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20/02/2008

Philip Pullman

Extrait du tome trois Le miroir d'ambre de Philip Pullman ( À la croisée des Mondes) Éd. Folio junior  

"Le grand ours, pendant ce temps, descendait la passerelle. Plusieurs de ses congénères étaient massés derrière lui ; ils étaient si lourds que le bateau gîtait. Will constata que les hommes, sur la jetée, étaient retournés près du canon et qu’ils chargeaient un boulet dans sa gueule.

Une idée lui traversa l’esprit. Il se précipita sur le quai, au milieu de l’espace vide entre les canonniers et l’ours.

- Stop ! Cria-t-il. Cessez de vous battre. laissez-moi parler à l’ours.

Il y eut une accalmie et tout le monde s’immobilisa, stupéfait par le comportement insensé de ce jeune garçon. L’ours lui-même, qui avait rassemblé ses forces pour se jeter sur les canonniers resta à sa place, même si la férocité faisait trembler chacun de ses membres. Ses grandes griffes s’enfonçaient dans le sol et ses yeux étincelaient de rage sous son casque de fer.

- Qui es-tu ? Et que veux-tu ? Grogna-t-il dans la langue de Will.

Les témoins de la scène, estomaqués, regardaient alternativement l’ours et le jeune garçon, et ceux qui comprenaient leur dialogue traduisaient pour les autres.

-Je veux vous affronter loyalement, s’écria Will, et si j’ai le dessus, cette bataille devra prendre fin.

L’ours ne bougea pas. Quant aux habitants, dès qu’ils comprirent ce qu’il avait dit, ils répliquèrent par des quolibets et des rires moqueurs. Mais pas longtemps, car il se retourna vers la foule et observa les gens d’un œil noir, le visage impassible et figé, jusqu’à ce que les railleries cessent. Il sentait Balthamos, transformé en merle, trembler sur son épaule.

Quand le silence fut revenu, il dit :

- Si je suis vainqueur, vous devez promettre de vendre du carburant. Ensuite, ils poursuivront leur route en vous laissant en paix. Si vous refusez cet arrangement, ils vont tous vous tuer.

Will savait que l’ours gigantesque était à quelques pas derrière lui, mais il ne se retourna pas ; il regardait les habitants discuter entre eux avec animation et, au bout d’une minute environ, une voix s’éleva :

- Mon garçon ! Demande à l’ours s’il est d’accord !

Will se retourna. Il déglutit avec peine, inspira à fond et dit :

- Vous devez accepter ! Si vous êtes vaincu, le combat cessera, vous pourrez acheter du carburant et poursuivre tranquillement votre voyage.

- Impossible, répondit l’ours de sa voix grave. J’aurais honte de me battre contre toi. Tu es aussi faible qu’une huître privée de sa coquille. Je ne veux pas te combattre.

- Vous avez raison, dit Will. (Toute son attention était maintenant concentrée sur cette gigantesque et féroce créature qui se tenait devant lui.) Le combat n’est pas équitable. Vous portez une armure et moi, je n’en ai pas. Vous pourriez m’arracher la tête d’un seul coup de patte. Équilibrons les chances. Donnez-moi une partie de votre armure, celle que vous voulez. Votre casque, par exemple. Nous lutterons alors à armes égales et vous n’aurez pas honte de vous battre contre moi.

Avec un grognement qui exprimait à la fois la haine, la rage et le mépris, l’ours leva sa grosse patte et détacha la chaîne qui maintenait son casque sur sa tête.

Un profond silence régnait maintenant sur le quai. Nul ne parlait, nul ne bougeait. Chacun avait le sentiment d’assister à une chose qu’il n’avait encore jamais vue, sans savoir exactement ce qui se passait. On n’entendait que le clapotis de l’eau contre les piliers en bois, le vrombissement des moteurs du bateau et les cris incessants des mouettes dans le ciel, puis un grand fracas métallique quand l’ours jeta son casque aux pieds de Will.

Celui-ci posa son sac à dos et ramassa le casque. Il avait du mal à le soulever. Fait d’une seule plaque de fer, noir et bosselé, avec deux trous pour les yeux et une grosse chaîne en dessous, il était aussi grand que l’avant-bras de Will, et épais comme son pouce.

- Voila donc votre armure, dit-il. Elle ne m’a pas l’air très solide. Je ne sais pas si je peux compter sur elle. Voyons voir…

Il sortit le poignard de son sac et appuya le tranchant de la lame contre le casque, et il en découpa un coin, comme s’il tranchait du beurre.

 - C’est bien ce que je pensais, dit-il.

Et il coupa un autre bout, puis un autre et encore un autre, transformant le casque en un tas de petits cubes de métal, en moins d’une minute. Il se redressa en brandissant une poignée de morceaux de fer.

- Voilà votre armure, dit-il en laissant tomber bruyamment les débris à ses pieds. Et voici mon poignard. Puisque votre casque ne me sert à rien, je serai obligé de m’en passer. êtes-vous prêt, ours ? Je crois que nous combattons à armes égales finalement. Je pourrais vous trancher la tête d’un seul coup de couteau.

Nul ne bougeait. Les yeux noirs de l’ours rougeoyaient comme des braises et Will sentit une goutte de sueur couler dans son dos.

Finalement, l’ours remua la tête et avança d’un pas.

- Cette arme est trop puissante, déclara-t-il. Je ne peux pas l’affronter. Tu as gagné mon garçon.

Will savait que dans une seconde, les habitants allaient pousser des cris de joie, des huées et des sifflements, c’est pourquoi, avant même que l’ours ait achevé sa phrase, il s’était retourné face à la foule pour les faire taire.

- Vous devez tenir parole maintenant, dit-il. Occupez-vous de vos blessés et commencez à réparer les maisons. Laissez les ours amarrer leur bateau et faire le plein.

Il faudrait une minute pour traduire ses paroles et les laisser se répandre parmi l’auditoire, et il savait que ce délai les empêcherait de laisser éclater leur soulagement et leur colère, comme des bancs de sable perturbent et brisent le cours d’une rivière. L’ours assistait à la scène et il comprenait, mieux que Will lui-même sans doute, ce que le jeune garçon avait réussi à faire.

Will rangea le poignard dans son sac. L’ours et lui échangèrent un nouveau regard, d’une nature différente cette fois. Ils marchèrent l’un vers l’autre pendant que, sur le bateau, les ours commençaient à démonter leurs lances-flammes.

Sur le quai, quelques personnes entreprirent de remettre de l’ordre, mais d’autres habitants s’étaient joints à la foule pour observer Will de plus près, intrigués par ce garçon qui avait imposé sa loi à l’ours. Le moment était venu pour lui de redevenir invisible et il accomplit le tour de magie qui, pendant des années, avait détourné toutes les curiosités et les avait protégés, sa mère et lui. Évidemment, ce n’était pas réellement de la magie, mais plutôt une manière de se comporter. Il se fit silencieux, prit un air morne et, en moins d’une minute, il devint moins intéressant, moins attirant aux yeux des autres. Les gens se lassèrent de ce garçon terne et banal ; ils l’oublièrent et lui tournèrent le dos.

Mais l’attention de l’ours n’était pas celle d’un être humain : il voyait bien ce qui était en train de se passer, et il comprenait que c’était encore un des pouvoirs extraordinaires que possédait Will. Il s’approcha et lui parla tout doucement, d’une voix grave qui grondait comme les moteurs du bateau :

- Comment t’appelles-tu ?

- Will Parry. Pouvez-vous fabriquer un autre casque ?

- Oui. Que cherches-tu ?

- Vous remontez le fleuve. Je veux aller avec vous…"

Philip Pullman

01:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (2)

06/02/2008

Naguib Mahfouz

« Né au Caire le 11 décembre 1911 dans une famille de la petite bourgeoisie, Naguib Mahfouz a suivi des études de philosophie...  »

République des lettres, le lien

04:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

04/02/2008

M. Homais

À relire assidûment cet étonnant Madame Bovary, nul doute que les personnages des romans de Flaubert soient inspirés de personnes de son entourage proche. Une quasi démarche d’anthropologue, à mon sens. Justin et la petite Berthe semblent être les seuls rescapés-victimes de tout un univers de faux-semblants. La turpitude triomphe à la fin du roman, en Monsieur Homais, l’apothicaire, qui se retrouve au comble de la félicité avec sa croix d’honneur tant convoitée.

Gros plan sur M. Homais, (M. Bovary vient de perdre sa femme et se retrouve isolé avec leur petite fille Berthe) :

« Personne à présent ne venait les voir ; car Justin s’était enfui à Rouen, où il est devenu garçon épicier, et les enfants de l’apothicaire fréquentaient de moins en moins la petite, M. Homais ne se souciant pas, vu la différence de leurs conditions sociales, que l’intimité se prolongeât.

L’aveugle, qu’il n’avait pu guérir avec sa pommade, était retourné dans la côte du Bois-Guillaume, où il narrait aux voyageurs la vaine tentative du pharmacien, à tel point que Homais, lorsqu’il allait à la ville, se dissimulait derrière les rideaux de l‘Hirondelle, afin d‘éviter sa rencontre; Il l’exécrait ; et, dans l’intérêt de sa propre réputation, voulant s’en débarrasser à toute force, il dressa contre lui une batterie cachée, qui décelait la profondeur de son intelligence et la scélératesse de sa vanité. Durant six mois consécutifs, on put donc lire dans le Fanal de Rouen des entrefilets ainsi conçus :

« Toutes les personnes qui se dirigent vers les fertiles contrées de la Picardie auront remarqué sans doute, dans la côte du Bois-Guillaume, un misérable atteint d’une horrible plaie faciale. Il vous importune, vous persécute et prélève un véritable impôt sur les voyageurs. Sommes-nous encore à ces temps monstrueux du Moyen-Àge, où il était permis aux vagabonds d’étaler par nos places publiques la lèpre et les scrofules qu’ils avaient rapporté de la croisade ? »

Ou bien :

« Malgré les lois contre le vagabondage, les abords de nos grandes villes continuent à être infestés par des bandes de pauvres. On en voit qui circulent isolément, et qui, peut-être, ne sont pas les moins dangereux. À quoi songent nos édiles ? »

Puis Homais inventait des anecdotes :

« Hier, dans la côte du Bois-Guillaume, un cheval ombrageux…. » Et suivait le récit d’un accident occasionné par la présence de l’aveugle.

Il fit si bien qu’on l’incarcéra. Mais on le relâcha. Il recommença, et Homais aussi recommença. C’était une lutte. Il eut la victoire ; car son ennemi fut condamné à une réclusion perpétuelle dans un hospice.

Ce succès l’enhardit ; et dès lors il n’y eut plus dans l’arrondissement un chien écrasé, une grange incendiée, une femme battue, dont aussitôt il ne fît part au public, toujours guidé par l’amour du progrès et la haine des prêtres. Il établissait des comparaisons entre les écoles primaires et les frères ignorantins, au détriment de ces derniers, rappelait la Saint-Barthélemy à propos d’une allocation de cent francs faite à l’église, et dénonçait des abus, lançait des boutades ; il devenait dangereux.

Cependant, il étouffait dans les limites étroites du journalisme, et bientôt il lui fallut le livre, l’ouvrage !

Alors il composa une statistique générale du canton d’Yonville, suivie d’observations climatologiques, et la statistique le poussa vers la philosophie. Il se préoccupa des grandes questions : problème social, moralisation des classes pauvres, pisciculture, caoutchouc, chemins de fer, etc. Il en vint à rougir d’être un bourgeois. Il affectait le genre artiste, il fumait ! Il s’acheta deux statuettes chic Pompadour, pour décorer son salon. »

Flaubert

16:10 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)