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25/08/2012

Le silence des loups

Il était vingt et une heure lorsqu’ils s’assirent autour de la nappe posée sur un coin d’herbe clairsemée. À une petite trentaine de kilomètres de là, ceux de la Corne d’abondance prenaient eux aussi leur repas, hormis Odette, que son sommeil irrésistible avait entraîné dans une autre dimension. Hector et le docteur Dross, après une veillée qui se prolongerait tard dans la nuit n’allaient plus tarder à prendre le départ.

— Pourquoi à pieds ? Demanda Hector que le docteur Dross venait de détourner des garages vers lesquels il se dirigeait.

— Marcher nous fera du bien. Ce n’est pas la peine de les réveiller tous les trois en pleine nuit. Mon intuition est bonne, j’en suis sûr. Nous arriverons à l’aube à la grotte aux ours, une heure plus adéquate pour les réveiller. Croyez-moi, en ce moment-même, ils dorment, je ne les vois pas errer à la pleine lune dans la forêt, surtout Peter, vous comprenez. Janin est un homme suffisamment discipliné.

— Vous ne pensez pas qu’il y a urgence maintenant que les Bléassenghs ont de quoi se prémunir contre une attaque des loups ?

— Je vous signale Hector, que les Bléassenghs les ont libérés. Ils ont passé la journée d’hier à la grotte, c’est encore de l’ordre de l’intime conviction je sais mais vous allez pouvoir bientôt en constater la justesse… ce que je redoute pour les jours à venir c’est que Le Noble agisse sournoisement, son ton mortifié quant à la libération de Peter et Janon laisse craindre le pire. Du "du menu fretin" pour lui. Je suppose qu’il comptait les utiliser pour mener à bien certaines expériences scientifiques des plus macabres. Le Noble perdra son temps à vouloir persuader les brigades policières de désobéir aux ordres des édiles de Bléassengh. Ces enfants de gueux sont l’équivalent d’orphelins en quête de père, absolument malléables en ce qui concerne leurs "tuteurs", cela on peut en être certain, à voir comment ils se sont laissés former par les ennemis jurés de leurs parents, considérant ces derniers comme des abandonnistes… par la force des choses. Ils n’obéiront pas à Le Noble sans l’aval des Bléassenghs, vous dis-je, et pour le coup, cela nous laisse du temps.

— Le temps que Le Noble amène ses propres hommes, en effet.

— Prêt pour une petite trotte nocturne, Hector ? Avez-vous remarqué ? On n’a pas entendu les loups à la nuit tombée. D’ordinaire nous avons droit à un petit concert. On pourrait presque renvoyer Bob à la maison.

— Vous oubliez les éventuels loups-garous à ce que je vois, Dross ! Pour les uns ils pourraient être aussi méchants que des Bléassenghs, pour les autres ce serait des hommes-médecine…

— Les hommes-médecine en loup… c’est dans la culture indienne, Hector. J’imagine bien Janin en loup-garou amical. Et les Bléassengh, en loups-garous très inamicaux, des sortes de fantômes matérialisés de leurs ancêtres, lesquels étaient sans pitié à l’encontre des loups et des étrangers.

Le docteur Dross frissonna à ses propres mots, alors qu’ils venaient de passer la lisière de la forêt. La voix d’Hector réconforta l’enfant qui sommeillait encore en lui.

— La peur est rédhibitoire, ils étaient surtout peureux, ces ancêtres. Ne pensez-vous pas que la peur peut prendre de très mauvaises tournures, annihiler le moindre sentiment de compassion.. Par exemple. Je pense que ces gens tuaient systématiquement les loups par peur de se faire tuer eux-mêmes, c’est aussi bête que ça.

Hector se demanda pourquoi il avait eu envie soudain d’essayer de comprendre les pères de ces citadins qu’il détestait, peut-être la lumière solaire de la lune le rendait-elle magnanime, ou le besoin de ne pas se laisser dévorer par le ressentiment, d’avoir les idées claires, la nécessité de ne pas se montrer sentimental vis-à-vis de Peter auquel il s’était beaucoup attaché. La peur, une fois tombée laisse place à l’amour pensa-t-il de nouveau mais cette fois en lui-même, "ne te fais de souci, garçon. Janon, veille sur lui, petite." Il se surprit à supplier l’immensité d’accorder une protection pour ce grand adolescent qui lui semblait voguer à corps perdu dans l’espace et dont il sentait la solitude le traverser.    

 

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