16/01/2010
La bête par Thomas Vinau
"Il attrapa quelques châtaignes bouillies au fond d’une casserole moirée par la suie, puis les mâcha tranquillement en allumant les bougies. Dans la clarté vivifiante des flammes, il puisa un peu d’eau dans un seau pour se préparer un thé. puis il poussa la porte massive de vieux chêne qui le séparait de l’aube et fit quelques pas dans l’herbe avant de commencer à pisser. La rosée rendait l’herbe fraîche comme une bouche mentholée et cette vigueur presque aquatique provoqua en lui un long et agréable frisson. Le soleil finissait de se lever. Il resta immobile en face de lui, pas plus de quelques secondes, à peine le temps de tremper ses yeux dans le ciel, de distinguer l’odeur de l’ombre et de surprendre une mésange.
...
A voir l’angle des rayons qui se perdaient dans les sous-bois, il n’était pas plus de 9 heures. Il s’en foutait complètement, le temps lui appartenait. Pour lui, le monde était un mystère, une formule secrète dont l’usage se perdait, une science à apprendre. Toutes les techniques, toutes les sciences et tous les arts étaient réunies dans la nature à parler un langage que les hommes avaient oublié. Et il se retrouvait là, seul, à s’essuyer le cul avec des feuilles dont il ne connaissait même pas le nom. Les Bambara disent qu’on ne voit que ce qu’on connaît déjà. Il voulait connaître le monde sauvage. Il essayait de voir autrement, à travers ses ruines. Il avait des livres, mais il fallait un effort immense pour faire de ce savoir en boîte un rapport au vivant. Parfois, il avait la chance de discuter avec un paysan ou un touriste érudit qui rajoutait une pierre à l’édifice en détaillant les caractéristiques d’une racine ou en lui apprenant à distinguer le lièvre de sa femelle par la forme de leurs crottes. A chaque petit pas, minuscule, c’était une joie immense, l’impression de parler enfin sa langue, de retrouver sa langue."
Le site : http://www.lerecoursauxforets.org/article.php3?id_article...
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