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10/07/2014

... voyant que le jour arrivait tant qu'il pouvait ...

"En ces colloques et autres semblables, le maître et le valet passèrent la nuit ; mais Sancho, voyant que le jour arrivait tant qu'il pouvait, délia Rossinante tout doucement et avec beaucoup de discrétion, puis remit son haut-de-chausses. Or, comme Rossinante se vit libre ( encore que de soi-même il ne fût pas trop fougueux ), il semble qu'il le ressentît un peu, et commença à frapper des pieds de devant, car pour des courbettes ( ne lui en déplaise ), il n'en savait point faire. Voyant don Quichotte que Rossinante se mouvait, il le tint pour bon signe, croyant véritablement que c'en était un qui l'encourageait d'entreprendre cette épouvantable aventure.

 

Cependant l'aube s'acheva de découvrir, et les choses de paraître succinctement, et don Quichotte se vit entre de grands arbres, qui étaient des châtaigniers, lesquels rendent un ombrage fort obscur : il ouït que le battement de ces grands coups ne cessait point, mais il ne vit pas quelle en était la cause. Et par ainsi, sans plus s'arrêter, il fit sentir les éperons à Rossinante, et, prenant derechef congé de Sancho, lui commanda qu'il l'attendît là trois jours tout au plus, ainsi que déjà il lui avait dit, et que si au bout d'iceux il n'était de retour, il tînt pour certain que Dieu avait permis qu'il finît ses jours en cette périlleuse aventure. Il lui répéta le message et l'ambassade qu'il devait faire de sa part à sa dame Dulcinée, et lui dit aussi, pour le regard du payement de ses salaires, qu'il ne s'en mît point en peine, parce qu'il avait fait son testament devant que de partir de son village, et qu'en icelui il se trouverait gratifié de ce qui était de ses gages au prorata du temps qu'il avait servi ; mais que, si Dieu le tirait de ce péril sain et sauf, et sans encombre, il pouvait tenir pour plus que certaine l'île qu'il lui avait promise. Sancho se mit derechef à pleurer, oyant de nouveau les pitoyables discours de son bon maître, et se résolut de ne le point abandonner jusqu'au terme de l'affaire. De ces larmes et de cette résolution si honorable de Sancho Pança, l'auteur de cette histoire conclut  qu'il devait être bien né, et pour le moins vieux chrétien : sa peine attendrit quelque peu son maître, non pas tant toutefois qu'il démontrât aucune lâcheté ; mais, dissimulant le mieux qu'il put, il commença à cheminer vers le lieu d'où il lui semblait que procédait le bruit de l'eau et de ce battement. Sancho le suivait à pied, menant par le licou, comme il avait accoutumé, son âne, perpétuel compagnon de ses heureuses et adverses fortunes."

page 225 et 226 du tome 1 de Don Quichotte - Cervantès - Folio   

02:09 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)

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