02/11/2009
bâtons à message
" ... Bon, commençons, qu’est-ce que des bâtons à message? Simple! C’est un point de repère, un message visuel que l’on dispose au bord du chemin pour indiquer aux autres nomades l’état de la situation. Par exemple, on utilise deux morceaux de bois en épinette blanche, on en place un penché très près du sol qu’on appuiera contre l’autre placé verticalement, ainsi nous obtiendrons un message, qui signifie: famine.
Recommençons: qu’est-ce que des bâtons à message? Pas facile du tout! Parce que c’est ce recueil, précisément; et il est fait de tranches de papier d’épinette très minces, posé bien à plat sur ma table de travail. Plus penché que ça, c’est impossible. Il signifie: détresse.
Dès l’introduction, la poétesse nous lance «Mon peuple est rare, mon peuple est précieux comme un poème sans écriture.» Qu’est-ce qu’un poème sans écriture? N’est-ce pas une mémoire sans ses traces, comme celles que nous laissons dans la neige et qui disparaissent au printemps? Aucune trace! Sûrement parce que l’écriture était verbe et que les voix disparaissent avec le temps. Où sont donc les voix et leurs mémoires? Ne les retrouverions-nous pas chez les Innus, où sont-ils? «Je ne te vois plus / sur ta terre, / je ne t’entends plus / quand tu rêves // j’ai perdu tes traces.»
Et, la détresse appartient à ceux qui restent, ils sont dispersés, laissés sans voix: «Silence // Je suis adoptée. / Je suis maltraitée. / Je suis orpheline.» Une profonde tristesse, comme un cri étouffé par les émotions qui accablent. Vivre l’exil chez soi, une fuite impossible, un repliement sur soi-même: «Ma douleur, / devenue remord, / est le long châtiment / qui courbe mon dos.»..."
Le lien :
http://www.voir.ca/blogs/claude_r_giroux/archive/2009/10/...
09:20 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)
Un petit extrait de Azteca de Gary Jennings
Quimichi veut dire souris et aussi espion. Parmi les esclaves de Motecuzoma il y avait des ressortissants de tous les pays du Monde Unique et il employait les plus dignes de confiance à espionner pour lui dans leur pays d’origine, car ils pouvaient s’infiltrer parmi leurs concitoyens dans un total anonymat. J’avais moi-même joué les espions chez les Totonaca et dans d’autres circonstances, mais je n’étais qu’un homme seul. Les armées de souris de Motecuzoma étaient capables de rapporter bien davantage d’informations.
Quand le premier espion revint, Motecuzoma convoqua le conseil et moi-même pour nous dire que la grande maison flottante des Blancs avait déployé ses ailes et disparu vers l’est. Malgré la déception que me procurait cette nouvelle, j’écoutai la suite du rapport de la souris car elle avait fait du beau travail en regardant, en écoutant et même en surprenant plusieurs conversations traduites.
Le navire avait levé l’ancre avec son équipage plus un homme détaché par Cortés, chargé sans doute de remettre l’or, les présents et le rapport du capitaine au roi Charles. Cet homme était Alonso, cet officier à qui on avait donné Ce-Malinali. Cette estimable fille n’était évidemment pas partie avec lui et elle était immédiatement devenue la concubine de Cortés en même temps que son interprète.
Cortés s’était adressé par son entremise aux Totonaca. Il leur avait dit que le navire reviendrait avec une nomination à un grade supérieur pour lui et il avait anticipé cette promotion en prenant dès à présent le titre de Capitaine général. Toujours dans le but de devancer les ordres de son roi, il avait décidé de changer le nom de Cem-Anahuac, le Monde Unique. La région côtière qu’il avait déjà soumise et toutes les terres qu’il découvrirait par la suite s’appelleraient désormais la Nouvelle-Espagne. Il était clair que Cortés, qu’il soit fou ou incroyablement audacieux ou encore, comme je le supposais, qu’il agisse sur les injonctions de son ambitieux prince, était en train de s’approprier des terres et des peuples qu’il n’avait encore jamais vus et que ces terres dont il réclamait la souveraineté comprenaient aussi la nôtre.
« Si ce n’est pas une déclaration de guerre, Frère Vénéré, dites-moi ce que c’est, s’exclama Cuitlahuac, bouillant de fureur.
— Il n’a pas envoyé de présents de guerre, ni aucun témoignage d’une pareille intention, répondit Motecuzoma sur un ton hésitant.
— Attendrez-vous qu’il vous décharge ses canons dans les oreilles ? répliqua effrontément son frère Cuitlahuac. Vous voyez bien qu’il ignore notre coutume de donner un avertissement. Apprenons-lui les bonnes manières. Envoyons-lui des présents de guerre, puis descendons vers la côte et rejetons cet insupportable fanfaron dans la mer.
— Calme-toi, mon frère, dit Motecuzoma. Pour l’instant, il n’a ennuyé personne en dehors de ces misérables Totonaca. En ce qui me concerne il peut rester sur cette plage toute sa vie, à se pavaner et à se lisser les plumes. Tant qu’il n’entreprendra rien de précis, nous attendrons. »
Extrait de Azteca de Gary Jennings (p.924-925)
08:20 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)
11/09/2009
Francis, un héros sympathique
Deuxième et dernier extrait de Chien méchant, Une enquête du détective Francis de Akif Pirinçci, sur Regards
"L’autre bord… Au fond, il ne s’agissait guère que d’une version en miroir de la nôtre. Sinon la même.
…
mais il s’avérait, une fois de plus, que dans ce genre de pétaudière de la haine il manquait invariablement ce petit rien qui distingue les vivants des morts, à savoir l’activité cérébrale. Et les petits malins comme Moïse et Sissi savaient veiller à ce qu’il en soit ainsi.
Les seuls à ne pas joindre leur voix à ce raffut furent petit Max et Titus d’un côté, Hinz et Kunz de l’autre. La mine figée, ils enregistraient les défoulements d’hostilité à la manière de sismographes mesurant l’amplitude des tremblements de terre. Leurs tronches en pointe et leurs yeux glacés tranchaient sur les postures rengorgées de leurs chefs.
"Nous étions partis du principe selon lequel cette conférence permettrait de trouver une solution aux tensions qui règnent dans le quartier, renâcla Moïse en se mettant à arpenter hargneusement son territoire. Mais si vous croyez, bande d’aboyeurs à la lune, que nous sommes venus ici pour nous faire insulter, alors nous résoudrons le problème par la force."
Un mugissement approbateur retentit de tous côtés, jusques et y compris chez ceux visés par ces menaces.
"T’emballe pas, espèce de braconneur d’insectes !" glapit Sissi en guise de réponse avant de s’avancer à son tour lentement dans l’arène. Ce faisant, elle ressemblait à un petit ballon roulant sur quatre autres ballons un peu plus petits."Primo, j’ai uniquement mis en doute les talents de votre super-renifleur, et deuzio, je ne vois toujours pas de raison de renoncer à l’idée que vous faites de la provocation ciblée.
— Mais il avait été décidé d’œuvrer ici à la paix, non de laisser la situation dégénérer. De plus, vous étiez d’accord pour une explication franche et pour faire appel à un expert afin de clarifier rapidement les choses. Alors voilà, notre ami Francis est là. Et il a plus de malfaiteurs à son tableau de chasse que tous les montreurs de crocs parmi vous.
— Même si le malfaiteur en question est un tueur issu de vos rangs et si sa mission consiste à saper les relations de bon voisinage par des meurtres au hasard en vue d’aplanir le chemin vers la guerre ?"
À ces mots, la façade d’habile démagogue de Moïse commença à se fissurer, et, sous l’emprise d’une légitime colère, l’or de ses yeux vira au rouge vif.
"Qu’est-ce que c’est que ces âneries ? Tu ne vas tout de même pas prétendre que nous avons abattu de sang-froid quatre des nôtres pour détourner les soupçons !
— Pourquoi pas ? Tu insinues bien la même chose, répondit Sissi avec un mauvais sourire, sollicitant du coin de l’œil l’approbation de son auditoire.
— Et pour cause. Le dessin des morsures infligées à la dernière victime, vous désigne vous, les clébards, comme coupables ; oui, sans conteste il vous désigne vous, hypocrites clébards !
— C’est une affirmation un peu osée", pensai-je à haute voix en m’interposant entre les deux fiers à bras. Bien que Barbe-Bleue se fût efforcé jusque là d’apparaître comme un Bouddha en plein recueillement, je remarquai en passant que non seulement son œil indemne, mais également les rides de son orbite vide, et jusqu’au moignon à la racine de sa queue étaient pris de tressaillements d’angoisse. Mais, plus grave encore, un soubresaut d’indignation traversait la communauté à laquelle j’appartiens de naissance, tandis que la communauté contre laquelle j’étais censé, selon le folklore, nourrir des dispositions hostiles laissait échapper un "Ouaiiis !" de soulagement orgasmique. Moïse, petite chose tout éberluée sous le soleil éclatant de l’après-midi, me regardait avec l’air de se demander si les magasins pour animaux offraient aussi des camisoles de force.
"Merveilleux !" s’écria Sissi, comme si je lui avais fourni l’argument souhaité. Même votre gros démerdard admet que nous ne pouvons pas être rendus responsables du meurtre de ces quatre tortionnaires de souris.
— Tout aussi faux ", répliquai-je, parlant de nouveau davantage à moi-même qu’à la meute idiote de ces simples d’esprit, lesquels semblaient pris de vertige face à cette turbine débitant une information nouvelle à la seconde. Tout comme Sissi et Moïse d’ailleurs.
"Qu’est-ce que ça signifie ? s’enquit la première, déconcertée. Tu viens de dire que les traces de morsures ne sont pas de nous, et maintenant, tout d’un coup, le contraire devrait être vrai ? De quel côté es-tu à la fin ?
— Du côté des bons, bien entendu !" gémis-je, découragé, et je m’assis sur mes pattes arrières sous des centaines de regards méprisants. Mais soit ! Lorsque j’avais accepté de m’embarquer dans cette folie, nul ne m’avait promis une partie de plaisir sur le chemin menant à la vérité.
"D’abord, je n’ai en rien exclu la possibilité qu’une mâchoire canine soit l’instrument du crime, j’ai seulement émis quelques doutes quant à la supposition de Moïse. Telles que je vois les choses, les deux parties entrent en ligne de compte, car les crocs ayant infligé les lésions mortelles peuvent tout autant appartenir à un clébard de taille moyenne qu’à un plantureux — comment disais-tu ? tortionnaire de souris ...""
15:03 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)