Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/01/2014

Regards biaisés de George Sand sur la société

Il y a des considérations sur la société française, de la part de Bénédict telles que l'on pourrait les prendre comme résultant de l'état d'esprit d'un contemporain. Malgré les catastrophes qui sont arrivées dans l'intervalle. C'est surprenant. Cet extrait que je présente en quelques lignes : Louise, qui comme sa sœur  Valentine et Athénaïs (la cousine de Bénédict) aime Bénédict, tente en vain de convaincre celui-ci de renoncer à l'amour qu'il éprouve pour Valentine, et d'aimer  Athénaïs envers laquelle elle se sent des devoirs ; Selon Louise les sentiments de Bénédict pour Valentine ne sont que chimères qui le rongeront jusqu'à le rendre inapte, "bon à rien". La réponse de Bénédict :



"— (...) Dans l'état de la société, le meilleur résultat possible de l'éducation qu'on nous donne serait de retourner volontairement à l'état d'abrutissement d'où l'on s'efforce de nous tirer durant vingt ans de notre vie. Mais écoutez Louise, ne faites pas pour moi de ces rêves chimériques que vous me reprochez. C'est vous qui m'invitez à dépenser mon énergie en fumée, quand vous me dites de travailler pour être un homme comme les autres, de consacrer ma jeunesse, mes veilles, mes plus belles heures de bonheur et de poésie, à gagner de quoi mourir de vieillesse commodément, les pieds dans la fourrure et la tête sur un coussin de duvet. Voilà pourtant le but de tous ceux que l'on appelle de bons sujets à mon âge, et des hommes positifs à quarante ans. Dieu les bénisse ! Laissez-les aspirer de tous leurs efforts à ce but sublime : être électeurs du grand collège, ou conseillers municipaux,  ou secrétaires de préfecture. Qu'ils engraissent des bœufs et maigrissent des chevaux à courir les foires ; qu'ils se fassent valets de cour ou valets de basse-cour, esclaves d'un ministre ou d'un lot de moutons, préfets à la livrée d'or ou marchands de porcs à la ceinture doublée de pistoles ; et qu'après toute une vie de sueur, de maquignonnage, de platitude ou de grossièreté, ils laissent le fruit de tant de peines à une fille entretenue, intrigante cosmopolite, ou servante joufflue du Berri, par le moyen de leur testament ou par l'intermédiaire de leurs héritiers pressés de jouir de la vie : voilà la vie positive qui se déroule dans toute sa splendeur autour de moi ! voilà la glorieuse condition d'homme vers laquelle aspirent tous mes contemporains d'étude. Franchement, Louise, croyez-vous que j'abandonne là une bien belle et bien glorieuse existence ?

— Vous savez vous-même, Bénédict, combien il serait facile de rétorquer cette hyperbolique satire. Aussi je n'en prendrai pas la peine ; je veux vous demander simplement ce que vous comptez faire de cette ardente activité qui vous dévore, et si votre conscience ne vous prescrit pas d'en faire un emploi utile à la société ?

— Ma conscience ne me prescrit rien de semblable. La société n'a pas besoin de ceux qui n'ont pas besoin d'elle. Je conçois la puissance de ce grand mot sur des peuples nouveaux, sur une terre vierge qu'un petit nombre d'hommes, rassemblés d'hier, s'efforcent de fertiliser et de faire servir à leurs besoins ; alors si la colonisation est volontaire, je méprise celui qui viendra s'engraisser impunément du travail des autres. Je puis concevoir le civisme chez les nations libres ou vertueuses, s'il en existe. Mais ici, sur le sol de France, où, quoi qu'on en dise, la terre manque de bras, où chaque profession regorge d'aspirants, où l'espèce humaine, hideusement agglomérée autour des palais, rampe et lèche la trace des pas du riche, où d'énormes capitaux, rassemblés (selon toutes les lois de la richesse sociale) dans les mains de quelques hommes, servent d'enjeu à une continuelle loterie entre l'avarice, l'immoralité et l'ineptie, dans ce pays d'impudeur et de misère, de vice et de désolation ; dans cette civilisation pourrie jusqu'à sa racine, vous voulez que je sois citoyen ? que je sacrifie ma volonté, mon inclination, ma fantaisie, à ses besoins pour être sa dupe ou sa victime, pour que le denier que j'aurais jeté au mendiant aille tomber dans la caisse du millionnaire ? Il faudra que je m'essouffle à faire du bien afin de produire un peu plus de mal, afin de fournir mon contingent aux administrations qui patentent les mouchards, les croupiers et les prostituées ? Non, sur ma vie ! Je ne le ferai pas. je ne veux rien être dans cette belle France, la plus éclairée des nations. (...)"

George Sand



J'en suis là de cette lecture de Valentine. Accès facile je disais hier dans ma note, ce qui n'empêche pas la profondeur d'analyse en tous genres. J'avoue ma surprise quant à la tournure qu'elle fait prendre à ses personnages ; elle en réserve sûrement d'autres (après avoir mis dans la bouche de Bénédict que sa cousine était une "bourgeoise frelatée", de quelles autres secousses  petites ou grandes va-t-elle encore agiter ses lecteurs ?)

  

10:26 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

04/01/2014

Monsieur Ouine au lieu de Le Glaude, du Bombé et de La Denrée

Je n'ai pas trouvé René Fallet à la bibliothèque municipale de Béthune, pourtant il a écrit pas mal de livres qui seraient assez connus.  Patrick me voyant déçue me dit  "tu l'trouves pas ?"  sous entendu : René Fallet puis  il dirige son index vers un pavé et commente, consolateur : "Regarde, il y a plein de bouquins de Bernanos, là." "Là", c'était le rayon d'en face. Il déloge le pavé de la rangée de livres et me le tend. Bernanos en effet.

 Les orientations politiques ne définissent pas un homme comme cet auteur qui a tellement crié contre son camp. Il s'en est retrouvé à la fin  je pense en situation d'électron libre, si l'on peut dire. 

 

Préface de Michel del Castillo


"Comme Céline, comme tant d'autres, Bernanos a surgi des tranchées de 14. Rescapé de cette boucherie, il contemple le monde avec des yeux dessillés. Fils de paysans, pétri de la boue d'Artois, il a vécu, avec horreur et fierté, une guerre de paysans enterrés vivants. Quand il se lève de cet ossuaire, il fixe sur les années folles le regard d'un revenant. Était-ce ça, le sens de ce sacrifice qui a ravagé le pays ? (...)

 "Tous ses romans portent la marque de ce dégoût. Ils proviennent de cette révolte initiale. Ils vomissent la même abjection. (...) Ses curés diront l'impuissance, la solitude, et, surtout, l'échec. Ils balbutieront des propos incohérents, exhiberont leur balourdise, montreront leur grossièreté de paysans mal dégrossis. Sous leur allure fruste, ces prêtres oubliés dans d'obscures paroisses sont aussi des visionnaires. Ils déchiffrent, non les apparences, mais le for le plus intérieur. Ils rencontrent Satan, devisent avec lui, cheminent à ses côtés. Des illuminations les déchirent. Ils tentent de dire l'inexprimable et ils ne parviennent qu'à susciter la risée de leurs paroissiens, l'inquiétude de leurs supérieurs, l'indignation de la hiérarchie. Ils ne servent à rien, strictement, sauf à déranger l'ordre du monde. (...) Des trois vertus théologales, l'une, la foi, vacille ; la charité s'use en vain ; ne reste que l'espérance, qui porte le grand chant bernanosien, d'un bout à l'autre de sa vie."

Michel del Castillo

  

 

 

21:56 Publié dans Lecture, Note | Lien permanent | Commentaires (0)

Bénédict et Valentine

Bénédict est le fils adoptif d'un paysan qui a recueilli le rejeton de son frère sans le sou. L'oncle  donc, chérit Bénédict comme son propre enfant, prend grand soin de lui, jusqu'à lui faire faire des études à Paris. L'action du roman doit se situer après l'époque Napoléonienne ; des fils de paysan étudiant à Paris hors contexte séminariste, c'est assez rare encore à cette époque où la noblesse a repris du poil de la bête. Bénédict connaît la musique, chante à merveille, sait accorder un piano et est attiré par l'innocente Valentine de Raimbault  touchée de son côté par la personnalité du jeune homme et son charme certain (elle l'a entendu chanter aux abords de la forêt lorsqu'elle errait sur un sentier un soir de fête où elle avait perdu sa route tel le Grand Meaulnes.) 

  À la faveur de ces divers éléments et grâce aux ruses de Valentine pour que sa mère reçoive convenablement une personne qui a passé des heures à réparer son piano, Bénédict, le fils de paysan est reçu à la table familiale et non pas envoyé à l'office pour boire une boisson fraîche avant de décaniller comme la comtesse l'avait initialement prévu. L'extrait se rapporte au repas auquel a assisté Bénédict :



"Le repas fut court mais enjoué. On passa ensuite sous la charmille pour prendre le café. La marquise était toujours d’assez bonne humeur en sortant de table. De son temps, quelques jeunes femmes dont on tolérait la légèreté en faveur de leur grâces, et peut-être aussi de la diversion que leurs inconvenances apportaient à l’ennui d’une société oisive et blasée, se faisaient fanfaronnes de mauvais ton ; à certains visages l’air mauvais sujet allait bien. Mme de Provence était le noyau d’une coterie féminine qui sablait fort bien le champagne. Un siècle auparavant, Madame, belle-sœur de Louis XIV, bonne et grave Allemande qui n’aimait que les saucisses à l’ail et la soupe à la bière, admirait chez les dames de la cour de France, et surtout chez Mme la duchesse de Berry, la faculté de boire beaucoup sans qu’il y parût, et de supporter à merveille le vin de Constance et le marasquin de Hongrie.

 

La marquise était gaie au dessert. Elle racontait avec cette aisance, ce naturel propre aux gens qui ont vu beaucoup de monde, et qui leur tient lieu d’esprit. Bénédict l’écouta avec surprise. Elle lui parlait une langue qu’il croyait étrangère à sa classe et à son sexe. Elle se servait de mots crus qui ne choquaient pas, tant elle les disait d’un air simple et sans façon. Elle racontait aussi des histoires avec une merveilleuse lucidité de mémoire et une admirable présence d’esprit pour en sauver les situations graveleuses à l’oreille de Valentine. Bénédict levait quelquefois les yeux sur elle avec effroi, et, à l’air paisible de la pauvre enfant, il voyait si clairement qu’elle n’avait pas compris, qu’il se demandait s’il avait compris lui-même, si son imagination n’avait pas été au-delà du vrai sens. Enfin il était confondu étourdi de tant d’usage avec tant de démoralisation, d’un tel mépris des principes joint à un tel respect des convenances. Le monde que la marquise lui peignait était devant lui comme un rêve auquel il refusait de croire.

 

Ils restèrent assez longtemps sous la charmille. Ensuite Bénédict essaya le piano et chanta. Enfin, il se retira assez tard, tout surpris de son intimité avec Valentine, tout ému sans en savoir la cause, mais emplissant son cerveau avec délices de l’image de cette belle et bonne fille, qu’il était impossible de ne pas aimer."

George Sand Valentine

19:42 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)