11/09/2009
Francis, un héros sympathique
Deuxième et dernier extrait de Chien méchant, Une enquête du détective Francis de Akif Pirinçci, sur Regards
"L’autre bord… Au fond, il ne s’agissait guère que d’une version en miroir de la nôtre. Sinon la même.
…
mais il s’avérait, une fois de plus, que dans ce genre de pétaudière de la haine il manquait invariablement ce petit rien qui distingue les vivants des morts, à savoir l’activité cérébrale. Et les petits malins comme Moïse et Sissi savaient veiller à ce qu’il en soit ainsi.
Les seuls à ne pas joindre leur voix à ce raffut furent petit Max et Titus d’un côté, Hinz et Kunz de l’autre. La mine figée, ils enregistraient les défoulements d’hostilité à la manière de sismographes mesurant l’amplitude des tremblements de terre. Leurs tronches en pointe et leurs yeux glacés tranchaient sur les postures rengorgées de leurs chefs.
"Nous étions partis du principe selon lequel cette conférence permettrait de trouver une solution aux tensions qui règnent dans le quartier, renâcla Moïse en se mettant à arpenter hargneusement son territoire. Mais si vous croyez, bande d’aboyeurs à la lune, que nous sommes venus ici pour nous faire insulter, alors nous résoudrons le problème par la force."
Un mugissement approbateur retentit de tous côtés, jusques et y compris chez ceux visés par ces menaces.
"T’emballe pas, espèce de braconneur d’insectes !" glapit Sissi en guise de réponse avant de s’avancer à son tour lentement dans l’arène. Ce faisant, elle ressemblait à un petit ballon roulant sur quatre autres ballons un peu plus petits."Primo, j’ai uniquement mis en doute les talents de votre super-renifleur, et deuzio, je ne vois toujours pas de raison de renoncer à l’idée que vous faites de la provocation ciblée.
— Mais il avait été décidé d’œuvrer ici à la paix, non de laisser la situation dégénérer. De plus, vous étiez d’accord pour une explication franche et pour faire appel à un expert afin de clarifier rapidement les choses. Alors voilà, notre ami Francis est là. Et il a plus de malfaiteurs à son tableau de chasse que tous les montreurs de crocs parmi vous.
— Même si le malfaiteur en question est un tueur issu de vos rangs et si sa mission consiste à saper les relations de bon voisinage par des meurtres au hasard en vue d’aplanir le chemin vers la guerre ?"
À ces mots, la façade d’habile démagogue de Moïse commença à se fissurer, et, sous l’emprise d’une légitime colère, l’or de ses yeux vira au rouge vif.
"Qu’est-ce que c’est que ces âneries ? Tu ne vas tout de même pas prétendre que nous avons abattu de sang-froid quatre des nôtres pour détourner les soupçons !
— Pourquoi pas ? Tu insinues bien la même chose, répondit Sissi avec un mauvais sourire, sollicitant du coin de l’œil l’approbation de son auditoire.
— Et pour cause. Le dessin des morsures infligées à la dernière victime, vous désigne vous, les clébards, comme coupables ; oui, sans conteste il vous désigne vous, hypocrites clébards !
— C’est une affirmation un peu osée", pensai-je à haute voix en m’interposant entre les deux fiers à bras. Bien que Barbe-Bleue se fût efforcé jusque là d’apparaître comme un Bouddha en plein recueillement, je remarquai en passant que non seulement son œil indemne, mais également les rides de son orbite vide, et jusqu’au moignon à la racine de sa queue étaient pris de tressaillements d’angoisse. Mais, plus grave encore, un soubresaut d’indignation traversait la communauté à laquelle j’appartiens de naissance, tandis que la communauté contre laquelle j’étais censé, selon le folklore, nourrir des dispositions hostiles laissait échapper un "Ouaiiis !" de soulagement orgasmique. Moïse, petite chose tout éberluée sous le soleil éclatant de l’après-midi, me regardait avec l’air de se demander si les magasins pour animaux offraient aussi des camisoles de force.
"Merveilleux !" s’écria Sissi, comme si je lui avais fourni l’argument souhaité. Même votre gros démerdard admet que nous ne pouvons pas être rendus responsables du meurtre de ces quatre tortionnaires de souris.
— Tout aussi faux ", répliquai-je, parlant de nouveau davantage à moi-même qu’à la meute idiote de ces simples d’esprit, lesquels semblaient pris de vertige face à cette turbine débitant une information nouvelle à la seconde. Tout comme Sissi et Moïse d’ailleurs.
"Qu’est-ce que ça signifie ? s’enquit la première, déconcertée. Tu viens de dire que les traces de morsures ne sont pas de nous, et maintenant, tout d’un coup, le contraire devrait être vrai ? De quel côté es-tu à la fin ?
— Du côté des bons, bien entendu !" gémis-je, découragé, et je m’assis sur mes pattes arrières sous des centaines de regards méprisants. Mais soit ! Lorsque j’avais accepté de m’embarquer dans cette folie, nul ne m’avait promis une partie de plaisir sur le chemin menant à la vérité.
"D’abord, je n’ai en rien exclu la possibilité qu’une mâchoire canine soit l’instrument du crime, j’ai seulement émis quelques doutes quant à la supposition de Moïse. Telles que je vois les choses, les deux parties entrent en ligne de compte, car les crocs ayant infligé les lésions mortelles peuvent tout autant appartenir à un clébard de taille moyenne qu’à un plantureux — comment disais-tu ? tortionnaire de souris ...""
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