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16/01/2014

Lélia et les fins de mondes

À la faveur d'un réveil bienvenu cette nuit, j'ai repris le roman en cours de lecture : Lélia.

 

George Sand mêle dans son roman poésie  et philosophie où se profile le paysage politique et social de son époque.

 

Je ne suis pas encore arrivée à la moitié de cette œuvre. Pour l'heure,  Lélia et Sténio discutent ensemble comme on chemine.  Lélia pourrait donner l'impression parfois de tourner en rond dans son désespoir dès qu'elle ressent ce qu'elle nomme son impuissance à aimer mais la poésie de George Sand joue de magie et donne leur ressort aux personnages, presque malgré eux parfois ; le lecteur suit donc George Sand dans sa recherche et dans son témoignage.

 

Les personnages évoluent malgré les ressassements de Lélia qui en appelle maintenant sans cesse à Dieu. Se mêle dans ses plaintes la révolte quant à  l'homme et sa triste condition tandis que le Dieu qu'elle imagine va survivre, indifférent ;  anesthésiée par le spleen elle ne craint parfois plus rien, brave tout par inertie dit-elle, ainsi que ces gens de son siècle blasé qui se battent en duel par ennui de vivre observe-t-elle  ;  chemin faisant Sténio se révèle  sous d'autres aspects. D'un coup recadré au tournant d'une conversation qui devient politique, à bout d'arguments, il manque singulièrement d'imagination à mon sens :

 

"— Eh ! vous savez bien que, dans tous les temps, les trônes ont chancelé sur des bases fragiles ! Cet esprit de liberté qui s'empare, dit-on, des peuples nouveaux, ce n'est point une improvisation si prompte que nous n'ayons eu le temps de lire comment les peuples anciens organisaient leur système de république. Tout dans nos révolutions a un caractère d'imitation puérile et de plagiat misérable. La lutte entre le pauvre et le riche n'a t-elle pas commencé du jour où elle a cessé entre le pauvre et le faible ? L'établissement du droit d'héritage n'est-il pas presque aussi ancien que celui du droit de conquête ? Est-ce d'hier que nous nous disputons le sol qui nous porte ?"

 

J'y vois là comme une tentative de Sténio de justifier la colonisation dont il n'est question que de façon sous-jacente, afin d'apaiser un éventuel sentiment de culpabilité ou du moins, d'accablement, chez Lélia. Elle lui répond ceci :

 

"— Oui, dit-elle, mais après ces guerres d'homme à homme, après ces bouleversements de société, le monde encore jeune et vigoureux se relevait et reconstruisait son édifice pour une nouvelle période de siècles. Cela n'arrivera plus. Nous ne sommes pas seulement, comme vous le croyez, à un de ces lendemains de crise où l'esprit humain fatigué s'endort sur le champ de bataille avant de reprendre les armes de la délivrance. A force de tomber et de se relever, à force de rester étendu sur le flanc, et de ressaisir l'espérance, et de voir ses blessures se rouvrir et se refermer, à force de s'agiter dans ses fers et de s'enrouer à crier vers le ciel, le colosse vieillit et s'affaisse ; il chancelle maintenant comme une ruine qui va crouler pour jamais ; encore quelques heures d'agonie convulsive, et le vent de l'éternité passera indifférent sur un chaos de nations sans frein, réduites à se disputer les débris d'un monde usé qui ne suffira plus à leur besoins."

 

Lucidité de visionnaire, n'est-ce pas ? La réponse de Sténio  :

 

"— Vous croyez à l'approche du jugement dernier ? O ma triste Lélia ! c'est votre âme ténébreuse qui enfante ces terreurs immenses, car elle est trop vaste pour de moindres superstitions. Mais, dans tous les temps, l'esprit de l'homme a été préoccupé de ces idées de mort. Les âmes ascétiques se sont toujours complues dans ces contemplations sinistres, dans ces images de cataclysme et de désolation universelle. Vous n'êtes pas un prophète nouveau, Lélia ; Jérémie est venu avant vous, et votre poésie dantesque et colère n'a rien créé d'aussi lugubre que l'Apocalypse, chantée dans les nuits délirantes d'un fou sublime aux rochers de Pathnos."

 

Leur chemin continue et au passage le lecteur apprend beaucoup, notamment de la difficulté existentielle où certains plongèrent après la révolution, en raison des répercussions de la violence qu'elle engendra, des guerres qui s'ensuivirent, des émigrations, des nouveaux despotes qui arrivèrent et du harcèlement guerrier de ceux qui établirent la restauration. Certains, d'évidence, ne savent plus où ils en sont, moralement lessivés, désabusés. Y a-t-il un écho parfois de la culpabilité de l'auteur dans la voix de Lélia, par rapport à la colonisation ? Lélia pressent la fin d'un monde comme Chateaubriand a vu la fin du sien avec l'extermination de sa famille durant la révolution. Lélia et son impuissance à aimer, Sténio que j'entrevois quelque peu égoïste politiquement parlant mais éperdument amoureux, certes. Où cela va-t-il  mener ces deux personnages ? Je verrai ce soir pour ma part.    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

09:14 Publié dans Lecture, Note | Lien permanent | Commentaires (0)

13/01/2014

Lélia de George Sand

J'en suis là de cette lecture : Lélia a raconté à Sténio qui l'aime la terrible histoire de Trenmor, Homme qu'elle admire et protège. Ensuite George Sand met les trois personnages en présence. chapitre 14, les voilà tous trois à un bal costumé.



"le manteau de Lélia était moins noir, moins velouté que ses grands yeux couronnés d'un sourcil mobile. La blancheur mate de son visage se perdait dans celle de sa vaste fraise, et la froide respiration de son sein impénétrable ne soulevait même pas le satin noir de son pourpoint et les triples rangs de sa chaîne d'or.


— Regardez Lélia dit Trenmor ...."



 Trenmor fait alors part à Sténio de ce que lui évoque la beauté de Lélia :



 " (...) regardez, vos dis-je, cette beauté physique qui suffirait pour constater une grande puissance, et que Dieu s'est plu à revêtir de toute la puissance intellectuelle de notre époque ! (...)"


voici à quoi il la compare :


" (...) c'est le marbre sans tache de Galathée, avec le regard céleste du Tasse, avec le sourire sombre d'Alighieri. C'est l'attitude aisée et chevaleresque des jeunes héros de Shakespeare : c'est Roméo, le poétique amoureux ; C'est Hamlet, le pâle et ascétique visionnaire ; c'est Juliette, (...) . Vous pouvez inscrire les plus grands noms de l'histoire, du théâtre et de la poésie sur ce visage dont l'expression résume tout, à force de tout concentrer. le jeune Raphaël devait tomber dans cette contemplation extatique, lorsque Dieu lui faisait apparaître une virginale idéalité de femme. Corinne mourante devait être plongée dans cette morne attention lorsqu'elle écoutait ses derniers vers déclamés au Capitole par une jeune fille. Le page muet et mystérieux de Lara se renfermait dans cet isolement dédaigneux de la foule. Oui, Lélia réunit toutes ces idéalités, parce qu'elle réunit le génie de tous les poètes, la grandeur de tous les héroïsmes. Vous pouvez donner tous ces noms à Lélia ; le plus grand, le plus harmonieux de tous devant Dieu sera encore celui de Lélia ! Lélia dont le front lumineux et pur, dont la vaste et souple poitrine renferme toutes les grandes pensées, tous les généreux sentiments ; religion, enthousiasme, stoïcisme, pitié, persévérance, douleur, charité, pardon, candeur, audace, mépris de la vie, intelligence, activité, espoir, patience, tout ! — jusqu'aux faiblesses innocentes, jusqu'aux sublimes légèretés de la femme, jusqu'à la mobile insouciance qui est peut-être son plus doux privilège et sa plus puissante séduction."



Voici maintenant ce que Sand fait répondre à son personnage Sténio :



"— Tout hormis l'amour ! Hélas dit Sténio, il est donc bien vrai ! vous n'avez pas nommé l'amour, Trenmor, vous qui connaissez Lélia, vous n'avez pas nommé l'amour ? Eh bien ! si cela est, vous avez menti : Lélia n'est pas un être complet. C'est un rêve tel que l'homme peut en créer, gracieux, sublime, mais où il manque toujours quelque chose d'inconnu, quelque chose qui n'a pas de nom, et qu'un nuage nous voile toujours, quelque chose qui est au-delà des cieux,  quelque chose où nous tendons sans cesse sans  l'atteindre ni  le deviner jamais, quelque chose de vrai, de parfait et d'immuable ; Dieu peut-être, c'est peut-être Dieu que cela s'appelle ! Eh bien ! la révélation de cela manque à l'esprit humain. Pour le remplacer, Dieu lui a donné l'amour, faible émanation du feu du ciel, âme de l'univers perceptible à l'homme ; cette étincelle divine, ce reflet du Très-Haut, sans lequel la plus belle création est sans valeur, sans lequel la beauté n'est qu'une image privée d'animation, l'amour, Lélia ne l'a pas. Qu'est-ce donc que Lélia ? Une ombre, un rêve, une idée tout au plus. Allez, là où il n'y a pas d'amour, il n'y a pas de femme.


 — Et pensez-vous aussi, lui dit Trenmor sans répondre à ce que Sténio espérait être une question, pensez-vous aussi que là où il n'y a plus d'amour il n'y a plus d'homme ?


— Je le crois de toute mon âme, s'écria l'enfant.


 — En ce cas je suis donc mort aussi, dit Trenmor en souriant, car je n'ai pas d'amour pour Lélia, et, si Lélia n'en inspire pas, quelle autre en aurait la puissance ! Eh bien, enfant, j'espère que tu te trompes, et qu'il en est de l'amour comme des autres passions. Je crois que là où elles finissent l'homme commence."

 

George Sand aborde  sans détour les rivages de la philosophie et du sentiment religieux  dans Lélia. Un roman qu'il faut prendre, de toute évidence, le temps de lire lentement. Jusqu'ici je l'aime beaucoup. 

09:59 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

12/01/2014

J'ai montré votre lettre... George Sand

Extrait de Lélia de George Sand



"J'ai montré votre lettre à l'homme qu'on nomme ici Tremnor, et dont moi seule connais le vrai nom. Il a pris tant d'intérêt à votre souffrance, et c'est un homme dont le cœur est si compatissant (ce cœur que vous croyez mort), qu'il m'a autorisée à vous confier son secret. Vous allez voir que l'on ne vous traite pas comme un enfant, car ce secret est le plus grand qu'un homme puisse confier à un autre homme.



 Et d'abord sachez la cause de l'intérêt que j'éprouve pour Tremnor. C'est que cet homme est le plus malheureux que j'aie encore rencontré ; c'est que, pour lui, il n'est point resté dans le calice une goutte de lie qu'il n'ait fallu épuiser ; c'est qu'il a sur vous, une immense, une incontestable supériorité, celle du malheur.

 

Savez-vous ce que c'est que le malheur jeune homme ? Vous entrez à peine dans la vie, vous en supportez les premières agitations, vos passions se soulèvent, accélèrent le mouvement de votre sang, troublent la paix de votre sommeil, éveillent en vous des sensations nouvelles, des inquiétudes convulsives, des tourments nerveux, et vous appelez cela souffrir ! Vous croyez avoir reçu le grand, le terrible, le solennel baptême du malheur ! Vous souffrez, il est vrai, mais quelle noble et précieuse souffrance que celle d'aimer ! De combien de poésie n'est-elle pas la source ? Qu'elle est chaleureuse, quelle est productive, la souffrance qu'on peut dire et dont on peut être plaint !

 Mais celle qu'il faut refermer sous peine d'infamie et de malédiction, celle qu'il faut cacher au fond de ses entrailles comme un amer trésor, celle qui ne vous brûle pas, mais qui vous glace, qui n'a point de larmes, point de prières, point de rêveries, celle qui toujours veille, froide, pâle, paralytique au fond du cœur ! celle que Tremnor a épuisée, c'est celle-là dont il pourra se vanter devant Dieu, au jour de la justice ; car devant les hommes il faut s'en cacher.

 

Écoutez l'histoire de Tremnor. Il est plus largement, plus richement organisé qu'aucun de vous. Pour lui la vie commune était trop petite ; aux âmes comme la sienne l'univers n'offre pas assez d'aliments. Comme vous cependant il a été jeune, candide, amoureux ; comme vous, il a eu vingt ans. Seulement, comme il vivait plus vite, il les a eus à seize.

 

L'amour épuisé, il a été dévoré par une passion bien autrement énergique, bien plus féconde en drames terribles, bien plus intense, bien plus enivrante, bien plus héroïque dans les actes qui concourent à son but. Le jeu ! car il faut le dire hélas ! si le but est vil en apparence, l'ardeur est puissante, l'audace est sublime, les sacrifices sont aveugles et sans bornes. Jamais les femmes n'en inspirent de pareils. L'or est une puissance bien supérieure à la leur. En force, en courage, en dévouement, en persévérance, au prix du joueur, l'amant n'est qu'un faible enfant dont les efforts sont dignes de pitié. Combien d'hommes avez-vous vu sacrifier à leur maîtresse ce bien inestimable, cette nécessité sans prix, cette condition d'existence sans laquelle il n'y a pas d'existence supportable, l'honneur ! Je n'en connais guère dont le dévouement aille plus loin que le sacrifice de la vie. Tous les jours le joueur immole son honneur et supporte la vie. Le joueur est âpre, il est stoïque, il triomphe froidement, il succombe froidement ; il passe en quelques heures des derniers rangs de la société aux premiers, dans quelques heures il redescend au point d'où il est parti, et cela sans changer d'attitude ni de visage. Dans quelques heures, sans quitter la place où son démon l'enchaîne, il parcourt toutes les vicissitudes de la vie, il passe par toutes les chances de fortune qui représentent les différentes conditions sociales. Tour à tour roi et mendiant, il gravit d'un seul bond l'échelle immense, toujours calme, toujours maître de lui, toujours soutenu par sa robuste ambition, toujours excité par l'âpre soif qui le dévore. Que sera-t-il tout à l'heure ? Prince ou esclave ? Comment sortira-t-il de cet antre ? Nu, ou courbé sous le poids de l'or ? Qu'importe ? Il y reviendra demain refaire sa fortune, la perdre ou la tripler. Ce qu'il y a d'impossible pour lui, c'est le repos ; il est comme l'oiseau des tempêtes  qui ne peut vivre sans les flots agités et les vents en fureur. On l'accuse d'aimer l'or ! il l'aime si peu qu'il le jette à pleines mains. Ces dons de l'enfer ne sauraient lui profiter ni l'assouvir. À peine riche, il lui tarde d'être ruiné afin de goûter encore cette nerveuse et terrible émotion sans laquelle la vie lui est insipide. Qu'est-ce donc que l'or à ses yeux ? Moins, par lui-même que des grains de sable au vôtres. Mais l'or lui est un emblème des biens et des maux qu'il vient chercher et braver. L'or, c'est son jouet, c'est son ennemi, c'est son Dieu, c'est son rêve, c'est son démon, c'est sa maîtresse, c'est sa poésie ; c'est l'ombre qu'il poursuit, qu'il attaque, qu'il étreint, puis qu'il laisse échapper pour avoir le plaisir de recommencer la lutte, et de se prendre encore une fois corps à corps avec le destin. Allez ! c'est beau cela ! c'est absurde ; il faut le condamner, parce que l'énergie employée ainsi, est sans profit pour la société, parce que l'homme qui dirige ses forces vers un pareil but, vole à ses semblables tout le bien qu'il aurait pu leur faire avec moins d'égoïsme. Mais, en le condamnant, ne le méprisez pas, petites organisations qui n'êtes capables ni de bien ni de mal ; ne mesurez qu'avec effroi le colosse de volonté qui lutte ainsi sur une mer fougueuse pour le seul plaisir d'exercer sa vigueur et de la jeter en dehors de lui. Son égoïsme le pousse au milieu des fatigues et des dangers, comme le vôtre vous enchaîne à de patientes et laborieuses professions. Combien comptez-vous, dans le monde, d'hommes qui travaillent pour la patrie sans songer à eux-mêmes ? Lui, il s'isole franchement, il se met à part, il dispose de son avenir, de son présent, de son repos, de son honneur. Il se condamne à la souffrance, à la fatigue. Déplorez son erreur, mais ne vous comparez pas à lui, dans le secret de votre orgueil, pour vous glorifier à ses dépens. Que son fatal exemple serve seulement à vous consoler de votre inoffensive nullité.

Je m'arrête ici pour aujourd'hui ; votre âge est celui de l'intolérance, et vous seriez trop violemment étourdi, si je vous disais en un seul jour tout le secret de Tremnor. je veux laisser cette partie de mon récit faire son impression ; demain je vous dirai le reste."

George Sand    

 

  

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