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09/01/2008

Ludmila Charles-Wurtz

« Maître de conférences à l’Université de Tours, Ludmila Charles-Wurtz a consacré sa thèse à la poésie lyrique de Victor Hugo (Poétique du sujet lyrique, Champion, 1998). Elle a publié un essai sur Les Contemplations (Gallimard, coll. « Foliothèque, 2001) et prépare un ouvrage sur la poésie lyrique. »

Voici un extrait de la présentation des Contemplations par Ludmila Charles-Wurtz ; poèmes édités dans la coll. « Classiques » dirigée par Michel Zink et Michel Jarrety.

Il y a dans Les contemplations plusieurs livres à la fois : un journal, jalonné de dates, d’évènements et de noms propres connus de tous les contemporains (cette transparence du texte est en partie perdue pour les lecteurs du XXIè siècle) ; une autobiographie qui transforme la vie en récit orienté vers sa fin ; les « Mémoires d’une âme », qui convertissent le récit de vie en itinéraire métaphysique ; l’"histoire de tous", qui assimile l’essor de l’âme vers l’infini à celui de l’histoire vers le progrès.

Les contemplations superposent en ce sens plusieurs temporalités qui ne coïncident pas. Ces temporalités décalées engendrent une architecture complexe. Le recueil obéit apparemment à une logique chronologique. Deux parties (à l’origine, deux tomes séparés), « Autrefois » et « Aujourd’hui », délimitées dans le temps par des dates : « 1830-1843 », « 1843-1855 ». La deuxième édition de Paris corrige d’ailleurs « 1855 » en "1856" , de façon à faire coïncider fin du récit et publication. Six livres – trois dans « Autrefois », trois dans « Aujourd’hui » – dont les titres isolent les étapes d’une vie : l’adolescence (« Aurore »), l’amour (« L’âme en fleur »), les batailles poétiques et politiques (« Les luttes et les rêves »), puis le deuil (« Pauca meae »), l’exil (« En marche ») et la vision de la mort (« Au bord de l’infini »). Au bas de chaque poème, une date : lorsque la date manque, c’est que le titre en tient lieu (« Vers 1820 »), et même les dates tronquées du livre II (« 18...  ») maintiennent la fiction d’un journal poétique. « Une destinée est écrite là jour à jour », annonce la préface : la plupart des poèmes d’ "Autrefois" sont en effet censés être écrits entre 1830 et 1843, et ceux d’ "Aujourd’hui ", entre 1843 et 1856.

Mais la plupart de ces dates sont fictives (une quarantaine seulement correspond à la date qui figure sur le manuscrit). Plus des deux tiers des poèmes des Contemplations ont été écrits en exil, entre 1854 et 1855, et notamment le poème censé être le plus ancien, « La coccinelle », daté dans l’édition de « Paris, mai 1830 », mais écrit à Jersey en octobre 1854. La trame chronologique est donc symbolique : le recueil construit « une » destinée qui emprunte nombre d’éléments à la biographie de Hugo, mais n’est pas la sienne. Le « moi » qui est à l’origine des Contemplations est fictif : comme l’écrit Jacques Seebacher, le lyrisme de Hugo est moins « l’expression de l’individu que sa recherche ». Cela est vrai de toute poésie lyrique. Mais Hugo va (comme toujours) jusqu’au bout de cette logique poétique : il construit le sujet fictif des Contemplations par exfoliation du sujet réel, détachant, lambeau par lambeau, l’écorce de l’individualité pour arriver à l’intime, c’est-à-dire à ce noyau de la subjectivité qui est le même pour tous. La construction du moi qu’implique le pacte autobiographique prend ici la forme paradoxale d’une déconstruction, d’une « abolition » qui est la condition même de son « assomption », pour reprendre les termes de Pierre Albouy. C’est donc bien un « mort » qui parle, comme l’affirme de façon provocante le premier paragraphe de la préface, et c’est à ce prix que le discours lyrique touche à l’universel.

Ludmila Charles-Wurtz

13:30 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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