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04/06/2011

Un extrait du livre Chateaubriand Poésie et Terreur

« Confessions » et « Mémoires »

"Même lorsque Chateaubriand eut cessé, au moins en apparence, de se sentir un émigrant dans la France qu'il avait retrouvée, en 1800, fort abîmée, mais renaissante, même lorsque, sous la Restauration, portant son titre de vicomte, membre de la Chambre des pairs, grand orateur et publiciste du régime, il put se sentir de nouveau et légitimement Français, dans une société libérale qui refleurissait politiquement et littérairement avec lui et autour de lui, il ne se désolidarisera jamais de Rousseau au point de le rendre responsable de la Terreur. Ses mises au point dans les notes de sa réédition de l'Essai sur les révolutions sont nettes. Son reproche essentiel envers l'auteur de l'Émile reste l'encouragement que son « système » a donné aux jeunes générations de se séparer de leur famille, de la société, de vivre « d'eux mêmes » dans des rêveries solipsistes dangereuses pour leur équilibre mental et moral. Dans ses Mémoires, il étendra ce reproche à son propre René, dont il avait voulu faire, dans le Génie du Christianisme, un contre-exemple, et qui a été pris comme modèle à imiter, relayant les leçons misanthropiques de Rousseau. Il s'est séparé aussi de la politique du citoyen de Genève, dont l'idéal républicain restait celui des cités antiques et de la « liberté des Anciens », ignorant les régimes représentatifs et la liberté des Modernes. Son retour à la foi catholique l'a libéré aussi du déisme du Vicaire savoyard, qui isole la conscience religieuse de la communauté ecclésiale, subordonnant Dieu et la morale à la seule évidence du sentiment intérieur. Enfin, il voit les faiblesses de Rousseau écrivain, et surtout de Rousseau autobiographe, dont les mœurs ( qu'il déclare dans les Mémoires foncièrement « antipathiques » aux siennes ) retentissent sur le style et le flétrissent.

Cette dernière critique, à la fois morale et littéraire, de l'auteur des Confessions, esquissées dans les notes de 1826, va être reprise à grande échelle dans les Mémoires d'outre-tombe. Le mémorialiste s'insurge à plusieurs reprises contre la facilité que s'accorde Jean-Jacques autobiographe de s'absoudre lui-même de sa muflerie ou de ses goujateries :

« […] Je n'ai ni fait chasser une servante pour un ruban volé, ni abandonné mon ami mourant dans une rue, ni déshonoré la femme qui m'a recueilli, ni mis mes bâtards aux Enfants-Trouvés ». 

Cette absence de tact, de goût, d'élémentaire courtoisie et galanterie, qui s'estime absoute par une franchise brutale, répugne tellement à l'auteur des Mémoires qu'il se livre à un exercice d'explication de texte comparés pour mieux faire sentir ce point essentiel et délicat : la littérature, même si elle n'est pas édifiante, n'est pas un confessionnal public ; au moins doit-elle témoigner pour l'élégance des manières et des mœurs. Il rapproche le récit des amours vénitiennes de Rousseau, dans les Confessions, de celui qu'avait fait des siennes Lord Byron."

Extrait du chapitre intitulé Chateaubriand et Rousseau, p. 120 – 121 du livre de Marc Fumaroli — Chateaubriand Poésie et Terreur — Éditions de Fallois

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