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28/08/2012

Le lycanthrope ( Les Marcheurs )

— En parlant du loup, on ne voit toujours pas sa queue. Les Bléassenghs ne les auraient quand même pas déjà dégagés ? Demandons à Bob de nous envoyer une voiture, j’aimerais que nous arrivions au plus vite à la grotte.

L’inquiétude d’Hector fut contagieuse. Bob appela une voiture.

Lorsqu’ils atteignirent le refuge de Janin, ils le virent sous le clair de lune, assis non loin de l’ouverture de la caverne, qui méditait au milieu des serpents ondulant autour de lui. Le sang du docteur Dross se glaça.

« Il est complètement inconscient. » marmonna-t-il, scandalisé, puis tout haut, en guise de salutations :

— Vous êtes inconscient ou quoi cher ami ! Nous n’osons pas vous approcher. Où sont les autres troglodytes ?

— Content de vous voir tous les deux. Nous nous apprêtions à vous rejoindre dès le lever du jour. J’ai dû remettre Peter un peu plus en phase, j’ai fait ce que j’ai pu. Il a retrouvé son regard, mais il a quelques plaies et bosses, ainsi que des ecchymoses sur la figure. Il est vivant en somme, avant-hier on eût plutôt dit un mort-vivant.

Le désappointement distrait du docteur Dross combla d’aise son compagnon, "quelle modestie, impayable ce toubib, aucun triomphalisme."

— Vous aviez deviné juste.

— De simples déductions, dit l’autre négligemment, soulignant le ton d’un geste évasif de la main, avant d’avouer « c’est comme si quelqu’un me l’avait soufflé, sans que j’entende le moindre mot, une sorte de pensée soudaine qui s’est imposée à moi, et puis, à la réflexion, c’était tellement logique. »

— N’empêche, cette forêt est immense. Heureusement que vous avez deviné juste. Nous serions encore à rôder dans les bois comme des âmes en peine sinon.

Janin émit un sifflement vipérin, ce souffle que le bout de la langue recourbé dans la bouche entr'ouverte fait vibrer. Les reptiles disparurent aussitôt dans les fourrés tout proches.

— Des âmes en peine, des rôdeurs. Vous vous êtes sentis misérables dans la forêt ?

— Oui, dit Hector, au point que nous avons demandé à Bob de téléguider une voiture jusqu’à nous. Elle s’est garée là-bas, sous les arbres.

— Alors vous avez bien fait de venir. Si la forêt se montre hostile, c’est qu’elle est prise sous le pouvoir maléfique de notre très opiniâtre ennemi. Moi qui m’émerveillait du chant des oiseaux, hier encore.

Hector fronça les sourcils.

— La forêt a une odeur de soufre. Les loups ne chantent plus. Les fameux oiseaux dont vous parliez, sont lugubres la nuit, Janin.

— Les loups « ordinaires » sont partis, je les ai entendus filer au nord, ils passent les montagnes, ils migrent. S’il reste des loups dans la forêt ce sont ceux dont parle la mythologie grecque, les lycanthropes. 

— Une classification singulière des canidés si vous voulez mon avis … le docteur Dross laissa sa phrase en suspens, espérant un éclaircissement.

— D’aucuns disent «  à chacun sa mythologie », je ne fais que composer avec celle corroborant les hypothèses qui se profilent à mesure que vous me confiez vos sensations… pour le moins, mauvaises. C’est un éclectisme pratique, si vous voulez, il me sert à apprécier la situation.

Dross et Hector s’étaient assis à même le sol à côté de leur ami. Ils se livrèrent encore des impressions sur la forêt, qui avait l’air cette nuit de se dresser comme un seul homme contre eux, une sorte d’enchantement contraire les tenait en étau, une menace indicible s’insinuait, insistante, contre laquelle aucun subterfuge ne donnerait bien longtemps le change.

— Les gueux seraient prêts à se battre, mais les engager dans un combat aussi inégal qu’inutile serait suicidaire. Force est de constater que nous sommes dans un cul de sac depuis que les Bléassenghs et nous, nous sommes aperçus mutuellement de nos rapports avec les gueux. À cela s’ajoute que leurs nouveaux dieux veulent s’accaparer de Bob et de son concepteur, moi-même. Pour parfaire le tout, Dora a caché la présence de certains gisements de minerais précieux, l’or pouvant provoquer des frénésies pas vraiment souhaitables… nous n’avons rien touché mais Le Noble pourrait quand même nous accuser de vol…

— Il faut clairement dégager en conclut Janin. Les loups nous ont donné le signal. La nature deviendra plus clémente pour nous dans des lieux non convoités par des prétendants insanes. Il s’agit de sauver des vies, compte tenu de leur violence.

Les trois hommes organisèrent sur le champ le départ, de peur que les pistes d’aéroport ne soient bloquées par leurs ennemis dès le lendemain matin. Le téléphone sonna, Jeudi et Dora répondirent. Ils allèrent à la fenêtre, une menace tangible semblait effectivement planer, seul un loup solitaire se mit à hurler en les regardant de la lisière de la forêt où il se tenait immobile, hurlement différent de ceux auxquels ils étaient habitués. Avec une économie de paroles confinant au silence, ils firent leurs bagages, les gueux plièrent les tentes. Odette se réveilla enfin de sa torpeur et suivit le mouvement. Dora lui dit que bientôt ils retrouveraient Peter. Un long cortège de voitures s’engagea vers l’aéroport où deux avions les attendaient, que les filles d’Hector et Dora avaient affrétés. Ils se dirigèrent vers des contrées susceptibles de les accueillir. Quand Le Noble et ses hommes, arrivèrent dès le lendemain, bien plus tôt que ne l’avaient prévu initialement le docteur Dross, ils trouvèrent les lieux déserts. Hector donnerait-il le secret de la conception de Bob à des puissances étrangères ? Rien n’est moins sûr, les robots aussi perfectionnés que Bob pouvaient à l’instar de certains minerais précieux, transformer les hommes cupides en lycanthropes, il le savait trop bien. Peter, Odette et Tom ajoutèrent à leur famille Janin et Janon. Peter découvrit la nature, les hommes et les animaux sous un angle favorable et devint positivement heureux.

Fin de l'histoire des Marcheurs. écrite par moi-même. 

27/08/2012

Le faon

Dross toussota, ils en avaient pour quelques heures à écouter les hululements sinistres des oiseaux nocturnes, la forêt retentissait sporadiquement de ces hallalis, chants animaux lugubres, bêtes aux abois, entité diabolique générée par la faim. Il eut la chair de poule. Comment Janin pouvait-il se sentir chez lui dans cette forêt. Il dut se poser la question tout haut.

— C’est un peu comme si nous étions descendus du train de la civilisation. Bob fera figure de souvenir de notre humanité au cas où les loups auraient raison de nous.

La plaisanterie d’Hector ne fit pas mouche. 

— À moins que nous ne visitions les coulisses du théâtre de la civilisation, reprit Hector. Les robots sont faits pour aller là où les hommes n’osent pas aller la nuit. 

— L’ingéniosité au service de l’humanité oubliée.

— Songez, Paul, au premier pas sur la lune. Fait par un homme, sans même l’aide d’un robot.

— Quel courage ! Et sur la lune, le désert.

— Alors qu’ici ça grouille de vie et de mort tout de même. Allons, courage.

Vue de la terre la lune apportait son éclairage rassurant, les yeux de Bob le robot lui donnaient une mine de Pierrot plutôt avenant. Sa voix métallique prit un accent comique lorsqu’il annonça :

— Faon plaqué au sol. 

Hector lui intima l’ordre de passer son chemin. « Ces animaux se cachent pour qu’on leur fiche la paix. La mère ne doit pas être bien loin. » dit-il

— La nature est bizarrement fichue, n’est-ce pas ? Se plaignit le docteur Dross, il y a autant de laideur que de beauté. L’avalement d’un côté, la liberté de l’autre. Un jeu d’équilibre en permanence, de cache-cache, recherche de lumière et besoin d’ombre. Très mal fichue la nature, quand on y pense. Les moutons par exemple n’ont que la douceur de leur laine à opposer au loup. Quoique, les loups, d’un certain côté sont malchanceux également. La loi du ventre, c’est beaucoup de contrainte.

— En parlant du loup, on ne voit toujours pas sa queue. Les Bléassenghs ne les auraient quand même pas déjà dégagés ? Demandons à Bob de nous envoyer une voiture, j’aimerais que nous arrivions au plus vite à la grotte.

L’inquiétude d’Hector fut contagieuse. Bob appela une voiture.

25/08/2012

Le silence des loups

Il était vingt et une heure lorsqu’ils s’assirent autour de la nappe posée sur un coin d’herbe clairsemée. À une petite trentaine de kilomètres de là, ceux de la Corne d’abondance prenaient eux aussi leur repas, hormis Odette, que son sommeil irrésistible avait entraîné dans une autre dimension. Hector et le docteur Dross, après une veillée qui se prolongerait tard dans la nuit n’allaient plus tarder à prendre le départ.

— Pourquoi à pieds ? Demanda Hector que le docteur Dross venait de détourner des garages vers lesquels il se dirigeait.

— Marcher nous fera du bien. Ce n’est pas la peine de les réveiller tous les trois en pleine nuit. Mon intuition est bonne, j’en suis sûr. Nous arriverons à l’aube à la grotte aux ours, une heure plus adéquate pour les réveiller. Croyez-moi, en ce moment-même, ils dorment, je ne les vois pas errer à la pleine lune dans la forêt, surtout Peter, vous comprenez. Janin est un homme suffisamment discipliné.

— Vous ne pensez pas qu’il y a urgence maintenant que les Bléassenghs ont de quoi se prémunir contre une attaque des loups ?

— Je vous signale Hector, que les Bléassenghs les ont libérés. Ils ont passé la journée d’hier à la grotte, c’est encore de l’ordre de l’intime conviction je sais mais vous allez pouvoir bientôt en constater la justesse… ce que je redoute pour les jours à venir c’est que Le Noble agisse sournoisement, son ton mortifié quant à la libération de Peter et Janon laisse craindre le pire. Du "du menu fretin" pour lui. Je suppose qu’il comptait les utiliser pour mener à bien certaines expériences scientifiques des plus macabres. Le Noble perdra son temps à vouloir persuader les brigades policières de désobéir aux ordres des édiles de Bléassengh. Ces enfants de gueux sont l’équivalent d’orphelins en quête de père, absolument malléables en ce qui concerne leurs "tuteurs", cela on peut en être certain, à voir comment ils se sont laissés former par les ennemis jurés de leurs parents, considérant ces derniers comme des abandonnistes… par la force des choses. Ils n’obéiront pas à Le Noble sans l’aval des Bléassenghs, vous dis-je, et pour le coup, cela nous laisse du temps.

— Le temps que Le Noble amène ses propres hommes, en effet.

— Prêt pour une petite trotte nocturne, Hector ? Avez-vous remarqué ? On n’a pas entendu les loups à la nuit tombée. D’ordinaire nous avons droit à un petit concert. On pourrait presque renvoyer Bob à la maison.

— Vous oubliez les éventuels loups-garous à ce que je vois, Dross ! Pour les uns ils pourraient être aussi méchants que des Bléassenghs, pour les autres ce serait des hommes-médecine…

— Les hommes-médecine en loup… c’est dans la culture indienne, Hector. J’imagine bien Janin en loup-garou amical. Et les Bléassengh, en loups-garous très inamicaux, des sortes de fantômes matérialisés de leurs ancêtres, lesquels étaient sans pitié à l’encontre des loups et des étrangers.

Le docteur Dross frissonna à ses propres mots, alors qu’ils venaient de passer la lisière de la forêt. La voix d’Hector réconforta l’enfant qui sommeillait encore en lui.

— La peur est rédhibitoire, ils étaient surtout peureux, ces ancêtres. Ne pensez-vous pas que la peur peut prendre de très mauvaises tournures, annihiler le moindre sentiment de compassion.. Par exemple. Je pense que ces gens tuaient systématiquement les loups par peur de se faire tuer eux-mêmes, c’est aussi bête que ça.

Hector se demanda pourquoi il avait eu envie soudain d’essayer de comprendre les pères de ces citadins qu’il détestait, peut-être la lumière solaire de la lune le rendait-elle magnanime, ou le besoin de ne pas se laisser dévorer par le ressentiment, d’avoir les idées claires, la nécessité de ne pas se montrer sentimental vis-à-vis de Peter auquel il s’était beaucoup attaché. La peur, une fois tombée laisse place à l’amour pensa-t-il de nouveau mais cette fois en lui-même, "ne te fais de souci, garçon. Janon, veille sur lui, petite." Il se surprit à supplier l’immensité d’accorder une protection pour ce grand adolescent qui lui semblait voguer à corps perdu dans l’espace et dont il sentait la solitude le traverser.