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19/07/2012

Janin

Janin venait de donner une petite tape amicale sur le postérieur de Dora qui se retourna vivement vers lui, par réflexe. La fesse pour Janin faisait souvent fonction d’épaule où il pouvait simplement signaler sa présence, cela en raison de sa petite taille. Comme il n’aimait pas se décrocher le cou, il l’invita, ainsi que le docteur Dross à aller s’asseoir en sa compagnie dans le grand salon. Il avait envie de parler de choses sérieuses avec eux leur annonça-t-il. Dora avait pâli, le volcan était pacifique en regard de l’ouragan qui déboulait sur elle. Jeudi et Hector ne vinrent pas les rejoindre, ils se contentèrent de jeter un coup d’œil dans leur direction. Le bonhomme l’impressionnait, son visage incarnait une volonté farouche surtout marquée par le regard, par instant ses paupières cillaient nerveusement, en de furtifs battements rapides, et faisait se renforcer l’impression d’un homme d’une fermeté indéfectible. Le docteur Dross et Dora suivirent ce tigre de chair et d'os jusqu’à une table basse autour de laquelle ils s’installèrent. Il ne fut pas question de Géraldine et de sa détresse comme s’y attendait Dora mais de réflexion autour de la nouvelle configuration sociale que les derniers événements allaient engendrer. Les Bléassenghs allaient retrouver leur forêt, exclusivement, ce qui ne laissait présager rien de bon sur un plan humain, sûr qu’ils s’en prendraient aux huttes des gueux, leur dit-il, à leur potagers, ils les forceraient à quitter les lieux et s’accapareraient des loups qu’ils mettraient tout simplement dans une réserve, derrière des barbelés, le départ d’Hector, ce traitre qui leur avait préféré Jeudi et ses acolytes ne devait pas vraiment les soulager parce qu’il était lié à la désinstallation méthodique de la base aéronautique mais d’un autre côté affirma Janin, il n’était pas mécontent du départ d’Hector, des pilotes, des ingénieurs de l’aéronautique qui ne faisaient qu’alimenter le consumérisme ambiant, ce qui à ses yeux, était un désastre écologique. « Les humains avant tout ! » conclut-il en tapant du poing sur la table basse dont le docteur Dross vérifia que le bois avait résisté. 

— Vous ne m’en voulez pas pour Géraldine alors ? 

Questionna Dora

— Du point de vue même de son intérêt personnel, Géraldine doit rester seule durant une certaine période… disons, le temps comme elle dit, de se retrouver. Je crois qu’Hector lui a fait peur, elle me dit qu’il lui a « fait froid », comme une enfant. Et, figurez-vous que c’est en compagnie des gueux qu’elle se retrouve. Je l’entends rire souvent avec eux, malgré la différence de génération, c’est elle leur professeur, et cela se passe très bien. Certains deviendront plus forts en maths que leurs rejetons qu’ils ne voient pas souvent et qui les méprisent tant. Les méfaits du consumérisme. Les gueux se mettent à faire des œuvres d’art ensemble, avec elle. Des sculptures notamment, qu’ils exposent dans la forêt. Ils vont devenir de sérieux rivaux des Bléassenghs qui ont pris l’art comme une chasse gardée de leur enfants.

Dora resta songeuse un moment et déclara :

— En général Géraldine préfère la compagnie des personnes plus âgées qu’elle, comme si les gens de sa génération lui faisaient un peu peur…

— Oui, cette peur lui fait prendre de drôles de détours. La solitude l’a conduite à se passionner pour les maths, à prendre pour amant quelqu’un de la génération de son père et maintenant la voilà à faire de l’art avec les gueux. C’est quelqu’un de secret. Mais la voilà engagée dans la cause de l’écologie, si Hector l’y rejoint, il faudra qu’il choisisse entre sa passion de la robotique, du numérique, de l’aéronautique et l'écologie. Parce que nous allons mener une bataille pour réglementer tout cela : la protection de la planète avant tout.

— Lorsque j’étais mariée à Hector, tout cela était déjà un sujet de dissension entre nous. Mais ce n’est pas lui qui a inventé la robotique, quand il est venu au monde les robots existaient déjà depuis longtemps. Lui fait partie de ceux qui les font servir pour le bien. Dernièrement il a sauvé Jeudi avec son dernier prototype d’humanoïde. Ce robot ressemble à un vrai homme, à s’y méprendre. Tom lui a d’ailleurs serré la main en toute bonne foi.

— Vous imaginez toutes les dérives que ce genre d’invention peuvent causer. J’en connais qui pourraient s’en servir comme de kamikazes pour faire exploser notre installation hospitalière par exemple…

— Si l’on décidait de se débarrasser des robots, que deviendrait Hector ?

— Mais nous ne sommes pas à l’abri de pannes, ou de nous retrouver à cours d’énergie, propres ou moins propres répondit Janin et il déclara qu‘il le voyait bien en jardinier.

— Je le prendrai comme assistant plaisanta Dora

— Vous ne voulez surtout pas le perdre de vue. Cela ne sera pas évident pour Jeudi, il n’avait pas pensé à ce retournement de situation. Au fait que vous vous montriez très attachée de nouveau à Hector, on ne pourra pas éviter l’amertume d’un côté ou de l’autre.

— Nous avons tous notre part de solitude. Géraldine a raison, elle nous permet de nous retrouver répondit Dora.

L’énorme main de Janin enveloppa celle de la volcanologue. Enfin son visage s’éclaira d’un sourire qui lui réchauffa le coeur d'un coup.

18/07/2012

Politique qui chamboule tout

Dora décida de se changer les idées et reprit son travail en cours. Elle alla prélever l’eau d’un lac en contre bas du volcan encore en activité puis escalada le flanc du dragon. Toutes les passions humaines avaient l’air de se consumer dans ce chaudron qu’elle contempla des heures durant. La projection continuelle de boules de lave incandescente évoquait un feu d’artifice qui ne demandait qu’à monter pour happer d’un coup de langue de feu le moindre intrus sur son passage, avant d’aller éventuellement flirter avec la voie lactée. Elle contempla les étoiles, surprise par la nuit et fit demi tour en maugréant quelques mots  : 

« Quel caractère ! Faut pas te donner le bourdon bonhomme, si j’ai bien compris, qui te cherche te trouve. Je ne te veux pas de mal alors de ton côté, pas d’entourloupe Crapotin, je compte sur toi.»

Seule en compagnie de son monstre préféré elle en avait profité pour tenter de remettre les compteurs à zéro. Le volcan s’était montré presque aussi persuasif que Janin. Il ne manqua pas de lui rappeler quelques règles élémentaires de survie mais avec les phénomènes de cet acabit, le bon sens ne suffisait pas, il fallait anticiper, et pour cela, comprendre était encore insuffisant, parce qu’il ne suivait pas de ligne de conduite inscrite quelque part dans ses gènes ou sur le papier à musique d’un destin quelconque, il pouvait être imprévisible. Dora rentra. L’ambiance, à première vue, s’était améliorée à la Corne d’abondance. Hector discutait dans la grande salle, avec un ingénieur. Les couples par ailleurs, étaient moins démarqués que la veille. Chacun avait-il secrètement décidé, dans un accord tacite, de brouiller les cartes concernant sa vie privée. Même dans la salle où l’on prenait le repas, les habitudes s’étaient soudain délitées. Chacun pour l'heure, était planté au milieu d’autres, au gré de sa déambulation hasardeuse ou d'une discussion, qui ne l'était pas moins, avec le premier venu. Jeudi entouré de deux interlocuteurs continua sa conversation, se contentant de lui faire un petit signe amical de la main. Le docteur Dross la héla :

— Il y a du changement dans l’air. La base aéronautique va être implantée ailleurs que dans la zone verte. Les touristes et les Bléassenghs devront se rendre aux abords de la Louradie pour s‘adonner aux vols en orbite. Tout ceci sans doute, dans le but de remettre un peu de mobilité entre les régions, de décloisonner.

—  Je ne suis pas partie d'une journée que tout est chamboulé ! Qui a décidé de cela ?

— Décret du gouvernement. Mais il va y avoir un autre  problème. Les enfants des gueux sont mutés d’office à la surveillance des robots qui serviront à la construction des nouveaux locaux et à leur maintenance naturellement. Ils ont reçu une bonne formation pour cela. Hector est évidemment muté d’office. Le gouvernement parle de crise, il veut de toute évidence reprendre les rênes du pouvoir.

— Les gueux éloignés d’office de leurs enfants ! Ils vont mal le prendre... 

— Les enfants des gueux sont séparés de leurs parents depuis tout jeunes et sont en mauvais terme avec eux.  

— Hector s’en va ?

— Si je peux me permettre… je sais de source sûre que Géraldine refuse de partir en Louradie. Elle tient à rester avec l’équipe de Janin s’occuper de la cause des gueux. Certains avaient construit des huttes en pleine forêt, fait des jardins. Je crains que l’État et les Bléassenghs ne fassent main basse là-dessus. Peut-être espèrent-ils que les gueux suivront leurs enfants, même s’ils savent qu’ils ne les connaissent pratiquement plus, sait-on jamais avec la fibre parentale. 

— Nous avions cru gagner la partie mais les choses prenant cette tournure…

— Du moins n’est-il plus question de procès contre nous. Mais tout va être démantibulé. Ils veulent nous séparer ...

16/07/2012

À visage découvert

Les choses s’étaient compliquées à la Corne d’abondance. Depuis l’arrivée de Jeudi, en premier lieu, et celle ensuite, de Tom et Odette. Jeudi avait pourtant cru trouver enfin une famille parmi cette communauté ; les rapports conflictuels que ses parents avaient, comme tenu, à entretenir avec lui étaient oubliés ; en tant que cadet il n’avait pas eu droit à leur affection, il arrivait en effet souvent dans son pays que le cadet soit plus ou moins vu d’un mauvais œil. Il avait néanmoins réussi, dans ce contexte difficile, à devenir avocat. Mais, quand la guerre civile était survenue, il n’avait pas éprouvé de motivation suffisamment forte pour se ranger dans l’un ou l’autre camp. Prendre position contre ou en faveur du milieu de ses parents, de classe moyenne, ne l’intéressa pas. Ceux-ci du reste n’avaient pas, comme à leur habitude, les idées très claires. Au fond, ils étaient des conservateurs qui s’ignoraient tout en s’affichant révolutionnaires. C’est donc avec soulagement que Jeudi avait quitté son pays, comme on se débarrasse d’une peau morte, la chenille s’était définitivement muée en papillon en dépit de la mauvaise rencontre avec les Bléassenghs. Ceux-ci l’avaient certes effrayé, mais eux, ne lui devant aucune espèce d’affection, il était satisfait à son insu de se sentir un étranger à leur égard, autant qu’ils l’étaient pour lui. En ce qui concernait Dora, il ne lui avait pas demandé de quitter Hector, les choses avaient semblé faciles, il n’avait pas perçu la meurtrissure qu’en éprouvait Hector. Mais après l’épisode de l'échappée de Jeudi hors du tribunal, la douleur avait quitté Hector pour refluer quelque temps plus tard vers Dora, douleur qui était passée d’un être à l‘autre, et que lui Jeudi, avait ignorée. Dora ressentit le manque de son ancien mari. L’affection qu’elle portait pour une lointaine période de l’histoire du vingtième siècle concernant des pacifistes qui prônaient le « Peace and love » l’avait-elle prédisposée à ce genre de situation ou reflétait-elle quelque chose de ses fantasmes profonds qui, par ce concours de circonstances s’étaient réveillés. Après l’euphorie de son sauvetage, Jeudi éprouvait maintenant un peu de mal face à l’impudeur soudaine de Dora, Hector avait semblé jouer avec elle en toute innocence mais déjà à ce moment là il partait définitivement ailleurs pensa-t-il, ce comportement avait été le signe d’un détachement qui se concrétisait d’étrange façon. Et Dora avait maintenant l’attitude envers Géraldine, d’une mère acariâtre, jalouse de sa belle-fille. Étrange revanche, pourrait-on croire si l’on ne connaissait pas la générosité profonde d’Hector. Odette comprenait que les choses manifestement confuses dans l’esprit de Dora, n’étaient pas glauques pour autant. Cette équipe de chercheurs avait beaucoup donné malgré les tâtonnements, ils étaient fatigués, peut-être même un peu perdus, égarés à la manière des gueux de qui ils avaient pris la défense. Odette regarda Dora qui pleurait à visage découvert 

— Tout est fragile, lui dit-elle. L’amour flirte souvent avec le sentiment que la personne aimée est tout à soi, elle en fait tellement partie. C’est parfois si dur de laisser partir quelqu’un que ça peut rendre fou comme la mort d’un enfant. Mais en réalité, il n’est pas bien loin Hector, à quelques kilomètres d’ici. 

— Tu parles « carré », ça me va, lui répondit Dora.

—  Tu as de la chance, Hector et Jeudi se respectent, ils s'estiment beaucoup. 

Tom alla chercher sa guitare, entonna un blues en résonnance avec celui que les gueux allaient bientôt chanter au grand ravissement d’Hector et Géraldine. La musique chassa de la maison les derniers esprits mauvais qui auraient voulu encore s'y attarder.