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06/07/2007

suite, arbre à palabres

96efcd205465f2a97f23c83fc4749848.jpg"Aide-toi, ça peut aider le Ciel" me dit la voix de Claude Roy, j'étais  sur une branche de l'arbre à palabres... 

L'arbre à palabres

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Arbre à palabres.
Il y a des idées, des notions, des images que l’on associe volontiers à une culture, une société ou une époque plutôt qu’à d’autres, comme signe d’une identité, d’une particularité ou d’une curiosité. L’arbre à palabres colle à l’Afrique noire comme le bleu au ciel des jours de grand soleil. Cette notion ne va pas cependant sans deux autres idées, plus ou moins reçues, auxquelles elle est liée indissolublement: 1) que les sociétés africaines sont des sociétés consensuelles, et 2) que les sociétés africaines arrivent à ces consensus par la délibération (ou, plus exactement, au terme de longues délibérations). Il se dit aussi que c’est sous un arbre tutélaire que les assemblées délibérantes se tiennent généralement. Il importe de faire un travail d’élucidation, de tri et de critique pour cerner la réalité et la valeur exacte de la notion d'arbre à palabres.

Il convient de commencer par reconnaître et dire que la palabre est à la fois catégorie du sérieux et catégorie du futile. Il faut même noter que dans de nombreux cas, elle est évoquée de manière péjorative comme pratique de la parlote, propre à des sociétés désœuvrées, peu enclines au travail et plus aptes à noyer le traitement des questions sérieuses dans des bavardages sans fin plutôt que de les prendre à bras le corps. Pourtant, comme catégorie du futile, elle ne manque pas d’intérêt. Justement parce que l’arbre à palabres, au sens où on l’associe à une valeur éminente de la société traditionnelle, n’est pas réductible à la « place publique », il faut reconnaître à cette dernière son rôle et sa fonction propres. La place publique, « place à ragots » dans une société hiérarchisée, est organisée autour de statuts et de rôles différenciés dans l’espace villageois type. Si elle est souvent assimilée à un lieu de dissolution des normes et des valeurs, c’est parce que la parole qui y circule n’est soumise à aucun contrôle. C’est un espace d’émancipation; en effet, une des étapes d’intégration de l’individu dans la société des adultes consiste à reconnaître à l’adolescent le droit et le pouvoir de fréquenter l’espace public. Or, on ne peut prétendre à la dignité d’un "homme fait" si l’on n’a pas l’expérience de l’espace à la fois physique et culturel du village : ses lignages et ses normes (ordre de la différenciation et de l’ordonnancement des statuts), de même que ses limites et la distribution de ses espaces, parmi lesquels celui de la place publique. Qui n’a pas affronté la spécificité de la place publique, qui n’a pas couru le risque de l’englobement dans l’indifférenciation de la place publique, qui n’a pas échappé à la possibilité de perdre ses repères, ne peut mesurer la valeur de l’identité de soi. Aussi, comprend-on que la parole qui circule dans l’espace et le temps de la place publique soit assimilée au « vent » dans beaucoup de langues africaines, pour dire la légèreté qui caractérise un exercice et une pratique du bavardage et de la confusion, condition d’une certaine normalité ou d’une normalité certaine.

La parole qui fait de l’arbre à palabres une instance et une institution, ainsi qu’une valeur sociale et une valeur universelle éminentes, est celle qui élève cette pratique à la catégorie du sérieux. Mais pourquoi l’arbre à palabres est-il spécifique ? L’on aura noté que l’usage de cette expression a imperceptiblement glissé de la focalisation sur l’arbre à l’anthropologie du dialogue comme source et moyen de l’accord entre protagonistes. Il n’est pourtant pas indifférent de rappeler la sémantique du terme arbre dans de nombreuses langues africaines, qui renvoie à la fois à la signification d’un être appartenant au règne végétal et à la signification de remède ou médicament (pharmakon). Qu’est-ce qu’un remède peut avoir comme rapport à la parole? Comme la cuisine, c’est un dosage, un mélange d’éléments divers qui donne un objet nouveau, synthèse de tous les autres et donc différent de chacun pris isolément. Ce dosage, qui tient du bricolage tout en étant un art à part, permet de comprendre pourquoi les bambaras désignent la parole d’un certain genre sous le nom de « so », terme que si joliment Geneviève Calame-Griaule a traduit par « parole tissage ». Ce n’est pas pour rien que cette parole là est assimilée au tissage, car, comme celui-ci, le sens n’en est dévoilé que progressivement, au terme d’une gestation plus ou moins longue. Sous ce rapport, la palabre est effectivement délibération et dévoilement patient et soutenu de ce qui au départ est seulement postulé à l’état de problème. Que par-dessus le marché se rencontre dans un adage wolof l’expression « l’homme est le remède de l’homme », voilà qui corse l’affaire et prouve que le pharmakon est non seulement dans les vertus de la plante mais également dans ce qui fait le propre de l’homme. Et cela ne peut être que le logos : la parole et ce par quoi un homme peut se mesurer, à savoir un autre homme. La palabre est de ce point de vue mesure de l’homme.

Il faut ajouter, pour ne pas sombrer dans des clichés et des idées reçues, que la « parole tissage » ne revêtirait pas toute sa signification si l’unanimisme était de rigueur et en toute circonstance. C’est justement parce que la conflictualité est irréductible dans les rapports sociaux et entre les opinions, que la « parole tissage » est une technique vouée à une fin donnée. Pour réduire les écarts, rapprocher les points de vue, la palabre fait office d’aiguille qui raccommode les pièces éparses d’un assemblage nécessairement difficile au départ. Le pharmakon est logos en ce qu’il ajuste l’homme à l’homme en ajustant les opinions, les paroles éparses et divergentes par la magie et l’art du tissage.

Il y a donc un ordre de la parole propre à l’arbre à palabres. En d’autres termes, ce qui caractérise l’arbre à palabres, c’est qu’il est un modèle de recherche et de prise de décision. Il est motivé, organisé et voué à dire comment et qui est habilité à prendre une décision concernant en général l’ensemble du groupe social. Mais en examinant de plus près ce modèle de prise de décision, on s’aperçoit qu’en définitive il est tout aussi praticable sous un arbre, autour d’une table ou dans une grande enceinte. C’est un modèle que l’on a souvent opposé au modèle réputé propre aux sociétés occidentales caractérisées par un type de démocratie où c’est plutôt une majorité qui décide contre une minorité, en lieu et place de tous. L’opposition entre modèle de démocratie majoritaire et modèle de démocratie consensuelle met en exergue tout l’intérêt de l’ordre de la parole relatif aux délibérations du type arbre à palabres.

D’abord, l’enquête historique et anthropologique montre que ce modèle se rencontre aussi dans d’autres sociétés non occidentales, comme par exemple les cultures asiatiques sous des modalités qui ne renvoient ni à la réalité ni à l’image de l’arbre. Ce constat constitue un argument de taille pour la prise en compte de la diversité et du pluralisme dans la recherche commune d’une construction de l’universel. Ensuite, de ce qui précède découle que si en Afrique l’arbre à palabres fut et demeure à la fois une réalité et une métaphore, aujourd’hui c’est à la richesse et à la portée de cette métaphore qu’il faut prêter le plus d’attention, en ce que, comme toute métaphore, elle recèle une puissance d’extension qui englobe et dépasse le cas particulier où elle s’origine. La métaphore de l’arbre a des usages nombreux mais tous renvoient souvent à l’idée d’unité, de pluralité et de vie. Communauté de vie et sagesse. Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment la temporalité propre à l’ordre de la palabre est en conflit avec celle de l’efficacité mécanique ou électromagnétique dont la caractéristique principale est de vaincre la distance par la vitesse. Temps long et temps court ont quelque chose à voir avec les modalités de prise de décision. Dans son livre « Du contrat social », Rousseau distingue deux modes de prise de décision selon qu’on est dans l’élaboration des lois ou dans les affaires. Il est symptomatique que pour ces dernières il estime qu’il suffit d’une majorité d’une seule voix pour trancher, tandis que pour l’adoption des lois il faut chercher l’unanimité. Cette différence de procédure repose sur le degré de gravité et sur le degré d’urgence des questions à traiter : les affaires n’attendent pas, c’est le temps de la célérité et de la majorité mécanique. En revanche, la survie de la communauté appelle des délibérations plus longues. Et cela doit être vrai aussi bien pour la communauté nationale que pour la communauté internationale, ainsi qu’on peut le voir à propos de questions graves de notre époque comme, par exemple, les droits humains, le réchauffement de la planète ou la gestion de certaines ressources qui se raréfient.



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05:40 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

04/07/2007

Doxa

4e5d2362ab42678d6b6d5fe589d427e1.pngHistoire de mieux comprendre ( au cas où ) le contexte politique , je vous propose un peu de lecture, vous trouverez le site d’où cet article est tiré en cliquant ici, ensuite si vous êtes d’accord pour écouter de la bonne musique, cliquez .

Les quatre doxa

1.1. La première peut être intitulée « doxa circulaire de pauvreté et violence ». Elle correspond au constat allégué que : i) la pauvreté engendre systématiquement la violence, et que ii) l’accumulation de violence ainsi engendrée produit à son tour plus de pauvreté, qui elle-même…, etc. Soit un jugement d’évidence, que l’on ne manque jamais de consolider par de nombreuses preuves à l’appui (2).

1.2. La deuxième doxa qui rend délicate notre approche, c’est la « doxa Nord/Sud », dont la mondialisation même peut être considérée comme achevée. C’est l’idée que les rapports entre pauvreté et violence doivent être principalement pensés à l’aune des rapports Nord/Sud, et ce dans une perspective historique et géopolitique remontant au moins aux premières colonisations modernes. De ce point de vue, tout ou l’essentiel pourrait être expliqué par les asymétries économiques, politiques, sociales et culturelles introduites par les colonisateurs, et dont les effets contemporains se lisent principalement en termes de flux migratoires engendrés par la paupérisation des populations concernées « du Sud » (3).

1.3. La troisième doxa occupant le terrain, c’est la « doxa des deux rives de la Méditerranée » , que l’on pourrait encore désigner par la présentation symbolique : Europe/(Maghreb+Machrek). Cette doxa constitue une spécification de la précédente (Nord/Sud), pour laquelle le développement de violence et pauvreté au sein de « l’aire méditerranéenne » doit être prioritairement analysé à l’aune des asymétries historiques instaurées entre les deux rives dans la période moderne et contemporaine. L’emblème de cette doxa peut être trouvé dans les récents événements de Ceuta et de Melilla (4), ainsi que dans les interprétations chaotiques qu’ils ont suscités.

1.4. Enfin, la quatrième doxa ayant pris une place considérable dans les discours sur pauvreté et violence, c’est la « doxa de la globalisation », qui s’articule avec la première (la doxa circulaire), pour la prolonger et la renforcer. Du point de vue de cette doxa, c’est « la globalisation » (économique, financière et informationnelle, par différence avec les autres mondialisations) qui doit être considérée hic et nunc comme « premier moteur » d’une accentuation de « la pauvreté » (mondiale, régionale et locale) réduite à ses dimensions économique et sociale, puis d’une extension corrélative de « la violence » (plurielle), les trois « phénomènes » se renforçant mutuellement, de sorte que les moyens de sortir d’un tel « cycle » apparaissent des plus complexes à élaborer (5).