18/08/2012
suite des Marcheurs
Le reflux des gueux vers la Corne d’Abondance s’était fait assez rapidement grâce aux voitures que les scientifiques avaient mis à disposition, on finissait d’installer les tentes, regroupées dans un périmètre serré autour de la maison. Pas plus de quatre-vingt gueux se trouvaient là. Tout le monde avait compris que Janin avait tenté seul de délivrer Peter et Janon et le tenait pour prisonnier, ou déjà mort. Odette était soudainement atteinte d’une narcolepsie qui la protégeait plus ou moins d’un stress trop intense, Tom tenait le coup et participait aux différents travaux d'intendance. Le soir arrivait juste, Dora, Géraldine et d’autres femmes ainsi que quelques hommes dressaient des tables dehors sur la grande terrasse, tandis que d’autres à la cuisine préparaient un potage dans quatre grandes marmites que l’on avait réquisitionnées pour l’occasion et faisaient des sandwichs. La Corne d’abondance portait bien son nom, on pouvait y résister à un blocus de plusieurs mois, grâce aux différents jardins que les gueux avaient entretenus avec soin, et aux trois champs qu’ils avaient ensemencés ; on avait pu faire une bonne récolte de blé l’an passé déjà. Parmi les loisirs des scientifiques de la communauté de la zone verte, l’atelier boulangerie était celui qui avait remporté tous les suffrages. À tour de rôle, les uns et les autres fabriquaient le pain avec la farine moulue sur place grâce à un moulin à l’ancienne qui faisait la fierté de tous. Les chercheurs et les nouveaux arrivés avaient bel et bien fini par constituer ici, au fil des années, un groupe humain original ; néanmoins, les enfants des savants, comme partout ailleurs dans les milieux intellectuels du vingt-sixième siècle, étaient très tôt envoyés dans les écoles plus ou moins proches qui les gardaient en pension. On ne voyait sa jeune progéniture qu’en fin de semaine, ensuite plus les études se poursuivaient, plus les visites s’espaçaient dans l’année, seules les grandes vacances étaient consacrées à la famille proprement dite. La Corne d’abondance était donc habitée essentiellement par des adultes et quelques enfants en bas-âge. L’intendance était maintenant essentiellement assurée par les gueux, les robots avaient été de plus en plus souvent simplement expérimentés avant d’être relégués dans un entrepôt attenant, seuls ceux qui étaient programmés pour le service hospitalier et le gardiennage de la forêt avaient été retenus. On sait quel sort leur réserva Le Noble et ses hommes. À la Corne d'Abondance, on évitait d'utiliser les robots durant les heures "oisives", on leur préférait de loin les activités manuelles de détente, considérées comme un luxe et un loisir, mais qui faisaient partie intégrante d'une sorte de mode de vie original, propre aux habitants de la zone verte. La ruche bourdonnait donc dans le soir tombant sans que l’on ait encore établi une stratégie particulière hormis le rassemblement des gueux autour de la maison, lesquels pouvaient y entrer, si les choses tournaient mal. Les chercheurs s’étaient constitués en bouclier humain presque spontanément, les quelques paroles de Géraldine ou de Dora avaient suffit. Odette atteignit péniblement la chambre Prune, s’affala sur le lit déjà à moitié endormie et fit ce rêve étrange : elle évoluait en pays inconnu, dans un siècle indéterminé, entourée de connaissances datant du collège, elle se trouvait dans un hôpital, alitée dans une salle remplie de patients dans la même condition, sans doute en raison d’une opération bénigne. Les choses suivaient leur cours quand soudain, un homme au comportement étrange fit irruption dans la salle commune. Il se présenta en tenue d’infirmier devant le lit du premier patient, lui ligota le poignet droit au tube en arcade métallique qui constituait la tête du lit, puis à l’aide d’une simple ceinture de tissus, le frappa symboliquement au niveau des jambes, la salle devait compter une trentaine de lits, les autres patients, subjugués par la scène, ne comprenant rien, se contentaient de regarder. Odette le vit passer son lit, comme s’il ne l’avait pas vue et continuer son manège de patient en patient jusqu’au moment où l‘un d‘eux se décide à dénouer de sa main libre le nœud qui maintenait son poignet à la monture de lit et se lève en grondant « Nous n’allons quand même pas nous laisser faire comme ça par cet individu, déliez-vous, il faut l’arrêter. » le faux infirmier prit dans une poche intérieure de sa blouse un pistolet, visa la poitrine du jeune protestataire, et tira. la victime tomba et continua de protester, allongée sur le sol ; voyant cela, le tueur approcha une poubelle qui se trouvait à proximité, et y balança le jeune homme, il ajouta ensuite le couvercle. Tout le monde était paralysé par la peur, après les cris s’établit un silence funeste. La main de chacun qui était restée libre ne s’aventura pas à libérer l’autre. L'individu sortit, on sentait qu’il n'allait pas tarder à revenir, ne serait-ce que pour vérifier la "bonne conduite" de ceux qu’il tenait sous sa coupe. Un moine tibétain s’introdusit alors comme une ombre dans la salle et accosta en catimini le lit d’Odette, il lui lia le poignet, en murmurant qu’elle devait se ligoter elle-même au besoin, si elle voulait survivre. Le moine s’en alla. La dormeuse le vit s’éloigner dans la cour, il s’agissait de la cour du collège qu’elle fréquentait dans son enfance. Elle se réveilla, la ruche bourdonnait, les fumets du potage lui chatouillaient les narines, son esprit s’éloigna pourtant de cette présence rassurante, un noeud serra sa gorge, elle se rendormit bientôt.
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09/08/2012
Chemin faisant (suite Les Marcheurs)
Janin retraversa la forêt, en compagnie de sa fille qu’il avait hissée sur ses épaules, le fauteuil de Peter se téléguidait aisément de lui-même, ce genre de robot porteur, avait l’aspect d’un fauteuil roulant au design perfectionné, les Bléassenghs en possédait sans doute un grand nombre de cette facture pour leur population vieillissante dont on ne voyait pas l’ombre d’un spécimen, Janin imagina des institutions cachées, où l’on accédait par des chemins dérobés, comme ce fut le cas pour leur base hospitalière. À la différence que les Bléasenghs n’étaient pas contraints de se cacher, ils le faisaient par choix. Un choix tout relatif, se dit Janin, tributaires des apparences comme ils l’étaient. Le point faible de leur cuirasse, était leur respect des chiens qui s’apparentait au respect de soi chez eux. L’amour que Janin portait aux animaux avait pris source ailleurs, ce n’était pas le même, les attitudes étaient donc différentes. lui n’aurait pas détourné les chiens de leur maître comme l’avaient finalement fait les Bléassenghs s’agissant des gueux. Ceux qui n’avaient pas eu la bonne idée de quitter la ville devaient maintenant se trouver en prison, probablement moins bien traités que les canidés qui remplissaient désormais les chenils. Des loups aux chiens il n’y avait pas grande différence, chemin faisant Janin se mit en tête de capturer quelques-unes de leurs bêtes pour tenter de les mettre en contact, petit à petit, avec des loups. Un Bléassengh ne tue pas de chien, cette bête est sacrée chez eux comme les vaches en Inde. Il y avait sans doute quelque chose à creuser de ce côté-là, à exploiter le plus vite possible pour aider les loups. "Pas de chasse aux loups, sans les chiens" murmura-t-il. Dès la nuit suivante, Janin retournerait à Bléassengh, s’il n’était pas trop tard. Cette résolution prise, il chercha le regard de Peter, mais ne vit que ses yeux éteints.
— Si tu chantais quelque chose pour Peter Janon.
— Chante si tu veux, papa, ça ne me dérange pas.
— On va plutôt écouter l’aube se lever, décida Janin. Le chant des oiseaux Peter l’entendra sûrement mieux qu’une voix humaine pour le moment. Les loups s’en sont allés sinon je leur aurait demandé un petit air comme tout à l’heure.
— Je suis sur les épaules d’un géant, dit Janon en respirant la bise parfumée que les feuillages insufflaient à cette heure.
— Je porte une princesse, remercia-t-il
Ils continuèrent le chemin à l’écoute de cette forêt que la cupidité des hommes rendraient vulnérable si l’on n’y prenait garde mais que les animaux continuaient inlassablement de régénérer, dans un cycle de vie et de mort qui ne demandait qu'à se perpétuer.
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08/08/2012
Les loups (suite des Marcheurs)
Tout le monde traversa la forêt jusque La Corne d’abondance dans un silence de mort. Les loups exprimaient des plaintes ineffables au passage silencieux du cortège de voitures, leurs grognements désolés plaidaient non coupables. Le Noble continuerait les hostilités en leur donnant la chasse dès demain peut-être. Il avait imprégné l’air d’odeurs sulfurées, acides que libéraient les robots à la carcasse déglinguée. Sur les traces de son passage, se renouvelait la menace de sa venue prochaine.
Janin avait le sentiment de sa propre explosion imminente s’il n’agissait pas très vite. Il stoppa sa voiture qui se trouvait en queue de cortège et se rendit à pieds à la rencontre d’une meute de loups qu’il connaissait bien. Parmi les louves qui se trouvaient là, certaines avaient été élevées avec Janon et étaient mères à leur tour, des louveteaux leur tournaient autour. Janin en prit un dans les bras, et se mit à leur parler, bientôt il pleura sous l‘œil attentif des animaux, puis poussa avec eux des grognements et gémissements. La meute se lamenta ainsi un moment avant de se mettre en marche vers Bléassengh, Janin en tête. Ils arrivèrent durant la nuit au centre ville de Bléassengh, un des nouveaux robots que Le Noble avait mis en place alla à leur rencontre ; il tourna plusieurs fois autour du groupe avant d’aborder Janin.
— Bienvenue à Bléassengh. Déclinez votre identité, émit-il placidement
— Mène-moi à la prison du coin. Je pense que c’est là que ma fille et son ami se trouvent.
Une sirène d’alarme retentit quelques secondes plus tard, alors que le robot immobile clignotait de partout. Des hommes arrivèrent peu après, murmurant sous l’effet de la surprise. Ils mirent en joue les loups qui grondaient sourdement tandis que Janin grimaçait, il transpirait abondamment.
— Mes amis et moi sommes venus chercher Peter et Janon, dit-il péniblement. Baissez vos armes, si vous nous tuez, vous ne réussirez qu’à attirer sur vous la malédiction. La mienne, celle de la princesse peut-être bien aussi.
— De quelle princesse parles-tu ?
— De ma fille peut-être bien, de celle de votre légende peut-être bien aussi. Il me semble que je te reconnais : tu es un fils de gueux, ton père travaille pour moi dans la forêt. Il attendit quelques secondes et reprit : « Les Bléassenghs ne vous ont pas parlé de la légende ? »
— Ceux pour qui je travaille ne me parlent pas de légende, répliqua le policier. Nous n’avons pas besoin de légendes pour nous occuper des robots. Par contre je sais que les gueux représentent désormais une menace pour l’intégrité territoriale. Ils ont détourné les chercheurs de leur mission. S’ils ne partent pas de leur plein gré, nous devrons les tuer.
— Tu tuerais tes propres parents, démon ? Murmura Janin, plus que jamais grimaçant.
— Regarde-toi, gnome, en fait de démon, tu en es un beau spécimen, répliqua sans assurance l’un des acolytes.
— Je fais partie de l’équipe des scientifiques, répondit aussitôt Janin. Je te rappelle que je suis venu rechercher la princesse et son ami.
Le robot se mit à parler :
— Ordre de ne pas tirer. Monsieur Todi et Madame Piéaumur ordonnent que la princesse et son ami soient rendus au savant. Ensuite ils rentreront chez eux, ainsi que les animaux.
Ainsi fut fait, Peter fut ramené, ligoté sur un fauteuil roulant dans un semi coma, Janon toute blême, était assise sur l’accoudoir. Des loups allèrent au devant de la jeune fille, les animaux s’étaient mis à moduler un chant jubilatoire, d’autres loups aux abords de la forêt leur répondaient allègrement.
— Merci mes amis, dit Janin. Merci pour la princesse, pour Peter. Je… vous aime. Je ne vous laisserai pas tomber. Nous allons négocier demain, nous allons trouver une solution pour vous.
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