03/01/2008
Tian
Nonus tenta une nouvelle fois d’attraper d’un coup de patte maladroit, la drôle de mouche fluorescente qui venait de le piquer et paradait maintenant devant lui. Ça n’avait pas été douloureux, juste un petit pincement, mais comme toujours lorsque son estomac le tiraillait, gagné par le découragement, il en voulait au moindre insecte qui se présentait. Sur ce constat fataliste, le lion bailla avant de s’affaler à terre de tout son long, profondément endormi.
La gazelle aux aguets, se mit alors à découvert ; une escouade de mouches-bouclier la précédant, elle alla retrouver d’un pas léger Rinla,victorieusement campée sur l’oreille du félin.
— Tu n’y es pas allée trop fort cette fois-ci j’espère, j’ai peu de temps, ma harde m’attend.
— Tu as seulement une minute pour lui faire tes adieux. Prudence, Tian ! N’oublie pas que ce lion est affamé, n’attends pas qu’il se réveille pour t’en aller.
La robe feuille-morte de Tian frémit quand l’escadron de mouches la quitta. À peine ses amies atterries sur le museau du fauve, elle entra en contact avec lui. Il semblait l’attendre et l’accueillit par ces mots :
— Je savais qu’il me faudrait beaucoup de courage pour t’aimer, Tian. Comme il en faut pour mourir.
— Que se passe-t il ? Que veux-tu dire, Nonus ?
— J’ai quitté ma lionne et ses petits parce qu’ils te tueraient dès la première rencontre. M’éloigner d’eux était la seule solution pour te voir encore.
Cette soudaine déclaration bouleversa Tian qui tenait le lion, récemment encore, avant l’expérience des rencontres en miroir, pour le plus cruel des animaux. Elle était simplement venue aujourd’hui le remercier et lui témoigner son estime en l’informant de l’expérience. Mais les choses se compliquaient. Il fallait le raisonner.
— Pourtant, si tu te réveillais, Nonus, ton instinct de conservation serait le plus fort et tu m’égorgerais de même pour te nourrir.
— Mais je ne dors pas, Tian, rugit le lion, je suis autant réveillé que toi !
— Nous sommes en réalité dans une autre dimension. Mes amies les mouches- télescopes ont permis ces rencontres ponctuelles en terrain neutre. Ton esprit seul est en éveil. Rinla projette notre image en adéquation. C’est un peu comme si tu rêvais. J’étais venue t’expliquer tout cela, nous avions besoin ma harde et moi de mieux vous connaître.
Interloqué, Nonus n’osa pas s’approcher d’elle, de peur qu’elle ne s’évanouisse, et se contenta de humer l’herbe sèche de la savane.
— Alors restons dans cette dimension, décida-t-il
Tian, subjuguée, entrevoyait tout à coup de nouveaux horizons en compagnie de son nouvel ami, quand elle sentit les griffes du Quéléa, l’oiseau-messager de Rinla, légèrement s’enfoncer dans sa chair. Puis, celui-ci prit place sur sa corne et cria :
— Je viens d’échapper de justesse au lance-flamme des paysans ; juste ciel, c’est bon de trouver un peu de répit en votre compagnie ; personne ne crache le feu pour défendre sa nourriture ici !
Cette mise en garde à peine voilée de Rinla, par la voix de son émissaire le plus fidèle, lui rappela l’urgence de conclure l’entretien :
— La lionne et ses petits t’attendent. Je voudrais simplement que tu te souviennes de moi, Nonus.
Le lion ne l’entendait sûrement pas de cette oreille, et s’apprêtait à riposter, quand un violent orage éclata sur la savane. Les mouches se télescopèrent alors en vitesse, formant une boule-miroir qui les emmena sous un arbrisseau, tandis que Nonus se réveillait dans un effroyable rugissement de douleur devant Tian médusée.
— Je me souviens de toi ! Va-t-en maintenant ! rugit-il une dernière fois.
Jamais gazelle n’avait vu douleur aussi poignante chez aucun autre animal. Le lion redevenu sauvage lui ordonnait de courir. La chasse allait commencer. Presque malgré elle, Tian bondit et courut jusqu’à épuisement.
Il ne l’avait pas poursuivie. Bientôt une nuée de ces mouches extraordinaires, presque invisibles filles des airs, la rejoignirent. Rinla lui raconta les gémissements de Nonus alors qu’elle s’enfuyait.
Ce sont ses larmes à lui, Tian. Il s’est souvenu.
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02/01/2008
Celan
"Parmi les reproches qu'on fait parfois à la poésie et qui expliqueraient son manque de succès (?) auprès des "affreuses masses populaires", figure en bonne place celui de l'hermétisme et du détachement du réel.
C'est exactement ce pourquoi il faut fréquenter la poésie de Paul Celan, écrivain juif allemand-austro-hongrois-russe-roumain-ukrainien (au fil des changements d'appartenance de sa province natale), né en 1920, suicidé en 1970 (probablement après s'être jeté dans la Seine) et qui est souvent considéré comme l'un des plus grands poètes en langue allemande du XXe siècle. Son hermétisme se nourrit du réel et ne constitue pas une limite à la découverte de son travail, mais une condition."
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01/01/2008
La vie brève
"Mais ce qui rend ce texte exceptionnel, c’est que, au fur et à mesure que le piège se referme sur elle, Hélène exprime à la fois le sentiment d’être prise dans une tragédie collective et un oubli d’elle-même bien au-delà du courage. Il y a parfois, dans sa façon de s’identifier à la souffrance des autres, dans ce désir de la prendre sur elle, un côté presque christique. A un moment, citant l’Evangile selon saint Matthieu, elle dit : les paroles du Christ sont semblables aux «règles de conscience auxquelles j’essaie d’obéir d’instinct». On a le sentiment que cette ouverture, cette porosité à la souffrance des autres, est aussi liée à l’état d’hypersensibilité que contient l’amour naissant. Et c’est sans doute ce qui passe de cet état dans son écriture qui nous la rend si proche, si vibrante, qui touche au plus profond de nous."
L’article intégral
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