17/11/2014
Lu ce matin
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L'extrait
chapitre XXII
"De la liberté que don Quichotte donna à plusieurs malheureux que l'on menait malgré eux là où ils n'eussent pas voulu aller.
Cid Hamet ben Engeli, auteur arabe et manchègue, raconte en cette grave, pompeuse, modeste, douce et ingénieuse histoire, qu'après que le fameux don Quichotte de la Manche et Sancho Pança, son écuyer, eurent tenu les discours qui sont rapportés à la fin du chapitre vingt et unième, don Quichotte, levant les yeux, vit venir par le chemin qu'ils suivaient environ douze hommes à pied, enfilés comme des grains de patenôtres en une grande chaîne de fer par le cou, et qui avaient des menottes aux mains. Il venait aussi avec eux deux hommes à cheval et deux à pied. Ceux qui étaient à cheval avaient des escopettes à rouet, et ceux qui étaient à pied étaient armés de piques et d'épées ; et, aussitôt que Sancho les vit, il dit : "Voici une chaîne de galériens et forçats du roi qui vont aux galères. — Comment forçats ? demanda don Quichotte. Est-il possible que le roi fasse violence à personne ? — Je ne dis pas cela, répondit Sancho, mais que ce sont des gens qui, pour leurs délits, sont condamnés à servir le roi aux galères par force. — Enfin, répliqua don Quichotte, en quelque façon que ce soit, ces gens-ci, encore qu'on les mène, vont par force et non de leur bon gré ? — Il est certain, dit Sancho. — C'est bon, dit son maître, voici l'occasion d'exercer mon office : résister à la force et secourir les misérables. — Prenez garde, monsieur, dit Sancho, que la justice, qui est le roi même, ne fait force ni injure à telles gens, mais qu'elle les châtie pour leurs délits."
Sur ce, arriva la chaîne des galériens, et don Quichotte, avec des paroles fort courtoises, requit ceux qui les avaient en garde de l'informer et lui dire la cause ou les causes pourquoi ils menaient ces gens de cette façon. L'un des gardes à cheval lui répondit que c'étaient des forçats de Sa Majesté qui allaient aux galères et qu'il n'avait rien que cela à lui dire, et lui n'avait que faire d'en savoir davantage. "Ce néanmoins, répliqua don Quichotte, je voudrais savoir de chacun d'eux en particulier la cause de sa disgrâce. Puis il ajouta à ces raisons d'autres semblables et si pleines de courtoisie, pour les engager à lui dire ce qu'il désirait savoir, que l'autre garde à cheval lui dit : "Encore que nous ayons ici le registre et le rôle des sentences de chacun de ces malheureux, il n'est pas l'heure de nous amuser à les tirer ni à les lire ; approchez-vous, et leur demandez à eux-mêmes, car ils vous le diront s'ils veulent. Et sûrement, ils le voudront bien, parce que ce sont des gens qui prennent plaisir à faire et à dire des coquineries." Avec cette permission, laquelle don Quichotte eût prise encore qu'on ne la lui eût pas donnée, il s'approcha de la chaîne et demanda au premier pour quels péchés il allait en si mauvais équipage. Il lui répondit que c'était pour avoir été amoureux. "Et pas pour autre chose ? répliqua don Quichotte. Or, si l'on envoie les hommes aux galères pour être amoureux, il y a longtemps que j'y serais à tirer la rame."
Don Quichotte I de Cervantès page 242-243 Folio
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La nouvelle
La nouvelle que j'ai lue parlait d'un réveillon, des cadeaux que s'offrent les invités... qui ne sont pas des cadeaux les uns pour les autres ces invités, s'offrant les uns aux autres ce qui causera assurément du déplaisir ; mais il y a une vieille tatie célibataire, tellement naïve que même les torchons que chacun lui offre ne lui font pas offense, sa belle candeur la défendant contre l'évidente mesquinerie dont on fait preuve à son encontre. Même le bébé de cinq mois qui ne peut encore offrir de cadeaux pourri reçoit des pyjamas immettables, taille trois mois. Tout innocent qu'il est dans son couffin, on augure déjà qu'il s'adaptera à la méchanceté générale, deviendra méchant comme tout le monde, signe qu'aucune faille, quelque part ne pourra l'entamer, signe, la méchanceté ordinaire, d'une certaine solidité à l'épreuve. La méchanceté ici ne fait prendre aucun risque, on est sûr d'être dans le bon ton. La tante naïve est-elle si naïve qu'il semblerait ? puisque chaque année c'est elle qui prépare le repas de réveillon, et que ce repas est un peu du poison : le poisson pas frais risque d'intoxiquer quelque peu les organismes délicats, et le surcroît de sucre que la dame met dans la bûche confectionnée par ses soins la rend presque immangeable en plus d'être elle aussi un peu empoisonnante par son taux élevé en sucre. Tous ces gens paraissent malgré tout ne pas tirer grand-chose de leur non amour mutuel entre membres de la même famille, chacun fait le compte des injustices qu'il a endurées, l'un ayant été le chouchou de son père, l'autre de sa maman. Le recours à une certaine méchanceté ordinaire pour supporter tout ça. À la fin, tout le monde se quitte mi-figue mi-raisin ; pourquoi renouveler le supplice ? demande une belle-sœur ; le frère et la sœur tiennent pourtant à le renouveler et se séparent sans qu'aucun des deux ne se retourne pour faire un dernier signe au revoir à l'autre. Le drame d'une séparation obligée ? Serait-ce la peinture d'une petite famille ordinaire des temps actuels, chacun de raconter le cadeau, qui est en fait une déclaration d'inimitié, qu'il a reçue avec le sourire car il a fait de même de son côté, en toute réciprocité irréprochable. Il n'y a plus Dieu pour remettre les cœurs à flot, plus besoin de cœur, le cynisme domine... car il faut que ça ait du chien faute de Dieu, pour la bonne santé générale, et en effet tout le monde à l'air solide dans cette saine famille qui n'a pas besoin d'être sainte.
Pourquoi ce manque de motivation envers Dieu pour beaucoup ? Les croyants parlent de Dieu comme d'une entité surpuissante, voulant ceci cela et l'obtenant à tous les coups : je veux que cette feuille d'arbre tombe, et tombe la feuille d'arbre ; je veux que tombe tel être, et tombe l'être en question, je veux glorifier tel autre, et il l'est. Ainsi Dieu, pris dans les rets de sa surpuissance ne serait plus coté auprès de contemporains, plus intellectuels, qu'il démotive.
Il y a bien quelques récalcitrants qui se font une autre idée de Dieu, comme d'un refuge suprême, où trouver la bienveillance qui manque tant partout ailleurs. Et qui tiennent à cette idée sans chercher à l'imposer puisqu'elle ressort plus d'une intuition que d'une idée claire.
Est-ce cette nouvelle qui me fit faire ce rêve miroir d'angoisse ? J'étais devenue courtisane dans un café cossu, d'une mathématicienne à cheveux noirs bouclés dans le cercle d'amis duquel je voulais entrer ; m'étant trompée dans la lecture du chiffre de son billet de banque, elle s'évanouit sur le coup de l'émotion, ayant cru qu'elle ne pourrait payer quelque chose qui lui tenait à cœur, me repoussa ensuite, une fois remise, ayant constaté mon erreur, et alla consommer entre amis. Adieu à l'amitié de la surdouée des maths, j'avisai alors une maman géante, qui avait l'air triste à mourir malgré son beau visage creusé, aux yeux bleus en amande, visage qui pour le coup était mélancolique. Son fils de dix ans mesurait un mètre soixante-dix et était promis à un travail laborieux. Elle l'avait orienté vers les chevaux, je vis le fils d'un coup surgir dans ce rêve, qui m'expliqua d'un air docte le fonctionnement des chevaux, leur grande autonomie, leur art de s'insérer dans la circulation, parmi les nombreuses voitures, étant de grands "grabataires" lâcha-t-il, cela leur était facile. Le mot ne me choqua pas, il n'avait plus le même sens, il voulait dire - géant - : en tant que géants les chevaux s'imposaient dans la circulation. La maman me signifia que son fils avait fort à faire et elle aussi, et ils me laissèrent car elle n'appréciait pas les oisifs. J'avais avisé dans ce café cossu, deux dandys, avant la mathématicienne, leur reprochant bien haut et l'air mondain en diable, d'avoir signifié son congé à un brave garçon qui se retrouvait du coup sur la touche ; cet éclat suspect donc, avant de rejoindre madame bouclette. Quand les minets virent par la suite ma déconvenue auprès de la mathématicienne, j'étais grillée à leurs yeux. Ainsi fonctionnait le monde et moi-même étais courtisane ! malmenée qui plus est, un comble ! Un miroir d'angoisse ce rêve ! Mais il n'est pas fini. J'allai à la plage m'allonger sur le sable, et suite à ces nombreuses déconvenues par lesquelles la société signifie son échec ou son infortune à une personne, il me sembla sentir l'odeur d'un pet. Qui était à l'origine de cette odeur d'œuf pourri ? Je crus en être l'auteur... un plagiste à mes côtés ne bronchait pas et j'entendais un français non loin de moi, qui jouait à la pétanque en baragouinant de l'anglais. Ce dernier déclara d'un coup, qu'il faudrait contacter des écrivains, au moins six, et que chacun écrive une nouvelle autour d'un pet. Là-dessus je me suis réveillée et n'ai constaté aucune mauvaise odeur en réalité dans la chambre. C'est la vérité. La vérité d'une angoisse produite par quoi au juste. Mais exprimer les angoisses le plus élégamment possible est déjà un dégagement vers plus de réflexion... qui marche avec élévation.
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