideau s’abaisse avant de s’ouvrir à nouveau, par intervalles. Ce théâtre fonctionne comme une horloge à cou-cou des temps anciens. Ma vieille connaissance et moi nous sentons en amitié. Je la serre contre moi à la manière des joueurs de rugby des livres d’histoires, sa mère arrive alors, nous prend en flagrant délit d’amitié et me prie immédiatement de sortir illico, comme si la scène lui avait paru obscène et, comme je ne m’exécute pas assez vite, elle entre en crise de nerf, je regarde une dernière fois le théâtre là-haut dans le ciel et le rêve s’éclipse.
Dora revenue à des sentiments meilleurs déclara :
— La vie en Louradie, ce devait être dur. Des gens aux principes éculés !
Tu as as fait un rêve sur la possession et les clivages inter générationnels Odette. Il parle aussi des classes sociales. Un rêve qui ne nous concerne pas ici.
— mais qui à la finale signifie quand même « let it be »
Ajouta Jeudi "et pour en revenir à Hector, dit-il, je pense qu’il a enfin pris son envol en rejoignant Géraldine."
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12/07/2012
Un cours sous les arbres
Les gueux de la forêt écoutaient attentivement Géraldine, qui avait décidé de s'improviser prof d'histoire dans le but confus de mettre un peu les choses en perspective, en cette période charnière de sa vie dans la communauté et surtout pour se lier d'amitié avec ceux qu'elle avait décidé d'apprivoiser :
— Les premières écritures servirent à consigner, à mettre de la mémoire sur tablettes d’argile, histoire notamment de se souvenir des dettes des uns et des autres, à ce propos, le premier support de la monnaie s’exprima de façon scripturale, à l’instar du chèque, avant de passer, bien plus tard, par le support métallique. Ces supports, les tablettes d’argile, le métal, le papier, n’ont évidemment pas de valeur par eux-mêmes. La monnaie en soi, est une abstraction se rapportant à un échange. Un produit ne s’échangea plus contre un autre produit dont on avait estimé une équivalence de valeur, cette estimation de la valeur s’est abstraite par le biais de la monnaie, on parle d’abstraction de la valeur… retenez bien cette formulation.
Charlotte, une femme de la communauté des gueux, s'étira et bailla avant de prendre la parole
— Il est un peu primaire ton cours d’histoire Géraldine, ton truc à toi c'est les maths. mais pour en revenir à ce qui nous tracasse au présent… tout en restant dans les questions d’échange, les Bléassenghs, estiment comme tout un chacun que les fiduciaires, c'est-à-dire vous, les chercheurs, se doivent de restituer les biens. Au fond, tout s’est passé comme avant l'invention de la monnaie entre les Bléa et vous, en terme d’échange, non ? Vous leur aviez pris la forêt « en douce », en échange de quoi vous avez tenté de les amadouer avec des robots soigneurs, infirmiers et autres ordinateurs sur pattes, et au bout du compte, ça n’a pas marché. Nous les gueux nous avons fini par savoir vos raisons d’agir ainsi... c’était une tentative pour endiguer la prolifération d’arbres aux pendus.
Elle pouffa et continua :
" Mais bon, il aurait peut-être mieux valu passer par la justice."
— Nous avons essayé de les dissuader en douceur en espérant les amener à réfléchir. Ils nous avaient idéalisés, de ce fait, il y avait un sentiment de culpabilité de notre part à leur encontre… répondit Géraldine, d'un ton conciliant.
— C’était très mal vu quand même ! insista Charlote."On ne fait qu’empirer les choses en caressant les egos dans le sens du poil… Ben oui, c’est bien ce que vous faisiez somme toute. Pour finalement être obligés de les prendre à contre-poils par la suite ! Je sais, il fallait absolument réagir ! Le Noble, en excitant les édiles de Bléassenghs contre vous par le biais de Tom et Odette vous a contraints à sortir le grand jeu. Il n’avait pas prévu les ripostes sophistiquées d’Hector, le bougre ! Certains de ses chiens sont de vraies machines de guerre. L’État ne va plus vous quitter de l’œil après ça ! Fini de déléguer. Vous restez, c'est une chance pour nous, mais serez surveillés comme l’huile sur le feu désormais et j’ai entendu dire que les Bléassenghs ont choisi ce moment pour réclamer leur indépendance, c’est d’autant plus fou qu’ils n’ont jamais été colonisés.
Ils se mirent à rire tous, sauf Géraldine quelque peu déstabilisée par l'aisance inattendue de Charlotte qu' elle avait imaginé timide. Elle regarda Hector en train de sourire à leur nouvelle connaissance, il était assis en tailleur sur l'herbe parmi les ex-gueux que Janin leur avait présenté, Peter à ses côtés. Charly, pour aider Géraldine à reprendre contenance proposa de faire de la musique.
— Un petit blues du temps des champs de coton du lointain vingtième siècle, on reste dans l'histoire ; ça vous dit ? Nous les gueux sommes des troubadours, sans la musique nous n’aurions pas pu survivre.
— OK dit Hector, c’est un bon deal. Qu’est-ce que tu dis de cette petite récré pour te faire payer ton cours d’histoire Géraldine ?
— Je donnerais dix cours pour ce genre de récré répondit-elle. On t’écoute Charly.
Les gueux se sentirent d’un apport inestimable lorque la musique commença.
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10/07/2012
Hector et Peter
Le lendemain matin les chercheurs qui avaient l’habitude de se retrouver autour de la grande table du petit déjeuner étaient là, ne manquait à l’appel que Géraldine, brillante mathématicienne en plus d’être une jeune femme de grande beauté. Elle n’avait pas, néanmoins, la renommée de Dora, n’était pas célèbre. D’un caractère plus effacé elle évitait au contraire la moindre interview concernant ses recherches et se contentait de mettre ses compétences et ses trouvailles au service des uns et des autres. Hector, Dora et Jeudi se chahutaient comme des enfants.
— Holà les enfants dit le docteur Dross, un peu de calme ! Laissez-moi vous annoncer une bonne nouvelle.
— Nous avons gagné ? demanda Jeudi. Nous restons en zone Verte ?
— Nous gardons le contrôle de cette zone, des membres du gouvernement nous ont fait savoir il y a à peine une heure qu’ils ne voient pas à qui d’autre ils pourraient confier la surveillance de cette zone volcanique, sinon à Dora et son équipe. En ce qui concerne la robotique et l’informatique, Hector leur a fait une petite démonstration qui a mis en échec les manigances de Le Noble pour nous compromettre. Par contre, côté Bléassenghins, il reste quelques problèmes à régler... leur pouvoir au niveau régional est loin d’être négligeable. Nous allons donc devoir leur rendre une grande partie de la forêt, en plus de la Corne d’abondance. Pour le tourisme, les Bléassengh pourront hélas récupérer cette grande et magnifique maison que nous avions si bien investie. Elle fait partie de leur patrimoine, d‘après le gouvernement. Janin de son côté affirme que la bicoque les réconciliera avec eux-mêmes, avec les esprits de la forêt …
— … Et qui sait, à la longue, avec les traîne-misère, ceux qui comptent pour du beurre, les gueux...
ajouta Géraldine qui venait de faire son entrée. Le trio des amoureux avaient cessé d’être turbulent, et regardaient maintenant la nouvelle venue d’un air grave, comme si la jeunesse et la beauté de Géraldine les surprenaient, la jeune femme leur avait communiqué sa mélancolie, elle continua :
« J’ai passé la nuit avec Peter, Janin, sa fille et quelques gueux. Je leur ai raconté les performances d’Hector avec les robots, ils ont été rassurés. Hector, de qui j’étais vaguement la petite amie avant-hier encore … »
Au prénom de son fils Odette avait redoublé d’attention, mais outre cela, Géraldine lui devint soudainement sympathique en dépit de sa beauté froide.
— Tu as donc traversé la forêt seule ? C’était truffé de robots patrouilleurs ! Ils auraient pu t’immobiliser jusqu’à ce qu’on s’inquiète de ton absence. Tu n’as pas voulu que je te mette une puce. On t’aurait vu arriver ici, menottes aux mains. Tu as failli te tourner en ridicule ! commenta Hector.
— D’autres s’en étaient bien chargés avant moi, répondit Géraldine sans passion. J’avais besoin de me retrouver. Tiens voilà ton jouet, ajouta-t-elle
Géraldine lui lança la tablette qui lui permettait de mettre les robots sous contrôle.
— Tu avais piqué ma tablette ! Les robots montent toujours la garde au moins ? Tu n’as pas fait de bêtise ?
— Je ne suis pas une enfant, ne prends pas ce ton avec moi ! Je leur ai donné le mot de passe. Toi, Janin et moi, étions les seuls à le connaître, si tu t’en souviens.
— Tu veux que je revienne Géraldine ? Attends, je te rejoins bientôt, le temps de prendre mes affaires.
— Non. Ton attitude m’a fait réfléchir, reste avec Dora et Jeudi si le cœur t’en dit. Janin et moi avons d’autres préoccupations que les vôtres. Nous cherchons un moyen de pacifier les Bléassengh. Janin m’a donné une idée : enseigner les math à d’anciens gueux qui sont avec lui depuis quelque temps déjà. À ceux qui le veulent, et qui ont des dispositions pour les maths évidemment. Ensuite nous les guiderons vers les Bléassenghs qui ont besoin de se perfectionner dans cette matière.
— Les robots sont d’excellents professeurs argumenta Hector. Et les Bléassenghs n’accepteront jamais d’anciens gueux comme prof de toute façon. N’oublie pas que les gueux sont marqués au poignet, ils les reconnaîtraient et les rejetteraient sur le champ, de plus ils prendraient cette proposition comme une nouvelle provocation de notre part. On dirait que tu ne les connais pas ! Si tu veux nous mettrons de nouveaux robots à leur service.
— Après ce qui leur est arrivé, ils vont peut-être commencer à se méfier de tes robots ! Quant aux robots- professeurs qu’ils ont déjà, ceux qui sont mauvais en math restent en échec avec eux. Les Bléassenghs ont besoin de présence humaine pour progresser. Les robots, aussi bien que les politiques, ne produisent pas de changement de mentalité. Janin m’a laissé entrevoir une possibilité de pacifier les Bléassenghs. Cette nuit par exemple j’étais perdue, et lui m’a aidée à me retrouver. Tu as sauvé Jeudi mais envers moi tu aurais pu devenir un bourreau ordinaire si Janin n’était pas venu à ma rencontre.
Dora contint sa colère et déclara sèchement
— Ne cherche pas à culpabiliser Hector, Géraldine ! Nos relations ne te regardent pas.
— Alors cessez vous-même de me regarder et de me demander des comptes ! Je m’en vais.
Sur ces paroles, Géraldine leur tourna le dos et sortit. Le joli trio de potaches s’était dissout sous l’impact d’un tel coup. Chacun des trois protagonistes était redevenu grave. Jeudi, après pareille intervention, ne se sentait ni tout à fait innocent, ni tout à fait coupable mais un peu dans la peau de Géraldine ; une part de lui-même pensait ne pas mériter une telle enfant. Dora se trouva soudainement vieille sous le regard d’Odette qui, malgré des rides naissantes, lui sembla fraîche comme une fleur sous la rosée matinale. Les choses, malgré la victoire écrasante des chercheurs prirent un goût un peu amer pour tout le monde. À en croire cette enfant qu'était encore Géraldine à leurs yeux, un peu de laisser aller faisaient d’eux des Le Noble en puissance. Hector quitta sur le champ ses amis, récupéra ses affaires et alla s’installer dans une chambre du foyer hospitalier, auprès du chamane et de sa fille. Peter, qui avait pris ses quartiers non loin de là le contempla de ses yeux sombres à son arrivée. Hector lui trouva une ressemblance avec Géraldine, il trouvait que Peter aurait pu être son jeune frère, il avait le même regard. Il se prit à l’aimer et en ressentit une sorte d’apaisement.
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