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10/07/2014

après le son des maillets entendus par don Quichotte et Sancho, musique

13:40 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0)

suite de l'extrait du post précédent - pollution par le bruit déjà

Et, ayant cheminé un bon bout parmi ces châtaigniers et arbres ombrageux, ils donnèrent en un petit pré qui était au pied de certains hauts rochers, desquels tombait un très grand torrent d'eau. Au pied de ces rochers il y avait certaines maisons mal bâties, plutôt ruines que maisons, et d'entre icelles ils reconnurent que le bruit de ce battement sortait, lequel ne cessait point encore. Rossinante s'effaroucha à ce grand bruit que faisait l'eau en tombant et à ces grands coups. Mais, don Quichotte, l'apaisant et le flattant, s'approcha peu à peu des maisons, se recommandant de tout son cœur à sa maîtresse, la suppliant qu'en cette horrible et épouvantable journée et entreprise elle le voulût favoriser ; et, tout en allant, il se recommandait aussi à Dieu, afin qu'il ne l'oubliât point. Sancho ne le quittait point d'un pouce, mais étendait le cou et la vue tant qu'il pouvait par entre les jambes de Rossinante pour aviser s'il ne verrait point ce qui le tenait ainsi en suspens et en crainte. Quand ils eurent cheminé encore environ cent pas, ayant tourné un rocher, leur apparut à découvert et toute patente la cause même, sans qu'il y en pût avoir d'autre, de l'horrible et épouvantable bruit qui les avait tenus toute la nuit ainsi en suspens et effrayés. C'étaient ( s'il ne t'en déplaît, ô lecteur ) six maillets d'une foulerie à draps qui formaient ce bruit par leurs coups alternatifs.

 

Quand don Quichotte vit ce que c'était, il devint muet et se sentit défaillir du haut en bas. Sancho le regarda et vit qu'il avait la tête penchée sur sa poitrine avec apparence d'être tout honteux. Don Quichotte se mit aussi à regarder Sancho, et vit qu'il avait les joues enflées et en apparence tout près d'éclater de rire, et sa mélancolie n'eut pas tant de pouvoir sur lui que, voyant Sancho de telle sorte, il se pût tenir lui-même de rire ; et, comme Sancho vit que son maître avait commencé, il lâcha la bonde de telle façon qu'il fut contraint de se serrer les flans avec ses deux poings pour ne pas crever. Il se calma par quatre fois, et autant de fois recommença sa risée, avec la même impétuosité qu'à la première, de quoi don Quichotte se donnait au diable ; et encore plus quand il lui ouït dire comme par manière de moquerie ces paroles : "Il faut que tu saches, ami Sancho, que je suis né par le vouloir du ciel en cestui notre âge de fer pour y faire revivre l'âge doré ou d'or. Je suis celui pour qui sont réservés les périls, les grands exploits et les faits valeureux." Et ainsi continua à rapporter et à lui répéter tous ou la plupart des discours que don Quichotte lui avait dits la première fois qu'ils avaient ouï ces épouvantables coups... Or, voyant don Quichotte que Sancho se moquait de lui, il se courrouça et fâcha de telle sorte qu'il leva sa lance en haut et lui en déchargea deux tels coups que, si, au lieu de tomber sur ses épaules, ils eussent porté sur sa tête, don Quichotte eût été quitte de payer son salaire, si d'aventure ce n'eût été à ses héritiers. Sancho, voyant que ces moqueries obtenaient si mauvais succès, craignant que son maître ne passât plus outre, lui dit d'une grande humilité : " Apaisez-vous, monsieur, car par Dieu je plaisante. — Et si vous plaisantez, je ne plaisante pas, moi, répondit don Quichotte. Venez çà, monsieur le plaisant. Vous semble-t-il que, si, tout ainsi comme c'étaient des maillets de foulerie, c'eût été une autre périlleuse aventure, je n'eusse pas montré le courage qu'il convenait pour l'entreprendre et la mettre à fin ? Suis-je obligé par hasard, étant chevalier comme je suis, à connaître et distinguer les sons, et savoir ceux qui sont de maillets de foulerie ou non ? Outre plus qu'il pourrait être, comme c'est la vérité, que de ma vie je n'en aie vu aucun comme vous qui avez été nourri et né entre iceux, méchant vilain que vous êtes. Ou bien faites que ces six maillets se changent en six géants, et me les envoyez un  à un à la barbe, ou tous ensemble, et, si je ne vous les flanque les pattes en l'air, moquez-vous de moi tant que vous voudrez. — Eh bien, monsieur, c'est assez, répliqua Sancho, car je confesse d'avoir un peu trop gaussé ; mais dites-moi, à cette heure que nous sommes en paix ( ainsi Dieu vous tire de toutes les aventures qui vous arriveront, aussi sain et sauf que de celle-ci ! ), cela n'a-t-il pas été une chose pour rire et aussi une chose bonne à raconter, que la grande peur que nous avons eue ? Au moins moi, car, pour votre regard, je sais bien que vous ne connaissez ni ne savez ce que c'est que crainte ni effroi . — Je ne dis pas, répondit don Quichotte, que ce qui nous est arrivé ne soit chose digne de risée, mais non pas chose à raconter, car toutes personnes n'ont pas assez d'esprit pour savoir mettre les choses en leur point. — Au moins, répondit Sancho, avez-vous su mettre en son point votre lance, en me l'appointant sur la tête et m'en donnant sur les épaules, et rends grâces à Dieu et à la diligence que j'ai mise à esquiver le coup ; mais passons, tout s'en ira à la lessive ; car j'ai ouï dire : celui-là te veut du bien qui te fait pleurer ; et davantage que les grands seigneurs ont de coutume, après une mauvaise parole qu'ils disent à un valet, lui donner tout aussitôt une paire de chausses ; toutefois je ne sais ce qu'ils lui donnent après lui avoir donné des coups de bâton, si ce n'est que les chevaliers errants, après les coups de bâton, donnent des îles ou royaumes en terre ferme.

[...]"

Don Quichotte - Cervantès       

09:34 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (0)

... voyant que le jour arrivait tant qu'il pouvait ...

"En ces colloques et autres semblables, le maître et le valet passèrent la nuit ; mais Sancho, voyant que le jour arrivait tant qu'il pouvait, délia Rossinante tout doucement et avec beaucoup de discrétion, puis remit son haut-de-chausses. Or, comme Rossinante se vit libre ( encore que de soi-même il ne fût pas trop fougueux ), il semble qu'il le ressentît un peu, et commença à frapper des pieds de devant, car pour des courbettes ( ne lui en déplaise ), il n'en savait point faire. Voyant don Quichotte que Rossinante se mouvait, il le tint pour bon signe, croyant véritablement que c'en était un qui l'encourageait d'entreprendre cette épouvantable aventure.

 

Cependant l'aube s'acheva de découvrir, et les choses de paraître succinctement, et don Quichotte se vit entre de grands arbres, qui étaient des châtaigniers, lesquels rendent un ombrage fort obscur : il ouït que le battement de ces grands coups ne cessait point, mais il ne vit pas quelle en était la cause. Et par ainsi, sans plus s'arrêter, il fit sentir les éperons à Rossinante, et, prenant derechef congé de Sancho, lui commanda qu'il l'attendît là trois jours tout au plus, ainsi que déjà il lui avait dit, et que si au bout d'iceux il n'était de retour, il tînt pour certain que Dieu avait permis qu'il finît ses jours en cette périlleuse aventure. Il lui répéta le message et l'ambassade qu'il devait faire de sa part à sa dame Dulcinée, et lui dit aussi, pour le regard du payement de ses salaires, qu'il ne s'en mît point en peine, parce qu'il avait fait son testament devant que de partir de son village, et qu'en icelui il se trouverait gratifié de ce qui était de ses gages au prorata du temps qu'il avait servi ; mais que, si Dieu le tirait de ce péril sain et sauf, et sans encombre, il pouvait tenir pour plus que certaine l'île qu'il lui avait promise. Sancho se mit derechef à pleurer, oyant de nouveau les pitoyables discours de son bon maître, et se résolut de ne le point abandonner jusqu'au terme de l'affaire. De ces larmes et de cette résolution si honorable de Sancho Pança, l'auteur de cette histoire conclut  qu'il devait être bien né, et pour le moins vieux chrétien : sa peine attendrit quelque peu son maître, non pas tant toutefois qu'il démontrât aucune lâcheté ; mais, dissimulant le mieux qu'il put, il commença à cheminer vers le lieu d'où il lui semblait que procédait le bruit de l'eau et de ce battement. Sancho le suivait à pied, menant par le licou, comme il avait accoutumé, son âne, perpétuel compagnon de ses heureuses et adverses fortunes."

page 225 et 226 du tome 1 de Don Quichotte - Cervantès - Folio   

02:09 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)