29/06/2020
Lecture ce matin
J'ai terminé la lecture des Hauts de Hurle-Vent. Où vous avez le "je" de Mr Lockwood, qui raconte, et ensuite le "je" de "la femme de charge", Hélène, aussi appelée Nelly, qui raconte à son tour, s'adressant à Mr Lockwood. Une construction simple en fait, linéaire. Par le biais de Nelly, le lecteur assiste à la passion dévorante de Heathcliff pour Catherine Earnshaw et vice-versa. Les deux protagonistes se consument, arrivés au paroxysme de cette passion somme toute aveuglante, car elle gomme le reste du monde, ce qui risque d'être abrutissant à la longue. Comme si d'aucuns, se croyant au paradis vivent en fait des situations infernales, rongés qu'ils sont par leur passion. On n'a pas envie d'être à leur place... à moins que d'aucuns, oui ?
Regardez la passion de Mary-Line pour John Kennedy. Elle lui a fait perdre l'instinct de conservation, lorsqu'elle a souhaité à John K son anniversaire, ne comprenant pas la honte que ce fervent catholique pourrait en concevoir, voyant affiché aux yeux du monde l'adultère commis, d'autant plus honte que le gars aimait sa femme à ce que l'on dit. Perdre cet instinct de conservation peut aussi faire des héros, en apparence du moins... Mais encore, l'instinct de conversation peut tout aussi bien faire commettre des gestes tout à fait moches... la foule qui piétine des gens tombés par terre, lors d'une panique générale entraînant une réaction animale de sauve qui peut... Il nous faut nous apprivoiser nous-même en somme pour gérer éventuellement tout cela. Qu'en dites-vous ?
Bref, merci Émilie Brontë.
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24/06/2020
Les sentiers du rêve
Stan, un aborigène explique le tableau qu'il a peint à un Américain, qui a acheté sa toile pour l'offrir à sa femme. La libraire, Mrs Lacey complète les explications.
"Les cercles, ajouta Mrs Lacey avec obligeance, sont les centres de cérémonie des fourmis à miel. Les "tubes", comme vous les appelez, sont les sentiers du rêve."
L'Américain était captivé. "Et est-il possible d'aller voir ces sentiers du rêve ? Là-bas, j'entends ? Comme à Ayers Rock par exemple ? Ou un endroit comme ça ?
— Ça leur est possible, dit-elle. Pas à vous.
— Vous voulez dire qu'ils sont invisibles ?
— Pour vous. Pas pour eux.
— Alors où sont-ils ?
— Partout, répondit-elle. Pour ce que j'en sais, il y a un sentier du rêve qui passe au milieu de mon magasin.
— C'est à vous faire froid dans le dos, dit la femme en riant nerveusement.
— Et eux seuls peuvent le voir ?
— Ou le chanter, ajouta Mrs Lacey. Il n'y a pas de sentier sans chant.
— Et il y en a partout ? demanda l'homme. Dans toute l'Australie ?
— Oui, dit Mrs Lacey, soupirant d'aise d'avoir trouvé une expression prenante. Le chant et la terre ne font qu'un.
— Stupéfiant !" dit-il.
La femme américaine avait sorti son mouchoir et se tamponna le coin des yeux. J'ai cru un instant qu'elle allait embrasser le vieux Stan. Elle savait bien que la peinture était une chose faite pour les Blancs, mais il lui avait donné un aperçu de quelque chose de rare et d'étrange et elle lui en était reconnaissante."
Le chant des pistes, page 37/38, Bruce Chatwin.
No comment au sujet de cet extrait. Par ailleurs j'en suis à la page 186 des Hauts de Hurle-Vent. Un roman qui représente une somme de travail intense pour décrire des monstres bien souvent, des dévorants en quelque sorte. C'est très intéressant.
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22/06/2020
"J'aimais bien Enid Lacey"
"J'aimais bien Enid Lacey. J'avais déjà passé deux heures dans la librairie. Elle savait certes comment vendre des livres. Elle avait lu presque tous les ouvrages sur l'Australie centrale et mettait un point d'honneur à avoir en rayonnage tous les titres disponibles chez les éditeurs. Dans la salle qui servait de galerie d'art, elle laissait deux fauteuils à la disposition de ses clients. "Lisez autant qu'il vous plaira, disait-elle. Vous êtes libres !"... sachant bien qu'une fois assis, il était impossible de repartir sans rien acheter.
Elle était originaire du Territoire-du-Nord et approchait des soixante-dix ans. Son nez et son menton étaient extrêmement pointus, ses cheveux auburn, de la teinte du colorant. Elle portait deux paires de lunettes retenus par des chaînes et une paire de bracelets d'opale sur ses poignets desséchés par le soleil. "Les opales, me dit-elle, m'ont toujous porté chance. "
Son père avait dirigé une station d'élevage près de Tennant Creek. Elle avait passé toute sa vie avec les aborigènes. Elle ne se laissait pas faire et les adorait en secret.
Elle avait connu tous les anthropologues australiens de la génération précédente et disait pis que pendre des nouveaux, les "jargonautes", les "marchands de charabia" comme elle les appelait. En vérité, bien qu'elle tentât de se maintenir au courant des dernières théories, bien qu'elle se colletât aves les livres de Lévi-Strauss, elle n'était jamais arrivée bien loin. Malgré tout, lorsque l'on abordait le problème des aborigènes, elle prenait son air le plus pontifiant, abandonnant le "je" pour le "nous", non pas le "nous" royal, mais le "nous" signifiant "la communauté scientifique".
Elle avait été une des premières personnes à reconnaître la qualité de la peinture pintupi."
Extrait du livre intitulé Le chant des pistes, de Bruce Chatwin. Page 32 et suivante.
Où l'on apprend qu'un peintre aborigène peut peindre un rêve du totem d'un autre aborigène mais pas le sien propre. Ici, un aborigène a peint un rêve fourmi à miel, la fourmi à miel étant le totem de son cousin, mais n'est pas autorisé à peindre un rêve d'émeu, celui-ci étant son totem personnel.
Suite de l'extrait :
"Il ne peut pas peindre son propre rêve mais il peut peindre celui de quelqu'un d'autre ?
— J'ai saisi, dit le mari d'un ton épanoui. C'est pareil : il ne peut pas manger d'émeus mais il peut manger des fourmis à miel, non ?
— Vous avez très bien compris, dit Mrs Lacey. M. Tjakamarra ne peut pas peindre un rêve d'émeu parce que l'émeu est son totem paternel et ce serait un sacrilège s'il le faisait. Il peut peindre une fourmi à miel parce que c'est le totem du fils du frère de sa mère. C'est bien cela, Stan ? Le rêve de Gideon c'est la fourmi à miel ?"
Stan cligna des yeux et fit "Exact!
— Gideon, poursuivit-elle, est le directeur rituel de Stan. Ils se disent l'un à l'autre ce qu'ils peuvent peindre ou non."
Bruce Chatwin.
En parallèle de ce livre, je lis Les Hauts de Hurle-Vent d'Emily Brontë, atmosphère glaciale d'entrée de jeu, par le biais du "je" de Mr Lockwood. Où Mr Lockwood trouve sympathique un homme du fait qu'il soit plus froid encore que lui dans son accueil, même s'il s'agit de l'accueil de sa propre personne. Cet homme, Heathcliff, laisse Lockwood (qu'il a été contraint de faire rentrer chez lui), tout seul en présence de chiens qu'il loge dans sa maison, et cela, le temps pour lui d'aller chercher du vin à la cave. Les canidés manquent de dévorer Mr Lockwwod qui réagit ainsi :
"— [...] Le troupeau de pourceaux possédés du démon ne pouvait avoir en lui de pires esprits que n'en recèlent vos animaux que voilà, monsieur. Autant laisser un étranger avec une portée de tigres !"
Le Nord de l'Angleterre et le Nord de l'Australie en parallèle donc. Je me fais en tant que lectrice, l'anthropologue improvisée des gens des deux Nord. Histoire de ne pas perdre le Nord, de faire sa propre anthropologue en quelque sorte ☺.
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