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15/09/2008

Pakistan - États-Unis

Comment se réveille le nationalisme pakistanais :

"Les frappes avaient valeur d’avertissement. À quelques jours de l’élection, le 6 septembre, à la tête de l’État pakistanais d’Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto - assassinée le 27 décembre 2007 -, les troupes américaines opérant en Afghanistan ont mené une série de raids à l’intérieur même du territoire du Pakistan. Les attaques, qui visaient des chefs talibans ou des repaires d’Al-Qaida nichés dans ces zones tribales sanctuarisées, ont causé de lourdes pertes civiles et enflammé le nationalisme pakistanais.

La semonce américaine est explicite : si Islamabad ne « nettoie » pas ses zones tribales des foyers islamistes qui alimentent l’insurrection en Afghanistan, Washington s’en chargera tout seul. À peine investi, M. Zardari ne doit ainsi pas seulement faire face au défi taliban dans son pays. Il est aussi confronté à la tentation de l’escalade chez les Américains, qui imputent à la passivité du Pakistan, voire à son ambivalence, la recrudescence de la rébellion en Afghanistan. À l’heure où les État-Unis s’apprêtent à redéployer des troupes d’Irak vers l’Afghanistan - retour à la case départ ? -, cet index pointé sur Islamabad prend tout son sens.

Or, il s’agit d’un jeu dangereux. Comme en Afghanistan, les victimes civiles « collatérales » de raids indiscriminés ne font qu’attiser la haine des forces occidentales au sein de populations pachtounes à la fierté ombrageuse qu’aucun conquérant n’est jamais parvenu à dompter à travers l’histoire. De plus, ces incursions sapent les efforts que les Pakistanais mènent eux-mêmes pour tenter d’endiguer l’activisme des talibans dans cette zone frontalière. Depuis deux ou trois mois, des offensives de grande envergure avaient été engagées dans la zone tribale de bajaur ainsi que dans la vallée de Swat. Des résultats avaient été obtenus. Ces unités pakistanaises risquent de perdre tout crédit aux yeux des communautés locales en apparaissant comme des supplétifs d’envahisseurs violant la « souveraineté » du Pakistan." ...

Frédéric Bobin, Le Monde

 

11/09/2008

Enquête

"C'est fascinant !, observe Cécile Van de Velde, auteur d’une thèse Devenir adulte, sociologie comparée de la jeunesse en Europe, publiée cette année chez PUF. Français et Danois se situent aux deux extrêmes d’un panel européen. Aux Français anxieux, pressés par le temps, cernés par le chômage, convaincus que leur destin se joue avant 25 ans et qu’un échec ou une erreur d’orientation se paient durant toute la vie, s’opposent les Danois confiants, financièrement autonomes grâce à des bourses, prêts et petits boulots, encouragés à l’exploration et à la mobilité, avec un horizon ascendant et un marché de l’emploi avide de leur apport."

Le tableau est dressé que l’on croirait caricatural. Mais la vingtaine de jeunes gens rencontrés à Copenhague, en ce début septembre, n’auront de cesse de l’accréditer."La jeunesse est ici une époque bénie, explique Sven Morch, professeur de psychologie à l’université de Copenhague. Ce qu’elle évoque, véhicule, implique, est d’ailleurs si populaire, si positif, que tout le monde voudrait en être et qu’elle tend à s’allonger à l’infini. » S’allonger ? « les enfants piaffent d’abord ce rivage et les parents précipitent le mouvement en basant l’éducation de leurs gamins sur l’autonomie et en les habillant très tôt en ados. Dans l’entreprise, les emplois doivent avoir de plus en plus l’air du "job", être distrayant, permettre le développement individuel et même paraître sexy !» La société Danoise a pour la jeunesse, dit-il, toutes les indulgences et toutes les attentions. "Et nos jeunes excellent à être jeunes !"

Cela fait sourire la bande de garçons, de 17 à 20 ans, réunis ce dimanche dans le jardin des parents de l’un d’eux. Oui, ils ont bien l’intention d’être "bons" dans la position de "jeunes". Oui, la vie, ces prochaines années, promet d’être « vraiment cool ». Comme elle le fut déjà, reconnaissent-ils, pendant toute leur scolarité. Pas d’angoisse de carnets de note ou de devoirs sur table ? « Jamais ! Toute idée de classement est inacceptable, assure Stefan, 20 ans. Elle irait à l’encontre de l’égalité sur laquelle est fondée notre social-démocratie. Les profs comme les parents tentent toujours de trouver du positif. Ce qui compte, c’est d’être soi-même et de se sentir bien. »

Pas de stress, de retenues, de sélection, encore moins de redoublements. Surtout, jamais de menaces associant une profession dévalorisée à un échec scolaire, du genre : « Si tu ne travailles pas, tu finiras … » L’échelle des revenus étant de toute façon très serrée, le diplôme ne garantira pas un salaire plus élevé, une meilleure qualité de vie, ou l’unique moyen de s’élever socialement. Alors pas de chantage !

Extrait de l’article de Annick Cojean, intitulé « Au royaume de l’insouciance » dans Le Monde du mercredi 10 septembre 2008

08/09/2008

Françoise Demulder

"Grande photoreporter, ses images au Vietnam puis au Liban ont marqué les années 1970

 

Première femme à gagner le prestigieux prix World Press en 1977, la photoreporter Françoise Demulder est morte, mercredi 3 septembre à Paris, d’une attaque cardiaque. Elle avait 61 ans. Il est injuste de réduire un photographe à une image, surtout dans le cas de Françoise Demulder, mais celle qu’elle réalise dans la matinée du 18 janvier 1976 à Beyrouth, durant la guerre du Liban, et qui a été couronnée « meilleure photo de l’année » par le World Press, a marqué la profession et les lecteurs de journaux du monde entier.

Cette photo en noir et blanc est prise au moment où les phalangistes chrétiens sont en train de raser le quartier palestinien de la Quarantaine à Beyrouth. Alors que les Palestiniens tentent d’échapper au massacre, Françoise Demulder saisit une Palestinienne implorant un soldat phalangiste cagoulé et armé d’un fusil de la seconde guerre mondiale.

Ce document a failli ne jamais être publié. Françoise Demulder travaillait alors pour Gamma, la grande agence photos de l’époque avec Sygma et Sipa, qui ont fait de Paris la capitale mondiale du photojournalisme dans les années 1970 et 1980. Or les responsables de Gamma à Paris, qui avaient réceptionné les pellicules deux semaines plus tard auprès d’un coursier passé en voiture par la Jordanie, n’avaient pas retenu cette image complexe qui offre plusieurs plans de lecture. De retour en France, Françoise Demulder a redonné sa chance à une image qui est devenue le symbole du drame palestinien durant cette guerre - elle fut placardée sur les murs de Beyrouth.

 

« Désormais, il n’y avait plus les bons chrétiens et les méchants palestiniens ; les phalangistes ne me l’ont jamais pardonné », explique Françoise Demulder dans la série télévisée de Marie-Monique Robin, Les Cent Photos du siècle, diffusée sur Arté de 1998 à 2000 et adaptée en livre (Chêne 1999). La photographe ajoutait : « D’après mes informations, seuls la mère et son bébé (au second plan) ont survécu. "Le milicien s’est tué en jouant à la roulette russe" "La photo m’a poursuivie pendant des années", confie Françoise Demulder, hantée par "la haine démentielle" du milicien. "C’était une véritable boucherie."

De cette image, est née une amitié entre son auteur et Yasser Arafat, le leader palestinien, dont elle a « couvert » l’exil à Tripoli, en Libye, et à qui elle a rendu visite en Tunisie. « Ils sautaient dans les bras l’un de l’autre », se souvient le photographe Christian Poveda, son ami depuis vingt-huit ans. C’est une image qui a renforcé la notoriété d’une photographe dont le parcours s’inscrit dans la tradition française du photojournalisme de l’époque - les années qui ont suivi le mouvement et les aspirations de Mai 68. Un parcours autodidacte et nourri par le goût de l’aventure.

Née le 9 juin 1947, fille d’un ingénieur électronicien, Françoise Demulder est une brune élégante et longiligne, qui devient d’abord mannequin. Elle gagne le Vietnam en guerre au début des années 1970 pour accompagner son compagnon de l’époque, Yves Billy, qui était photographe puis documentariste. « C’est ainsi qu’elle est devenue photographe », se souvient Christian Poveda.

La Guerre du Vietnam, très ouverte à la presse, a permis à de nombreux photographes d’apprendre leur métier sur le tas. « Françoise est venue à Saïgon, toute jeune, elle était jolie, très grande, extrêmement mince, toujours vêtue d’une blouse ample, de pantalons très français et de bottes de combat », se souvient Horst Faas, qui dirigeait les photographes de l’agence américaine Associated Press. Ce dernier ajoute : « Françoise et Yves Billy sillonnaient Saïgon en moto. Elle rentrait couverte de poussière. On lui a acheté des photos. »

Le 30 avril 1975, elle prend une première image qui fait le tour du monde, lors de la chute de Saïgon. Postée dans le Palais présidentiel, elle est la seule photographe à saisir l’instant où les chars des Vietcongs font leur entrée dans la ville. Ainsi, dans un milieu d’hommes, Françoise Demulder  a gagné au Vietnam puis au Cambodge une place respectée parmi les photographes de guerre, incarnant, avec Catherine Leroy et Christine Spengler, le visage féminin du photojournalisme français, réputé dans le monde entier.  …

Du Vietnam, elle s’est ensuite rendue au Liban, avant de couvrir plusieurs conflits, notamment la guerre entre l’Irak et l’Iran, au début des années 1980, pour les grands magazines internationaux. Ella a aussi multiplié les reportages à Cuba, au Pakistan, en Ethiopie, et travaillé pour plusieurs agences - Sipa, Gamma, Corbis …"

 

Le Monde,  Michel Guerrin et Claire Guillot