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04/02/2008

M. Homais

À relire assidûment cet étonnant Madame Bovary, nul doute que les personnages des romans de Flaubert soient inspirés de personnes de son entourage proche. Une quasi démarche d’anthropologue, à mon sens. Justin et la petite Berthe semblent être les seuls rescapés-victimes de tout un univers de faux-semblants. La turpitude triomphe à la fin du roman, en Monsieur Homais, l’apothicaire, qui se retrouve au comble de la félicité avec sa croix d’honneur tant convoitée.

Gros plan sur M. Homais, (M. Bovary vient de perdre sa femme et se retrouve isolé avec leur petite fille Berthe) :

« Personne à présent ne venait les voir ; car Justin s’était enfui à Rouen, où il est devenu garçon épicier, et les enfants de l’apothicaire fréquentaient de moins en moins la petite, M. Homais ne se souciant pas, vu la différence de leurs conditions sociales, que l’intimité se prolongeât.

L’aveugle, qu’il n’avait pu guérir avec sa pommade, était retourné dans la côte du Bois-Guillaume, où il narrait aux voyageurs la vaine tentative du pharmacien, à tel point que Homais, lorsqu’il allait à la ville, se dissimulait derrière les rideaux de l‘Hirondelle, afin d‘éviter sa rencontre; Il l’exécrait ; et, dans l’intérêt de sa propre réputation, voulant s’en débarrasser à toute force, il dressa contre lui une batterie cachée, qui décelait la profondeur de son intelligence et la scélératesse de sa vanité. Durant six mois consécutifs, on put donc lire dans le Fanal de Rouen des entrefilets ainsi conçus :

« Toutes les personnes qui se dirigent vers les fertiles contrées de la Picardie auront remarqué sans doute, dans la côte du Bois-Guillaume, un misérable atteint d’une horrible plaie faciale. Il vous importune, vous persécute et prélève un véritable impôt sur les voyageurs. Sommes-nous encore à ces temps monstrueux du Moyen-Àge, où il était permis aux vagabonds d’étaler par nos places publiques la lèpre et les scrofules qu’ils avaient rapporté de la croisade ? »

Ou bien :

« Malgré les lois contre le vagabondage, les abords de nos grandes villes continuent à être infestés par des bandes de pauvres. On en voit qui circulent isolément, et qui, peut-être, ne sont pas les moins dangereux. À quoi songent nos édiles ? »

Puis Homais inventait des anecdotes :

« Hier, dans la côte du Bois-Guillaume, un cheval ombrageux…. » Et suivait le récit d’un accident occasionné par la présence de l’aveugle.

Il fit si bien qu’on l’incarcéra. Mais on le relâcha. Il recommença, et Homais aussi recommença. C’était une lutte. Il eut la victoire ; car son ennemi fut condamné à une réclusion perpétuelle dans un hospice.

Ce succès l’enhardit ; et dès lors il n’y eut plus dans l’arrondissement un chien écrasé, une grange incendiée, une femme battue, dont aussitôt il ne fît part au public, toujours guidé par l’amour du progrès et la haine des prêtres. Il établissait des comparaisons entre les écoles primaires et les frères ignorantins, au détriment de ces derniers, rappelait la Saint-Barthélemy à propos d’une allocation de cent francs faite à l’église, et dénonçait des abus, lançait des boutades ; il devenait dangereux.

Cependant, il étouffait dans les limites étroites du journalisme, et bientôt il lui fallut le livre, l’ouvrage !

Alors il composa une statistique générale du canton d’Yonville, suivie d’observations climatologiques, et la statistique le poussa vers la philosophie. Il se préoccupa des grandes questions : problème social, moralisation des classes pauvres, pisciculture, caoutchouc, chemins de fer, etc. Il en vint à rougir d’être un bourgeois. Il affectait le genre artiste, il fumait ! Il s’acheta deux statuettes chic Pompadour, pour décorer son salon. »

Flaubert

16:10 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

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