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06/06/2011

Chateaubriand et Fontanes

  1. "Ombres rétrospectives sur une « union des cœurs »

En 1789, au cours de la dernière phase de composition des Mémoires, Chateaubriand laisse publier en tête de l'édition posthume des Œuvres de Louis de Fontanes une brève lettre à la comtesse Christine, la fille de son ami disparu en 1821. Il rappelle l' "union des cœurs" qui l'a associé près d'un demi-siècle à son père et un peu moins longtemps à leur ami commun Joseph Joubert. Jamais il ne s'est senti si proche de ces ombres, jamais leur présence et leur pensée ne lui ont été si intimes. Maintenant qu'il leur survit seul, cette "union des cœurs" ne tardera pas à devenir entre eux "communion de poussières" :

"Les hommes d'autrefois, en vieillissant, étaient moins à plaindre et moins isolés que ceux d'aujourd'hui : s'ils avaient perdu les objets de leur affection, peu de choses d'aillleurs avaient changé autour d'eux ; étrangers à la jeunesse, ils ne l'étaient pas à la société. Maintenant, un traînard dans ce monde a non seulement vu mourir les individus, mais il a vu mourir les idées, principes, mœurs, goûts, plaisirs, peines, sentiments, rien ne ressemble à ce qu'il a connu : il est d'une race différente de l'espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours ».

Il songe sans doute à l'œuvre poétique de son ami, réunie et publiée trop tard, désespérément anachronique à l'heure de Hugo, de Vigny, de Musset, mais il préfère s'en tenir à un thème commun aux derniers poèmes de Fontanes et à ses propres Mémoires : la modernité fait vivre les hommes dans un temps public artificiellement précipité, selon un rythme brutal qui bouscule le temps naturel et le temps intime ; si adoucie extérieurement que puisse sembler la vie humaine, elle est plus dévastée à l'intérieur et plus esclave dans ses mouvements que dans les temps plus rudes, mais plus lents et plus féconds où l'esprit et le cœur n'étaient pas prématurément ravagés par un perpétuel "choc nouveau"."

Extrait du livre de Marc Fumaroli intitulé Chateaubriand Poésie et Terreur Éditions de Fallois

 

 

 

 

 

04/06/2011

Un extrait du livre Chateaubriand Poésie et Terreur

« Confessions » et « Mémoires »

"Même lorsque Chateaubriand eut cessé, au moins en apparence, de se sentir un émigrant dans la France qu'il avait retrouvée, en 1800, fort abîmée, mais renaissante, même lorsque, sous la Restauration, portant son titre de vicomte, membre de la Chambre des pairs, grand orateur et publiciste du régime, il put se sentir de nouveau et légitimement Français, dans une société libérale qui refleurissait politiquement et littérairement avec lui et autour de lui, il ne se désolidarisera jamais de Rousseau au point de le rendre responsable de la Terreur. Ses mises au point dans les notes de sa réédition de l'Essai sur les révolutions sont nettes. Son reproche essentiel envers l'auteur de l'Émile reste l'encouragement que son « système » a donné aux jeunes générations de se séparer de leur famille, de la société, de vivre « d'eux mêmes » dans des rêveries solipsistes dangereuses pour leur équilibre mental et moral. Dans ses Mémoires, il étendra ce reproche à son propre René, dont il avait voulu faire, dans le Génie du Christianisme, un contre-exemple, et qui a été pris comme modèle à imiter, relayant les leçons misanthropiques de Rousseau. Il s'est séparé aussi de la politique du citoyen de Genève, dont l'idéal républicain restait celui des cités antiques et de la « liberté des Anciens », ignorant les régimes représentatifs et la liberté des Modernes. Son retour à la foi catholique l'a libéré aussi du déisme du Vicaire savoyard, qui isole la conscience religieuse de la communauté ecclésiale, subordonnant Dieu et la morale à la seule évidence du sentiment intérieur. Enfin, il voit les faiblesses de Rousseau écrivain, et surtout de Rousseau autobiographe, dont les mœurs ( qu'il déclare dans les Mémoires foncièrement « antipathiques » aux siennes ) retentissent sur le style et le flétrissent.

Cette dernière critique, à la fois morale et littéraire, de l'auteur des Confessions, esquissées dans les notes de 1826, va être reprise à grande échelle dans les Mémoires d'outre-tombe. Le mémorialiste s'insurge à plusieurs reprises contre la facilité que s'accorde Jean-Jacques autobiographe de s'absoudre lui-même de sa muflerie ou de ses goujateries :

« […] Je n'ai ni fait chasser une servante pour un ruban volé, ni abandonné mon ami mourant dans une rue, ni déshonoré la femme qui m'a recueilli, ni mis mes bâtards aux Enfants-Trouvés ». 

Cette absence de tact, de goût, d'élémentaire courtoisie et galanterie, qui s'estime absoute par une franchise brutale, répugne tellement à l'auteur des Mémoires qu'il se livre à un exercice d'explication de texte comparés pour mieux faire sentir ce point essentiel et délicat : la littérature, même si elle n'est pas édifiante, n'est pas un confessionnal public ; au moins doit-elle témoigner pour l'élégance des manières et des mœurs. Il rapproche le récit des amours vénitiennes de Rousseau, dans les Confessions, de celui qu'avait fait des siennes Lord Byron."

Extrait du chapitre intitulé Chateaubriand et Rousseau, p. 120 – 121 du livre de Marc Fumaroli — Chateaubriand Poésie et Terreur — Éditions de Fallois

29/01/2010

Dernier extrait du Masque de l'araignée

De James Patterson

Régina Hope m’a pris avec elle à l’âge de neuf ans. On avait surnommé Nana Mama La reine de l’espérance. À l’époque, elle exerçait le métier d’institutrice, ici, à Washington. Elle avait la cinquantaine bien sonnée et mon grand-père était mort. Mes trois frères étaient venus en même temps que moi et avaient été pris en charge par des parents jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Moi, je suis toujours resté chez Nana.

J’ai été le plus chanceux. Parfois, Nana Mama se conduisait en super-reine des garces, elle savait très bien ce qui était bon pour moi. Elle avait assez vu de gosses dans mon genre au cours de sa vie, elle avait bien connu mon père, ses bons et ses mauvais côtés, elle avait beaucoup aimé ma mère et la comprenait. Nana Mama était, et est toujours, une fine psychologue. Je l’ai surnommée Nana Mama quand j’avais dix ans. À cette époque, elle était devenue à la fois ma Nana* et ma Mama.

Elle avait croisé les bras sur sa poitrine — une volonté de fer.

— Alex, je me méfie de tes nouveaux rapports amoureux, dit-elle.

— Tu peux me dire pourquoi ?

— Oui, je vais te le dire : d’abord parce que Jezzie est une femme blanche, et que je n’ai aucune confiance dans la plupart des Blancs. J’aimerais bien … mais je ne peux pas. La majorité d’entre eux n’ont aucun respect pour nous. Ils nous regardent en face et nous mentent. C’est leur manière d’agir avec les gens qu’ils ne considèrent pas comme leurs égaux.

— Tu parles comme les révolutionnaires qui prêchent dans la rue. On dirait Farrakhan ou Sonny Carson, lui dis-je.

Et je me suis mis à débarrasser la table, et à emporter les assiettes et l’argenterie pour les empiler dans notre vieil évier de porcelaine.

— Je ne suis pas fière de mes réactions. Mais je ne peux pas non plus m’empêcher de les avoir.

Nana Mama me suivait des yeux.

— Alors, le crime de Jezzie, c'est d'être une femme blanche ?

Nana s'agita sur sa chaise, et chaussa ses lunettes qui pendaient à un cordon qu'elle avait autour du cou.

— Son crime, c'est d'aller avec toi. Elle semble toute prête à te laisser gâcher ta carrière dans la police, et tout ce que tu fais dans le quartier ... tout ce que tu as fait de bien dans ta vie. Et Damon et Jannie.

— Damon et Jannie n'ont pas l'air d'en souffrir, ni même de s'en soucier. Le ton de ma voix commençait à monter tandis que je restais cloué sur place avec une pile d'assiettes sales sur les bras.

Nana abattit la paume de sa main sur le bras en bois de son fauteuil.

— Mais, bon Dieu, Alex, tu te bouches les yeux. Tu es leur soleil, leur Dieu. Damon a peur que tu l'abandonnes.

— Si les gosses sont inquiets, c'est parce que toi, tu les rends inquiets.

Je disais ce que je pensais, ce que je croyais être la vérité.

 Nana Mama se renversa en arrière. Un son frêle s'échappa de sa bouche ... un petit cri d'animal blessé.

— C'est vraiment très méchant de ta part. Je protège ces deux enfants comme je t'ai protégé. J'ai passé ma vie à m'occuper des autres, à en prendre soin. je ne fais jamais de mal à personne, Alex.

— Si, tu viens de me faire du mal, à moi, lui dis-je. Et tu le sais très bien. Tu sais ce que ces deux gosses représentent pour moi.

Nana Mama avait des larmes dans les yeux, mais elle ne céda pas. Elle continuait à me regarder fixement. L'amour que nous avons l'un pour l'autre est un amour dur, qui n'accepte aucun compromis. Il en a toujours été ainsi.

— Je ne souhaite pas que tu viennes t'excuser plus tard, Alex. Peu m'importe que tu te sentes coupable de m'avoir dit ça. Ce qui compte c'est que tu es coupable de tout abandonner pour une liaison qui ne pourra jamais marcher.

Nana Mama se leva, quitta la table et monta à l'étage. Fin de la conversation. Et voilà. Elle s'en tenait à son idée.

Était-il vrai que j'abandonnais tout pour rester chez Jezzie ? Notre liaison était-elle vouée à l'échec ? Je n'en savais rien encore. Il fallait que je le sache par moi-même.

*Nana, diminutif de granny (grand-mère) (N.d.T) 

08:14 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)