28/01/2010
Deuxième et dernier extrait du Masque de l'araignée
De James Patterson
Chapitre 27
je n'ai jamais eu de mal à rire des frustrations que je devais subir, soit en tant que flic, soit comme psychologue. Mais maintenant, j'éprouvais de grandes difficultés à accepter sans broncher ce qui se passait. Soneji nous avait blousés dans le Sud, en Floride et en Caroline du Nord. Nous n'avions pas retrouvé Maggie Rose. Nous ne savions même pas si elle était vivante.
Après un debriefing de cinq heures mené par le F.B.I., on m'emmena en avion à Washington, dans mon propre service, où il me fallut répondre aux mêmes questions. L'un de mes derniers inquisiteurs était Pittman, le chef des détectives.
Le jefe était arrivé vers minuit, récuré et rasé de près pour l'occasion. Notre rencontre spéciale !
— Vous avez l'air complètement ravagé, me dit-il, en guise de bienvenue.
— Je suis debout depuis hier matin, répliquai-je. Et je sais de quoi j'ai l'air. Vous n'avez pas autre chose de plus intéressant à me dire.
Je me rendis compte, avant d'avoir terminé ma phrase, que j'avais eu tort de dire ça. Je ne suis pas aussi agressif d'habitude, mais je me sentais abruti, éreinté, complètement à côté de mes pompes.
Le Jefe, assis sur une des petites chaises métalliques de la salle de conférence, se pencha en avant. Quand il ouvrit la bouche, je vis ses dents en or.
— Une chose est sûre, Cross, je suis obligé de vous retirer l'affaire du kidnapping. À tort ou à raison, la presse nous rend responsables du cafouillage. Le F.B.I. n'est même pas mis en cause ! Thomas Dunne fait un raffut de tous les diables. Ça ne m'étonne guère, la rançon a disparu et nous n'avons pas récupéré sa fille.
— Ce ne sont que ragots imbéciles, dis-je au chef Pittman. Soneji a exigé ma présence. Personne ne sait pourquoi. Je n'aurais sans doute pas dû y aller, mais je l'ai fait. C'est le F.B.I. qui s'est montré incapable d'assurer la surveillance, pas moi.
— Vous n'avez rien de plus intéressant à me dire, me renvoya Pittman. De toute façon, Sampson et vous allez pouvoir vous occuper des meurtres des Turner et des Sanders. C'est bien ce que vous souhaitiez au départ ? Vous pouvez rester en arrière dans l'affaire du kidnapping — ça ne me gêne pas. Je n'ai rien d'autre à vous dire.
Le jefe s'en alla. Terminé. Pas de discussion.
Sampson et moi avions été remis à notre place — dans le quartier sud-est de Washington. Les priorités étaient redevenues claires. L'assassinat de six personnes de race noire avait retrouvé son importance.
Chapitre 28
Deux jours après mon retour de Caroline du Sud, j'étais réveillé par le vacarme d'une foule rassemblée devant notre maison.
Depuis le creux de mon oreiller, un endroit où je me trouvais en principe en sécurité, j'entendis des bruits de voix. Une vieille citation me passa par la tête :
— Oh, non, ce n'est pas déjà demain.
Je finis par ouvrir les yeux et me trouvai face à d'autres yeux. Damon et Janelle me regardaient fixement. Ils s'amusaient de me voir dormir à un moment pareil.
— Dites donc, les gosses, est-ce que c'est la télé qui fait un raffut pareil ?
— Non, papa, dit Damon. La télé n'est pas branchée.
— Non, papa répéta Janelle. C'est mieux que la télé.
Relevé sur le coude, je me suis mis le menton dans la main.
— Alors, vous avez convoqué aussi vos copains ? C'est ça que j'entends par la fenêtre ?
Ils se sont mis à secouer vigoureusement la tête en signe de dénégation — très sérieusement. Damon finit par esquisser un sourire, mais la petite restait sérieuse et un peu inquiète.
— Non, papa, on n'a pas appelé nos amis, dit Damon.
— Hem ! Vous n'allez pas me dire que les reporters et les gens de la télé sont revenus. Ils sont déjà venus il y a quelques heures. Hier soir, exactement.
Damon restait là, debout, les mains posées sur le sommet de sa tête.
C'est une attitude qu'il prend quand il est excité ou nerveux.
— Oui, papa, c'est encore les r'porters.
— Y m'cassent les pieds, murmurai-je.
— Y m'cassent les pieds aussi, dit Damon en fronçant les sourcils.
Il comprenait en partie ce qui se passait. Un lynchage avec publicité ! Le mien.
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27/01/2010
Les "choses" de la vie
Petite anxiété en me levant ce matin quand je me suis souvenu de mon rendez-vous chez le dentiste. Lequel en consultant sa fiche m’a signalé que ma dernière visite remontait à trois ans. Il me faut un cas d’urgence, genre naissance d’un chicot en passe de devenir visible à l’œil nu, ou difficulté à mâcher mes aliments du côté droit molaire du haut, pour me décider à prendre rendez-vous chez un dentiste, si aimable soit-il. La nervosité aidant, me voici avec un quart d’heure d’avance par un froid polaire devant un cabinet médical encore fermé à cette heure. Pas de café dans ce coin qui est une zone pavillonnaire, j’avise donc le cabinet médical qui jouxte celui-ci et qui est ouvert. J’entre et me retrouve dans un hall, une bouffée de chaleur provenant d’un bon chauffage central me réchauffe les oreilles. Sur ma droite derrière la cloison de verre deux secrétaires échangent quelques mots avec la dame qui me suivait dans le large escalier de béton qu’il faut prendre pour arriver jusqu’ici. Elle les quitte pour rejoindre son bureau, je reste debout, attendant que l’on me questionne. Je m’apprête à leur demander s’il m’est possible de rester ici un moment en attendant l’ouverture de l’autre cabinet mais elles vaquent à leurs occupations et ne semblent pas s’être rendu compte de ma présence. Je me sens dans la peau d’un SDF qui d’un coup deviendrait passe-partout, m’installe confortablement sur une des chaises dans la rangée faisant face à la verrière et me plonge dans le fameux polar qui m’intrigue depuis hier soir malgré mes astuces pour le "décrocher" un peu. La conversation des secrétaires devient une petite musique de fond qui fait fonction de rappel quant à mon rendez-vous. À deux pages près, j’étais au chapitre des têtes ballons, le 21. Voici donc ce que je me mis à lire à la page 91, incognito, dans un grand vestibule devenu cocon, par ce froid matin d’hiver :
« Fais très attention, très, très attention, maintenant, Gary, mon garçon.
Gary Soneji lorgnait la grosse femme du coin de son œil gauche. Il surveillait ce gros tas de graisse comme un lézard surveille un insecte – juste avant l’heure du repas. Elle n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait.
Elle était à la fois agent de police et préposée au péage à la sortie n°12 de l’autoroute. Elle compta soigneusement la monnaie qu’elle rendit. C’était une femme énorme, noire comme la nuit, et totalement hors du coup. À moitié endormie à son poste.
Soneji se dit qu’elle ressemblait à une Aretha Franklin ne sachant pas chanter, qui serait obligée de gagner sa vie dans le monde ordinaire du travail.
Elle n’attachait pas la moindre importance à tous ces gens qui faisaient partie du défilé monotone de la circulation en ces jours de vacances. Et pourtant, elle et tous ses semblables étaient censés le chercher désespérément.
Voilà ce que donnaient les barrages de police considérables mis en place et la chasse à l’homme sur tout le territoire. Quelle merde ! Et quelle déception pour lui ! Comment pouvaient-ils espérer le coincer avec des gens de cet acabit. Ils auraient au moins pu essayer de faire quelque chose qui éveille son intérêt.
Parfois, et particulièrement à des moments comme celui-ci, Gary Soneji avait envie de proclamer la vérité incontestable de son univers.
Proclamation. Écoute-moi bien, espèce de garce imbécile et mal embouchée de flickesse ! Est-ce que tu ne vois pas qui je suis ? Est-ce que tu te laisses abuser par n'importe quel déguisement ridicule ? Je suis celui que tu as vu dans tous les reportages de ces trois derniers jours. Toi, et la moitié du monde, Aretha, ma fille.
Proclamation. C'est moi qui ai monté et exécuté le Crime du siècle si parfaitement. Je suis déjà plus célèbre que John Wayne, Gacy, Jeffrey Dahmer, Juan Corona... Tout a été parfait jusqu'au moment où l'enfant bleu du millionnaire m'a claqué dans les mains.
Proclamation. Rapproche-toi de moi, regarde-moi bien. Sois une saloperie de héros une fois dans ta vie. Sois autre chose qu’une nullité noire et grassouillette sur l’autoroute de l’Amour. Regarde-moi, veux-tu ! Regarde-moi !
Elle lui rendit sa monnaie.
— Joyeux Noël, monsieur.
Gary Soneji haussa les épaules.
– Joyeux Noël à vous dit-il.
Tandis qu’il s’éloignait de la lumière vive qui clignotait sur le guichet du péage, il imaginait la femme policier arborant un de ces visages Bonne journée à vous. Il voyait dans son esprit un pays tout entier rempli de ces têtes souriantes en forme de ballons. Et qui plus est, c’était exactement ce qui se passait.
Cela devenait pire qu’une invasion de kidnappeurs … ça le rendait fou quand il y pensait. Il essayait de ne pas le faire. Un pays entier de ballons souriants. Il aimait beaucoup Stephen King, s’identifiait à ses bizarreries, et aurait voulu que le King écrive quelque chose sur tous les imbéciles souriants d’Amérique. Il visualisait d’avance la jaquette du chef-d’œuvre de King : Les têtes-Ballons.
Quarante minutes plus tard, à Crisfield dans le Maryland, Soneji fit quitter la route 413 à sa fidèle Saab. Il accéléra en prenant le chemin creux qui menait à la vieille ferme. À ce stade, il ne pouvait s’empêcher de sourire, de rire, tellement il les avait tous possédés et fait tourner en bourrique. Complètement tourneboulés !
Il avait déjà surpassé l’affaire Lindbergh, pas vrai ? Et maintenant, le moment était venu que le sol, encore une fois, se dérobe sous les pieds de toutes ces têtes-ballons. »
James Patterson, Le Masque de l'araignée, Le Livre de Poche
J’ai lu encore quelque six pages avant de quitter ma salle de lecture improvisée.
C’est le style de l’auteur qui fait passer l’émotion qu’éprouve le tueur, rivé à lui-même, chosifiant ainsi toutes ses victimes potentielles.
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16/01/2010
La bête par Thomas Vinau
"Il attrapa quelques châtaignes bouillies au fond d’une casserole moirée par la suie, puis les mâcha tranquillement en allumant les bougies. Dans la clarté vivifiante des flammes, il puisa un peu d’eau dans un seau pour se préparer un thé. puis il poussa la porte massive de vieux chêne qui le séparait de l’aube et fit quelques pas dans l’herbe avant de commencer à pisser. La rosée rendait l’herbe fraîche comme une bouche mentholée et cette vigueur presque aquatique provoqua en lui un long et agréable frisson. Le soleil finissait de se lever. Il resta immobile en face de lui, pas plus de quelques secondes, à peine le temps de tremper ses yeux dans le ciel, de distinguer l’odeur de l’ombre et de surprendre une mésange.
...
A voir l’angle des rayons qui se perdaient dans les sous-bois, il n’était pas plus de 9 heures. Il s’en foutait complètement, le temps lui appartenait. Pour lui, le monde était un mystère, une formule secrète dont l’usage se perdait, une science à apprendre. Toutes les techniques, toutes les sciences et tous les arts étaient réunies dans la nature à parler un langage que les hommes avaient oublié. Et il se retrouvait là, seul, à s’essuyer le cul avec des feuilles dont il ne connaissait même pas le nom. Les Bambara disent qu’on ne voit que ce qu’on connaît déjà. Il voulait connaître le monde sauvage. Il essayait de voir autrement, à travers ses ruines. Il avait des livres, mais il fallait un effort immense pour faire de ce savoir en boîte un rapport au vivant. Parfois, il avait la chance de discuter avec un paysan ou un touriste érudit qui rajoutait une pierre à l’édifice en détaillant les caractéristiques d’une racine ou en lui apprenant à distinguer le lièvre de sa femelle par la forme de leurs crottes. A chaque petit pas, minuscule, c’était une joie immense, l’impression de parler enfin sa langue, de retrouver sa langue."
Le site : http://www.lerecoursauxforets.org/article.php3?id_article...
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