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15/04/2008

Le Grand Meaulnes

Préface du Grand Meaulnes de Alain-Fournier par Daniel Leuwers, (Fayard, Livre de Poche)

"Le Grand Meaulnes est un roman où le merveilleux, s’il a les teintes rêvées de l’enfance et les éclats rêveurs de l’adolescence, ne s’en pare pas moins des couleurs vraies de la réalité. Le merveilleux n’y a rien d’artificiel mais ressort de la présence et du poids du quotidien qui a cette seule particularité d’être capté par les yeux encore enfantins de quelques adolescents prompts à effacer toute ligne de démarcation entre le paysage regardé et le paysage désiré.

Roman unique d’un jeune homme happé par la mort au tout début de la Première Guerre mondiale, Le Grand Meaulnes doit d’abord une part de sa force secrète aux lieux et aux êtres qu’il décrit avec une complicité familière. Si Alain-Fournier a tellement besoin des paysages aimés de son enfance passée en Sologne ☺ - quitte à les insérer dans une géographie sensiblement recomposée -, c’est parce qu’ils lui offrent le creuset sécurisant où il pourra enfin situer et maîtriser l’évènement qui a illuminé sa propre adolescence : la rencontre, en 1905, à Paris, d’une jeune fille passionnément aimée et désespérément perdue, le temps trop court d’une promenade où bien des rêves s’aiguisèrent et s'épuisèrent.

Cette rencontre, Alain-Fournier saura donc la confondre avec les souvenirs vibrants et vrillants de sa propre enfance où l’école (M. Seurel et Millie y figurent ses parents instituteurs), le village et son atmosphère de jeux tiennent une place primordiale. L’adolescence se verra ainsi conviée à pénétrer profondément le domaine de l’enfance, à y trouver et même à y cultiver de subtiles correspondances, avant d’être peu à peu confrontée à l’inéluctable passage vers l’âge d’homme, l’usure acceptée, la mort assumée.

Le roman s’articule autour de cette charnière indécise. Si François Seurel, le narrateur, fait progressivement entendre la voix de la maturité, le grand Meaulnes semble en revanche toujours prêt à partir ou à repartir "pour de nouvelles aventures" , et l’on ne sait au juste qui est le véritable héros du livre, tant chez Alain-Fournier le désir apparaît profond de jouer - sans trancher - des virtualités contradictoires où puise son inspiration. Le fait que Frantz de Galais, le troisième protagoniste masculin essentiel, se métamorphose en bohémien-comédien, n’est d’ailleurs que la confirmation symbolique du rôle capital dévolu au jeu dans le roman : jeu de la vie et de la mort.

Le Grand Meaulnes est un ouvrage qu’Alain-Fournier a travaillé pendant des années, en proie à maints tâtonnements. En 1910, l’auteur vient de franchir une étape importante. Après avoir longtemps hésité entre une œuvre symboliste sans personnages et un roman de tonalité paysanne, Alain Fournier opte pour ce qu’il appelle un "roman d’aventures et de découvertes", mais, loin de se complaire dans un imaginaire où le souvenir de la rencontre de 1905 risquerait de s’auto-suffire, il décide d’assortir son livre d’une partie "simplement humaine". La liaison d’Alain-Fournier avec celle qui, dans le roman, deviendra Valentine, lui permet justement d’insuffler à son œuvre la force des contrastes salutaires - le spectre de Paris, que l’auteur avoue avoir "détesté d’une haine de paysan", et la tristesse de Bourges contribuant à la fois à estomper et à revaloriser le Domaine mystérieux. Le romancier peut dès lors asseoir la solide architecture tripartite de son œuvre où le "perpétuel va-et-vient insensible du rêve à la réalité" s’épanouit d’abord, se rétracte ensuite quelque peu, avant de reprendre son élan sur un fond de culpabilité assumée, puis dépassée.

Ce serait assurément une erreur de lecture que de concentrer son admiration sur le seul début - si éblouissant soit-il - du Grand Meaulnes. Ce fut presque la tentation d’André Gide qui, dans son journal en date du 2 janvier 1933, notait :

"Le Grand Meaulnes dont l’intérêt se dilue ; qui s’étale sur un trop grand nombre de pages et un trop long espace de temps ; de dessin quelque peu incertain et dont le plus exquis s’épuise dans les cent premières pages. Le reste du livre court après cette première émotion virginale, cherche en vain à s’en ressaisir… Je sais bien que c’est le sujet même du livre ; mais c’en est aussi le défaut, de sorte qu’il n’était peut-être pas possible de le réussir davantage."

"Une irressaisissable fraîcheur…"

Ressaisir une "première émotion virginale" , telle est certainement l’une des visées majeures du roman, si du moins l’on adopte le point de vue d’Augustin Meaulnes ou, à un degré moindre, de Frantz de Galais. Mais ce point de vue n’est pas exactement celui du narrateur, François Seurel, qui, en sa qualité de témoin et d’acteur (son écriture n’agit-elle pas sur les faits ?), imprime aux évènemens une griffe personnelle appelée à susciter peu à peu une sorte de contre-courant. Quant à l’intrusion de Valentine, elle vient insidieusement effriter la douce aura d’Yvonne de Galais et précipite indirectement sa disparition dans un mouvement où la culpabilité tourbillonnante s’assortit de vagues meurtrières.

Faut-il regretter que le roman ait pris cette tournure tragique ? Non point, car c’est précisément en cela qu’il acquiert un mystère supplémentaire. En effet, le lourd « secret » dont Le Grand Meaulnes se trouve finalement être le dépositaire permet non seulement de recomposer tous les chaînons du drame sous une forme quasi policière (qui contribue au suspense et au charme de la lecture), mais il prélude à l’étonnante réapparition de Meaulnes et à sa déroutante disponibilité. Le roman ne se referme pas sur des contours sécurisants, mais, l’épreuve du deuil aidant, s’ouvre immédiatement à de nouvelles aventures - ce qui a inspiré au critique Walter Jöhr cette juste remarque : « Puisqu’il est impossible de suivre réellement Meaulnes en dehors du roman, il ne reste autre chose à faire que recommencer la lecture du livre même. »

L’oeuvre d’Alain-Fournier est ainsi douée d’un singulier pouvoir d’auto-aimantation. La boucle n’est jamais totalement bouclée, et la part de mystère demeure constamment préservée. C’est là le fruit d’une structure romanesque aux échos savamment différés. Lire Le Grand Meaulnes, c’est en effet progresser dans la découverte d’aventures qui exigent d’incessants retours en arrière, comme si l’aiguillon du bonheur recherché devait toujours se refléter dans le miroir troublant et tremblant de l’enfance, source féconde en même temps que refuge. C’est alors qu’émane du livre ce qu’Alain-Fournier qualifie lui-même de « rêve » - mais « rêve entendu comme l’immense et imprécise vie enfantine planant au-dessus de l’autre et sans cesse mise en rumeurs par les échos de l’autre »

Daniel Leuwers

Bonne lecture ou relecture du Grand Meaulnes ! 

11:05 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (3)

10/04/2008

Condition de la femme

"John dormait et je répugnais à l’idée de le réveiller, aussi suis-je restée immobile, à regarder s’étirer cette clarté ondoyant sur le papier peint - jusqu’à en avoir des frissons. La forme floue derrière le motif paraissait agiter le papier comme si elle voulait s’en échapper. Je me suis levée sans bruit pour toucher le papier et voir s’il bougeait vraiment. Quand je me suis recouchée, John était réveillé.

Qu’est-ce qu’il y a, ma petite fille ? a-t-il demandé. Cesse de te promener comme ça tu vas prendre froid !

J’ai pensé que c’était une bonne occasion pour lui parler ; je lui ai dit que mon état était loin de s’améliorer et que j’aimerais qu’il m’emmène hors d’ici.

Mais ma chérie ! la location prend fin dans trois semaines et je ne vois pas comment nous pourrions partir avant : chez nous, les travaux ne sont pas terminés et il m’est tout à fait impossible de quitter la ville actuellement. Bien sûr, si tu courais le moindre risque, je trouverais le moyen, je le ferais, mais tu vas vraiment mieux, chérie, que tu t’en aperçoives ou pas. Je suis médecin, ma chérie, et je sais. Tu as pris du poids et des couleurs, tu as meilleur appétit, je me sens vraiment rassuré à ton sujet.

Je n’ai pas pris un gramme, ai-je répondu, j’aurais même plutôt maigri, j’ai peut-être meilleur appétit le soir quand tu es là, mais le matin, quand tu t’en vas...

Le petit cœur adoré, m’a-t-il dit en m’étouffant d’un baiser, il sera malade autant qu’il voudra ! mais en attendant, essayons de dormir, nous en reparlerons demain matin.

Alors, tu ne veux pas partir d’ici ? ai-je demandé, l’air triste.

Comment le pourrais-je, chérie ? Il ne reste plus que trois semaines, après quoi nous ferons un beau petit voyage de quelques jours en attendant que Jennie prépare la maison. Je t’assure, chérie, que tu vas mieux !

Physiquement peut-être, mais...

Je me suis arrêtée net car il s’était redressé et me lançait un regard si sévère, si lourd de reproches que je ne pouvais plus articuler un seul mot.

Ma chérie, dit-il, je t’en supplie, pour l’amour de moi, de notre enfant, de toi-même, ne permets plus un seul instant à une telle idée d’envahir ta pensée. Il n’y a rien de plus dangereux, de plus destructeur pour un tempérament comme le tien. C’est une idée absurde et fausse. Je te l’affirme. Ne peux-tu faire confiance au médecin que je suis ?

Alors, bien sûr, je n’ai rien ajouté et nous nous sommes rendormis. Il me croyait endormie la première, mais je ne l’étais pas, et je suis restée là, étendue, éveillée pendant des heures, essayant de démêler si les deux motifs du papier peint bougeaient ensemble ou séparément."

Texte sur ce site

Charlotte Perkins Gilman

09:07 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

07/04/2008

Toi qui chemines

"Tout l'esprit de La Méthode tient dans ces vers lumineux du poète espagnol Antonio Machado, cités dès les premières pages : « Caminante, no hay camino, el camino se hace al andar. » « Toi qui chemines, il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant. » En fait de méthode, il est ici question d'une recherche, d'une enquête et d'une quête de méthode, tendues vers un objectif un peu fou : dé-cloisonner, dé-compartimenter le savoir humain. « Il y a un vice dans notre façon de penser, écrit Edgar Morin. Plus les connaissances s'accumulent, moins le monde devient compréhensible [...]. Ce qui nous manque le plus, ce n'est pas la con­naissance de ce que nous ignorons, mais l'aptitude à penser ce que nous savons. » Comment donc, s'interroge-t-il au fil des six volumes de La Méthode, relier la société et la nature, l'homme et le cosmos, les sciences humaines et les sciences naturelles ? Comment interféconder physique, biologie et philosophie ? Morin nous embarque dans une méthode anticartésienne pour cons­truire sa « théorie de la complexité » : il chemine, hésite, s'attarde, n'élimine ni désordres ni hasards. « Contrairement à l'opinion courante, écrit-il, la connaissance progresse en intégrant en elle l'incertitude, non en l'exorcisant.» C'est ici

05:19 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)