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12/11/2012

Argile

ARGILE PLAT D’ETAIN

 

La tendresse naît du malheur,

Mais je n’en suis qu’à mi-hauteur !

Je multiplie en moi quatre bohémiennes

Qui soulèvent un pan des forêts indiennes.

Ça forme une clairière au sol de cassonade

Qui s’emplit de clairons ou qui sent la grillade.

Ces petites Vénus tendent leur cou de chèvre

Et me jettent au loin des cerises, leurs lèvres !

 

Les remparts sans honneur où les chiens vont mourir,

Déjà miraculeux, font semblant de s’ouvrir,

Par une déhiscence adorable des briques

Dégageant des parfums immédiats, théoriques.

 

Je l’ai dit, tant de fois ! Surtout les soirs d’été :

Le secret véritable est la simplicité !

Les baraques de fer reçoivent du goudron,

Le couchant de biais traverse les salades.

Le monde sans vitesse est enfin doux et rond

Et je viens d’être heureux comme un homme malade.

 

L’instant délicieux se sépare de l’heure,

Et plonge dans lui seul comme un être qui pleure,

Moi qui croyais encore aux luttes primitives,

A peine si mon âme a des ombres actives !

Je suis très las sans être triste.

En ta faveur, calme Univers !

Et par amour des lieux déserts,

Je me renonce et me désiste.

 

Mais pour aller jusqu’à la nuit

Sans connaître la répugnance,

Je garderai ma patience,

La vertu qui manque de bruit !

 

Imminent sur le vide, un soleil jalousé

Nous redonne le goût des édens framboisés.

Pas assez ! Jamais trop ! Fertiles métaphores,

Embrassez-le, ce cœur qui veut sauter plus fort !

 

J’ai l’aspect de mes souvenirs ;

Il n’est rien en moi qui ne pense ;

Le paysage me rumine,

Mon propre regard examine

Si je suis l’homme en concordance.

 

Ai-je bien mangé mon décor,

Ce morceau de faubourg et ma part suburbaine

De chiffons, de ferraille et d’obliques sirènes ?

Avec lui, longtemps, je fais corps.

Et des ormes fléchis fondent dans ma salive,

Et les noirs campements ont de belles lessives.

Des cygnes tout bleuis, portant bas leur plastron,

Naissent du linge, ou d’un grand drap de mince neige,

A moins qu’ils soient issus du maigre fil de fer !

Mythes facétieux, délicats sortilèges !

Quand ils prendront leur vol, je n’aurai plus de fièvre,

Mais la fleur grêle, oui ! Le nom de Jésus à la bouche !

Jésus veut-il me prendre,

Osé-je le comprendre ?

 

Et si l’église vient à sortir d la ville,

Va-t-elle s’implanter à son tour dans un île

Entièrement feutrée et à ma ressemblance ?

Elle s’allonge, elle s’éclaire ;

Même elle éclate, peuplant l’air

D’incompatibles projectiles.

Oh ! Sitôt que mon sort comprend moins le mystère,

L’univers se complique en usant du silence.

 

Je danserai ma mort sur des claviers grossis,

Je pourrirai sans nom dans les bruns harmoniums !

 

Et vous voilà, grand ciel refusant de noircir,

Occident fatigué, faibles couches de cire

Achevant de briller sur les tendres péniches

D’un Canteleu qui mène au banal Haubourdin.

Vous voilà, pays neutre, honorables jardins ! 

 

Je me retrouve seul, inclus dans la substance.

D’un grand nombre de fruits qui tournent pour les hommes.

On se prolonge ainsi dans les plus tendres sommes.

Et, privé de contours, j’ai beaucoup d’existences !

 

Aller, partir, finir,

Ne plus jamais se dévêtir !

Je change moins de contenu,

Ma chair au songe est convertie.

Aimer ! Mourir de sympathie,

Passer les murs de l’inconnu !

Aimer pour apprendre à mourir !

 

Mais vous, sombres déchets, abondantes Fumées

Qui rouliez, sans ouvrir vos spirales fermées,

A la place des nues,

Et vous refroidissiez en d’énormes volumes

Plus légers que des plumes,

Qu’êtes-vous devenues ?

 

— Oh la la ! nous, c’est différent ;

Nous ne rentrons pas dans le rang,

Non oedificandi !

Là-bas, toujours, on fait des pas, les plus fugaces !

On fait le tour du papier peint des paradis,

Non oedificandi

Armand Dehorne

05:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

09/11/2012

Arbre à palabres

Il suffit de lire à haute voix certains poèmes d‘Armand Dehorne pour chanter, plutôt dans le grave, en approfondissant presque instinctivement la voix, l’expiration se prolonge, comme en plongée. Depuis quelques jours je m’adonne à ce genre d’exercice durant quelques minutes. Lecture muette : ça chante déjà intérieurement ; la mémoire se réactive sur des choses à propos desquelles on ne se sent pas forcément concerné, du moins directement. Evocation sensuelle et mélodique de moments que le poète parvient à faire partager au lecteur attentif. Je ne vous donnerai pas une explication de texte, il y a  juste à sentir, c’est pourquoi j’avais parlé du chant des baleines. Voici un poème intégral :

 

INTERMITTENCE

 

On entend clouer à la hâte,

Non des cercueils mais des baraques

Pour les filles du chiffonnier,

De magnifiques créatures.

 

La ville aime beaucoup les chaleurs printanières ;

Celles qui font bondir à travers leur crinière

Les femmes de trente ans, surprises de leur force

Autant que des rondeurs de leurs profondes cuisses ;

Les femmes, cris de haine et d’insatiable amour !

Souvent, dans ces beaux jours dont raffolent les êtres,

Il se fait un miracle aux lieux qui sont propices…

 

Un calme étrange est survenu

Qui soulage et pourtant fait mal.

On dirait l’apport d’un corps nu

Par une vague sans histoire.

 

L’air épaissi, doré, se refuse à couler.

Au confluent rouillé des ruelles exquises,

Il reste surchargé d’un excès de musique,

Sorte d’huile odorante en marche sur de l’eau.

Son arrêt singulier semble un arrêt du cœur.

Emprisonnant des fleurs saoules et dégrafées,

Des chiens qui n’aboient plus, des gens qui se regardent,

Etonnés, mais contents de n’avoir plus de rage,

Voilà qu’il cristallise en sucre de groseille,

Ainsi qu’un sirop lent dans sa longue bouteille.

 

La maison est un bloc de bonheur sans fissure,

Où la famille plonge en un bien collectif

De tendresse distraite et de volupté sûre ;

Le souvenir des morts redevient inactif.

 

Tout un rauque faubourg mouvementé se prend

En un cube vermeil qui reste transparent.

Les visages tirés se fixent solitaires,

Les filles qui chantaient coagulent songeuses,

Et de longs hommes roux, qui mangent de la suie,

En s’immobilisant prennent devant l’usine

L’air suspendu, rêveur, de plantes sous-marines…

Beau cristal translucide où chacun sent sa vie

Pour de bon achevée et tendrement ravie.

Et, dans la profondeur qui ressemble à du verre,

Des gestes commencés pendent interrompus,

Comme des ex-votos de membres corrompus,

Au fond d’une chapelle et près d’une verrière.

Même un cheval, surpris dans un semblant de rire,

Devant un cabaret, baille éternellement !

09:22 Publié dans Note, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

08/11/2012

Haies fleuries, un poème de Armand Dehorne

le poème se termine par l'expression d'un sentiment de culpabilité, de honte même, de fatalité et de compassion mélangées. Son chant sous-tend le texte jusqu'au bout. Voici le poème :

HAIES FLEURIES

 

O voitures, j’ai mal dans mon corps désolant

Des plaintes d’un ami malheureux, ressemblant,

Qui pleure à la fenêtre au-dessus de sa ville…

 

Les étoiles débiles

Ont grand’peine à paraître,

Le conducteur se tait, 

Les nuées sont rapides.

 

Le cri de la chouette

Est plus faux que jamais.

Tous les lieux que j’aimais

Dépérissent en moi,

Se muent en clarinettes,

Qui chantent d’un long nez

Les amours de benêts.

 

Reviendrez-vous pour moi, comètes des charmilles ?

Reviendrez-vous un jour, brûlantes jeunes filles ?

Vos sanglots sur mon cœur tiennent lieu de famille.

 

O voiture, qui vas cahotant ton vieux bruit,

Dans les basses prairies de minuit,

Les vaches, épaissies par de gluants herbages,

Poussent, non des soupirs, mais des souffles sauvages,

Qui montent en geysers sans qu’on les voie descendre ! 

Dis-moi, toi qui secoues tes planches grelottantes,

Toi qui portes mon corps, mais ne l’as pas connu,

Pour qui balances-tu ta lanterne de corne

Qui n’est pas allumée ?

Est-ce un homme vivant que tu crois ramener

Ou bien quelques sanglots de farouche hyménée ?

 

Gambadent devant nous,

Se jettent à genoux,

Se mordent dans le cou,

Gémissent tout à coup,

De nombreuses licornes,

Qui, de ton dur cheval et de ma fièvre nées,

Dans ce vieux animal, reviendront s’enfermer !

 

Voiture ! Que de soins, que de jeunes vocables,

Pour dire qu’on s’ennuie et qu’on est détestable…

Si tu veux t’arrêter, arrêtons-nous, qu’importe !

« Autant ici qu’ailleurs », lirait-on sur la porte.

Quel pays désormais s’ajusterait aux cris

Dont se blesse lui-même un orgueil si meurtri ?

Autant ici qu’ailleurs…

Le poids de la douleur fait basculer la terre ;

Amour ne s’aime pas ; malheur au solitaire !

 

La forte odeur du gros cheval

Emplit chaudement la carriole.

Les licornes, ces faux-narvals,

Recommencent leurs cabrioles

Qui ne sont point navales.

 

Oh ! J’ai peur des maisons tristement retirées,

Emules seulement des muets végétaux,

Qui s’écoutent mourir en briques desserrées

Au bout d’un sentier fourbe et qui s’enlise tôt.

 

Qu’y fait sournoisement l’humanité cupide ?

Les gens ! De quels argents ont-ils l’heure occupée,

Ruminants de manants, dont les têtes stupides,

Plutôt feignant de l’être !

Ne s’évadent jamais par la moindre échappée !

 

Pourquoi chercher, pourquoi comprendre ?

Charge plutôt ton front de cendres !

Ici, comme là-bas, dans le même moment,

Simultanéité des laideurs éternelles,

Tous les maux sont conçus et sont exécutés !

 

Vivre ! Crime normal, affaire ténébreuse,

Injustice parfaite et sournoise infamie,

Atrocité qu’on loue et dégoûtant triomphe.

 

Je fus vil et coupable autant que tous les autres,

Mais peut-on se vanter des flammes de la honte ?

J’étouffe ma mémoire et je veux oublier. 

08:15 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)