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12/01/2014

J'ai montré votre lettre... George Sand

Extrait de Lélia de George Sand



"J'ai montré votre lettre à l'homme qu'on nomme ici Tremnor, et dont moi seule connais le vrai nom. Il a pris tant d'intérêt à votre souffrance, et c'est un homme dont le cœur est si compatissant (ce cœur que vous croyez mort), qu'il m'a autorisée à vous confier son secret. Vous allez voir que l'on ne vous traite pas comme un enfant, car ce secret est le plus grand qu'un homme puisse confier à un autre homme.



 Et d'abord sachez la cause de l'intérêt que j'éprouve pour Tremnor. C'est que cet homme est le plus malheureux que j'aie encore rencontré ; c'est que, pour lui, il n'est point resté dans le calice une goutte de lie qu'il n'ait fallu épuiser ; c'est qu'il a sur vous, une immense, une incontestable supériorité, celle du malheur.

 

Savez-vous ce que c'est que le malheur jeune homme ? Vous entrez à peine dans la vie, vous en supportez les premières agitations, vos passions se soulèvent, accélèrent le mouvement de votre sang, troublent la paix de votre sommeil, éveillent en vous des sensations nouvelles, des inquiétudes convulsives, des tourments nerveux, et vous appelez cela souffrir ! Vous croyez avoir reçu le grand, le terrible, le solennel baptême du malheur ! Vous souffrez, il est vrai, mais quelle noble et précieuse souffrance que celle d'aimer ! De combien de poésie n'est-elle pas la source ? Qu'elle est chaleureuse, quelle est productive, la souffrance qu'on peut dire et dont on peut être plaint !

 Mais celle qu'il faut refermer sous peine d'infamie et de malédiction, celle qu'il faut cacher au fond de ses entrailles comme un amer trésor, celle qui ne vous brûle pas, mais qui vous glace, qui n'a point de larmes, point de prières, point de rêveries, celle qui toujours veille, froide, pâle, paralytique au fond du cœur ! celle que Tremnor a épuisée, c'est celle-là dont il pourra se vanter devant Dieu, au jour de la justice ; car devant les hommes il faut s'en cacher.

 

Écoutez l'histoire de Tremnor. Il est plus largement, plus richement organisé qu'aucun de vous. Pour lui la vie commune était trop petite ; aux âmes comme la sienne l'univers n'offre pas assez d'aliments. Comme vous cependant il a été jeune, candide, amoureux ; comme vous, il a eu vingt ans. Seulement, comme il vivait plus vite, il les a eus à seize.

 

L'amour épuisé, il a été dévoré par une passion bien autrement énergique, bien plus féconde en drames terribles, bien plus intense, bien plus enivrante, bien plus héroïque dans les actes qui concourent à son but. Le jeu ! car il faut le dire hélas ! si le but est vil en apparence, l'ardeur est puissante, l'audace est sublime, les sacrifices sont aveugles et sans bornes. Jamais les femmes n'en inspirent de pareils. L'or est une puissance bien supérieure à la leur. En force, en courage, en dévouement, en persévérance, au prix du joueur, l'amant n'est qu'un faible enfant dont les efforts sont dignes de pitié. Combien d'hommes avez-vous vu sacrifier à leur maîtresse ce bien inestimable, cette nécessité sans prix, cette condition d'existence sans laquelle il n'y a pas d'existence supportable, l'honneur ! Je n'en connais guère dont le dévouement aille plus loin que le sacrifice de la vie. Tous les jours le joueur immole son honneur et supporte la vie. Le joueur est âpre, il est stoïque, il triomphe froidement, il succombe froidement ; il passe en quelques heures des derniers rangs de la société aux premiers, dans quelques heures il redescend au point d'où il est parti, et cela sans changer d'attitude ni de visage. Dans quelques heures, sans quitter la place où son démon l'enchaîne, il parcourt toutes les vicissitudes de la vie, il passe par toutes les chances de fortune qui représentent les différentes conditions sociales. Tour à tour roi et mendiant, il gravit d'un seul bond l'échelle immense, toujours calme, toujours maître de lui, toujours soutenu par sa robuste ambition, toujours excité par l'âpre soif qui le dévore. Que sera-t-il tout à l'heure ? Prince ou esclave ? Comment sortira-t-il de cet antre ? Nu, ou courbé sous le poids de l'or ? Qu'importe ? Il y reviendra demain refaire sa fortune, la perdre ou la tripler. Ce qu'il y a d'impossible pour lui, c'est le repos ; il est comme l'oiseau des tempêtes  qui ne peut vivre sans les flots agités et les vents en fureur. On l'accuse d'aimer l'or ! il l'aime si peu qu'il le jette à pleines mains. Ces dons de l'enfer ne sauraient lui profiter ni l'assouvir. À peine riche, il lui tarde d'être ruiné afin de goûter encore cette nerveuse et terrible émotion sans laquelle la vie lui est insipide. Qu'est-ce donc que l'or à ses yeux ? Moins, par lui-même que des grains de sable au vôtres. Mais l'or lui est un emblème des biens et des maux qu'il vient chercher et braver. L'or, c'est son jouet, c'est son ennemi, c'est son Dieu, c'est son rêve, c'est son démon, c'est sa maîtresse, c'est sa poésie ; c'est l'ombre qu'il poursuit, qu'il attaque, qu'il étreint, puis qu'il laisse échapper pour avoir le plaisir de recommencer la lutte, et de se prendre encore une fois corps à corps avec le destin. Allez ! c'est beau cela ! c'est absurde ; il faut le condamner, parce que l'énergie employée ainsi, est sans profit pour la société, parce que l'homme qui dirige ses forces vers un pareil but, vole à ses semblables tout le bien qu'il aurait pu leur faire avec moins d'égoïsme. Mais, en le condamnant, ne le méprisez pas, petites organisations qui n'êtes capables ni de bien ni de mal ; ne mesurez qu'avec effroi le colosse de volonté qui lutte ainsi sur une mer fougueuse pour le seul plaisir d'exercer sa vigueur et de la jeter en dehors de lui. Son égoïsme le pousse au milieu des fatigues et des dangers, comme le vôtre vous enchaîne à de patientes et laborieuses professions. Combien comptez-vous, dans le monde, d'hommes qui travaillent pour la patrie sans songer à eux-mêmes ? Lui, il s'isole franchement, il se met à part, il dispose de son avenir, de son présent, de son repos, de son honneur. Il se condamne à la souffrance, à la fatigue. Déplorez son erreur, mais ne vous comparez pas à lui, dans le secret de votre orgueil, pour vous glorifier à ses dépens. Que son fatal exemple serve seulement à vous consoler de votre inoffensive nullité.

Je m'arrête ici pour aujourd'hui ; votre âge est celui de l'intolérance, et vous seriez trop violemment étourdi, si je vous disais en un seul jour tout le secret de Tremnor. je veux laisser cette partie de mon récit faire son impression ; demain je vous dirai le reste."

George Sand    

 

  

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11/01/2014

Le Rimbert

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10/01/2014

paroles du médecin à Valentine

Paroles du médecin à Valentine qui se remet mal d'une congestion cérébrale. Il tente de la motiver à guérir en lui proposant le projet de se rendre au chevet de Bénédict :



 "En ce moment, Valentine ouvrit les yeux et reconnut sa sœur. Après l'avoir embrassée, elle lui demanda des nouvelles de Bénédict. Alors le médecin prit la parole :

 

— Madame, lui dit-il, c'est moi qui puis vous en donner, puisque c'est moi qui l'ai soigné et qui ai eu le bonheur jusqu'ici de prolonger sa vie. L'ami qui vous inquiète, et qui a des droits à l'intérêt de toute âme noble et généreuse comme la vôtre, est maintenant physiquement hors de danger. Mais le moral est loin d'une aussi rapide guérison, et vous seule pouvez l'opérer.

 

— O mon Dieu ! dit la pâle Valentine en joignant les mains et en attachant sur le médecin ce regard triste et profond que donne la maladie.

 

— Oui, madame, reprit-il, un ordre de votre bouche, une parole de consolation et de force, peuvent seuls fermer cette blessure ; elle le serait, sans l'affreuse obstination du malade à en arracher l'appareil aussitôt que la cicatrice se forme. Notre jeune ami est atteint d'un profond découragement, madame, et ce n'est pas moi qui ai des secrets assez puissants pour la douleur morale. j'ai besoin de votre aide, voudrez-vous me l'accorder ?

 

En parlant ainsi, le bon vieux médecin de campagne, obscur savant, qui avait maintes fois dans sa vie étanché du sang et des larmes, prit la main de Valentine avec une affectueuse douceur qui n'était pas sans un mélange d'antique galanterie, et la baisa méthodiquement, après en avoir compté les pulsations.

Valentine, trop faible pour bien comprendre ce qu'elle entendait, le regardait avec une surprise naïve et un triste sourire.

 

— Eh bien, ma chère enfant, dit le vieillard, voulez-vous être mon aide-major et venir mettre la dernière main à cette cure ?

 

Valentine ne répondit que par un signe d'avidité ingénue.

 

— Demain ? reprit-il

 

— Oh ! tout de suite ! répondit-elle d'une voix faible et pénétrante.

 

— Tout de suite, ma pauvre enfant ? dit le médecin en souriant. Eh ! voyez donc ces flambeaux ! Il est deux heures du matin ; mais si vous voulez me promettre d'être sage et de bien dormir, et de ne pas reprendre la fièvre d'ici à demain, nous irons dans la matinée faire une promenade dans le bois de Vavray. Il y a, de ce côté-là, une petite maison où vous porterez l'espoir et la vie.

 

Valentine pressa à son tour la main du vieux médecin, se laissa médicamenter avec la docilité d'un enfant, passa son bras autour du cou de Louise, et s'endormit sur son sein d'un sommeil paisible."

 George Sand

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