15/01/2008
Hommage à la poule
L’homme, à des fins de profits personnels, a stoppé l’évolution de nombreux animaux : nous avons nommé la plupart des animaux domestiques. Et s’il n’a pas réussi à abêtir le chat et l’âne, la poule, elle, n’y a pas échappé ! Le temps est peut-être venu d’assumer cette réflexion de Chatillon : "l’homme est le dernier stade dans l’évolution perceptible à nos sens. Ce grade lui confère – non pas l’autocratie brutale sur le monde – mais une responsabilité envers toutes les formes universelles moins évoluées."
Notre ami Jacques Dufilho, le génial comédien, allait quelquefois savourer la quiétude du monastère qu’il s’était aménagé en Gascogne ; là, il y retrouvait bien sûr son épouse mais aussi une jument à qui il vouait une très grande affection et qui déjeunait à table avec lui ; il était heureux aussi d’y retrouver de nombreuses poules qui toutes étaient nommées : Paulette, Hortensia, Jacqueline…et accouraient dès qu’il les appelait.
Nous eûmes la chance de rencontrer une poule apprivoisée tout à fait charmante et tendre : elle sautait littéralement dans nos bras afin qu’on la câline, elle gloussait de joie en nous voyant déguster son œuf quasi quotidien qu’elle avait pondu dans l’immense atelier du grand potier Cauville qui lui donnait asile.
Un superbe et volumineux coq que des amis à nous avaient sauvé de la casserole venait chaque matin toquer à notre fenêtre : il volait à quelques dizaines de mètres d’altitude et sur plusieurs centaines de mètres ; les paysans de la région le surnommaient le Coq et étaient très fiers de le voir féconder leurs poules, au détriment de leur propres coqs…
Nous pouvons disposer du miel des abeilles sans leur nuire, des feuilles et des fruits des végétaux sauvages sans les infirmer, et des œufs des gallinacées et de certains oiseaux sans pour autant les empêcher de couver, du lait des chèvres, des brebis et des vaches sans avoir à tuer leurs petits. Ne nous gênons pas : que les poules meurent de vieillesse dans nos clapiers et elles auront encore la bonté de nous léguer leur plumage.
Il est donc important pour notre survie – et celle des poules – de fabriquer un poulailler afin de leur donner asile. Nous vengerons ainsi toutes celles torturées dans les ignobles élevages en batterie et qui ne nous proposent, juste retour des choses, que des œufs empoisonnés.
La suite, dans le livre de Alain Saury, le manuel de la vie sauvage
Éditions dangles Coll. « écologie et survie »
21:25 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
10/01/2008
Présentation
Autre extrait de la présentation par Ludmila Charles-Wurtz des Contemplations, Livre de Poche, Coll. Classiques :
En 1843 s’achève « Autrefois » et commence « Aujourd’hui ». Cette borne temporelle qui détermine, dans l’édition originale, le découpage du recueil en deux volumes séparés, inscrit explicitement Les Contemplations dans le registre autobiographique : elle fait référence à la mort de la fille aînée de Hugo, Léopoldine, noyée dans la Seine à dix-neuf ans, le 4 septembre 1843 à Villequiers. Comme l’écrit Gabrielle Chamarat, « à la datation fictive et connotative des poèmes fait face celle du 4 septembre 1843, historique et dénotative », et par cela même symbolique. De fait, « Aujourd’hui », c’est, en 1856, date à laquelle paraît le recueil, l’exil : l’adverbe prend sens, pour les lecteurs, dans le présent du Second Empire, et Hugo est alors la figure emblématique du proscrit. Le deuil et l’exil sont donc symboliquement associés : le deuil est un exil intérieur que l’exil politique accroît ; ou, pour dire les choses autrement, l’exil commence dès 1843.
Les années 1840 sont une période de crise poétique et politique pour Hugo. En poésie comme dans le drame, dans le discours du moi se fait entendre ce qu’Anne Ubersfeld nomme « la voix de l’autre, reproche, avertissement, confirmation, dérision (…). Or les voix tiennent des propos contradictoires ». De cette période date le projet d’un recueil intitulé Les Contemplations d’Olympio : le nom propre concrétise le désir de Hugo de parler hors de soi, d’effacer le nom du grand poète quasi institutionnel qu’il est devenu pour élaborer, comme en marge de lui-même, un discours de vérité. C’est que la position et la pensée même de Hugo sont, alors, contradictoires : à la confiance qu’il accorde encore publiquement à la monarchie constitutionnelle, censée concilier la paix sociale et les acquis de 1789, se heurte désormais la conviction qu’il faut, pour résoudre la question sociale de la misère, donner voix au peuple – et cette voix est nécessairement discordante, grinçante, menaçante. En mars 1843, l’échec fracassant des Burgraves au Théâtre-Français le convainc que le public n’est pas prêt à faire siennes ses contradictions ; il ne fait plus jouer aucune pièce nouvelle, et ne publie aucun recueil poétique après 1840, date de parution des Rayons et les Ombres. La mort de sa fille achève de l’exiler au sein de sa patrie : sans l’amour, qui réconcilie les instances divorcées du moi, « Une fête est une tombe,/ La patrie est un exil », écrit-il en 1854.
La République, proclamée en février 1848, accroît la solitude du poète, en butte à la méfiance de la droite, dont il s’éloigne, comme de la gauche, dont il se rapproche progressivement. Le coup d’État par lequel Louis-Napoléon Bonaparte anéantit, le 2 décembre 1851, la République instaurée trois ans plus tôt, entraîne l’exil politique. Hugo, rallié aux républicains, est frappé par un décret de proscription et quitte la France pour la Belgique, puis pour Jersey. « Aujourd’hui » désigne donc le présent de l’écriture : c’est un proscrit, celui-là même qui vient de publier Châtiments, poésie pamphlétaire vouée à la « flagellation » de Napoléon III, qui est à l’origine du discours des Contemplations. Les deux recueils sont liés dès l’origine : Hugo prévoit, en 1852, de composer Les Contemplations en deux volumes : « Premier volume ; autrefois, poésie pure. Deuxième volume : aujourd’hui, flagellation de tous les drôles et du drôle en chef ». L’urgence politique conduit Hugo à publier, en 1853, les pièces prévues pour « Aujourd’hui » sous le titre Châtiments. Mais les deux recueils n’en restent pas moins dans son esprit complémentaires : Les Contemplations après Châtiments, c’est, « après l’effet rouge, l’effet bleu », écrit-il à Paul Meurice le 21 février 1864. Le poète des Contemplations est le « proscrit de l’azur » tendant les bras « vers les astres patries ».
Le discours lyrique des Contemplations est à la fois réduction autobiographique (le deuil est exil intérieur) et agrandissement métaphysique (le corps est exil de l’âme) du discours pamphlétaire de Châtiments. Mais tous deux s’inscrivent dans la même situation de parole : l’exil permet en effet à Hugo, selon la formule de Jean-Marie Gleize et Guy Rosa, de « parler en son nom en même temps qu’au nom de ses principes ». Dépouillé par la proscription du statut de grand poète institutionnel, il est désormais symboliquement solidaire du peuple auquel il s’adresse : sa parole n’a plus de lieu, elle se profère nécessairement ailleurs, à la fois de plus haut et de plus bas que celle qui bénéficie d’une légitimité officielle.
Ludmila Charles-Wurtz
12:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
09/01/2008
Ludmila Charles-Wurtz
« Maître de conférences à l’Université de Tours, Ludmila Charles-Wurtz a consacré sa thèse à la poésie lyrique de Victor Hugo (Poétique du sujet lyrique, Champion, 1998). Elle a publié un essai sur Les Contemplations (Gallimard, coll. « Foliothèque, 2001) et prépare un ouvrage sur la poésie lyrique. »
Voici un extrait de la présentation des Contemplations par Ludmila Charles-Wurtz ; poèmes édités dans la coll. « Classiques » dirigée par Michel Zink et Michel Jarrety.
Il y a dans Les contemplations plusieurs livres à la fois : un journal, jalonné de dates, d’évènements et de noms propres connus de tous les contemporains (cette transparence du texte est en partie perdue pour les lecteurs du XXIè siècle) ; une autobiographie qui transforme la vie en récit orienté vers sa fin ; les « Mémoires d’une âme », qui convertissent le récit de vie en itinéraire métaphysique ; l’"histoire de tous", qui assimile l’essor de l’âme vers l’infini à celui de l’histoire vers le progrès.
Les contemplations superposent en ce sens plusieurs temporalités qui ne coïncident pas. Ces temporalités décalées engendrent une architecture complexe. Le recueil obéit apparemment à une logique chronologique. Deux parties (à l’origine, deux tomes séparés), « Autrefois » et « Aujourd’hui », délimitées dans le temps par des dates : « 1830-1843 », « 1843-1855 ». La deuxième édition de Paris corrige d’ailleurs « 1855 » en "1856" , de façon à faire coïncider fin du récit et publication. Six livres – trois dans « Autrefois », trois dans « Aujourd’hui » – dont les titres isolent les étapes d’une vie : l’adolescence (« Aurore »), l’amour (« L’âme en fleur »), les batailles poétiques et politiques (« Les luttes et les rêves »), puis le deuil (« Pauca meae »), l’exil (« En marche ») et la vision de la mort (« Au bord de l’infini »). Au bas de chaque poème, une date : lorsque la date manque, c’est que le titre en tient lieu (« Vers 1820 »), et même les dates tronquées du livre II (« 18... ») maintiennent la fiction d’un journal poétique. « Une destinée est écrite là jour à jour », annonce la préface : la plupart des poèmes d’ "Autrefois" sont en effet censés être écrits entre 1830 et 1843, et ceux d’ "Aujourd’hui ", entre 1843 et 1856.
Mais la plupart de ces dates sont fictives (une quarantaine seulement correspond à la date qui figure sur le manuscrit). Plus des deux tiers des poèmes des Contemplations ont été écrits en exil, entre 1854 et 1855, et notamment le poème censé être le plus ancien, « La coccinelle », daté dans l’édition de « Paris, mai 1830 », mais écrit à Jersey en octobre 1854. La trame chronologique est donc symbolique : le recueil construit « une » destinée qui emprunte nombre d’éléments à la biographie de Hugo, mais n’est pas la sienne. Le « moi » qui est à l’origine des Contemplations est fictif : comme l’écrit Jacques Seebacher, le lyrisme de Hugo est moins « l’expression de l’individu que sa recherche ». Cela est vrai de toute poésie lyrique. Mais Hugo va (comme toujours) jusqu’au bout de cette logique poétique : il construit le sujet fictif des Contemplations par exfoliation du sujet réel, détachant, lambeau par lambeau, l’écorce de l’individualité pour arriver à l’intime, c’est-à-dire à ce noyau de la subjectivité qui est le même pour tous. La construction du moi qu’implique le pacte autobiographique prend ici la forme paradoxale d’une déconstruction, d’une « abolition » qui est la condition même de son « assomption », pour reprendre les termes de Pierre Albouy. C’est donc bien un « mort » qui parle, comme l’affirme de façon provocante le premier paragraphe de la préface, et c’est à ce prix que le discours lyrique touche à l’universel.
Ludmila Charles-Wurtz
13:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)