04/02/2014
Stopper la montée de l'insignifiance
"Stopper la montée de l’insignifiance
IL manque la voix de Cornelius Castoriadis, ce dissident essentiel, en ces temps de "non-pensée". Il n’a pas sombré dans le renoncement esthète, ni dans le cynisme ni dans cette apathie repue qui dit :" Tout se vaut, tout est vu, tout est vain." Il dénonce une élite politique réduite à appliquer l’intégrisme néolibéral, mais souligne aussi la responsabilité du" citoyen" que la précarité désengage de l’activité civique. Silencieusement, s’est mise en place cette formidable régression : une non-pensée produisant cette non-société, ce racisme social. Jusqu’au bout Castoriadis a recherché une radicalité :" Je suis un révolutionnaire favorable à des changements radicaux, disait-il quelques semaines avant sa mort. Je ne pense pas que l’on puisse faire marcher d’une manière libre, égalitaire et juste le système français capitaliste tel qu’il est.""
par Cornelius Castoriadis, août 1998
Lu ici, intégral : http://demaincestaujourdhui.hautetfort.com/
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"Et je m'en vais être homme à la barbe des gens."
Les femmes savantes
Scène IX
Ariste, Chrysale
Ariste
Hé bien ? la femme sort, mon frère, et je vois bien
que vous venez d'avoir ensemble un entretien.
Chrysale
Oui.
Ariste
Quel est le succès ? Aurons-nous Henriette ?
A-t-elle consenti ? L'affaire est-elle faite ?
Chrysale
Pas tout à fait encor.
Ariste
Refuse-t-elle ?
Chrysale
Non.
Ariste
Est-ce qu'elle balance ?
Chrysale
En aucune façon.
Ariste
Quoi donc ?
Chrysale
C'est que pour gendre elle m'offre un autre homme.
Ariste
Un autre homme pour gendre !
Chrysale
Un autre.
Ariste
Qui se nomme ?
Chrysale
Monsieur Trissotin.
Ariste
Quoi ? ce Monsieur Trissotin...
Chrysale
Oui, qui parle toujours de vers et de latin.
Ariste
Vous l'avez accepté ?
Chrysale
Moi, point, à Dieu ne plaise.
Ariste
Qu'avez-vous répondu ?
Chrysale
Rien ; et je suis bien aise
de n'avoir point parlé, pour ne m'engager pas.
Ariste
La raison est fort belle, et c'est faire un grand pas.
Avez-vous su du moins lui proposer Clitandre ?
Chrysale
Non ; car, comme j'ai vu qu'on parlait d'autre gendre,
J'ai cru qu'il était mieux de ne m'avancer point.
Ariste
Certes votre prudence est rare au dernier point !
N'avez-vous point de honte avec votre mollesse ?
Et se peut-il qu'un homme ait assez de faiblesse
Pour laisser à sa femme un pouvoir absolu,
Et n'oser attaquer ce qu'elle a résolu ?
Chrysale
Mon Dieu ! vous en parlez, mon frère, bien à l'aise,
Et vous ne savez pas comme le bruit me pèse.
J'aime fort le repos, la paix, et la douceur,
Et ma femme est terrible avecque son humeur.
Du nom de philosophe elle fait grand mystère ;
Mais elle n'en est pas pour cela moins colère ;
Et sa morale, faite à mépriser le bien,
Sur l'aigreur de sa bile opère comme rien.
Pour peu que l'on s'oppose à ce que veut sa tête,
On en a pour huit jours d'effroyable tempête.
Elle me fait trembler dès qu'elle prend son ton ;
Je ne sais où me mettre et c'est un vrai dragon ;
Et cependant, avec toute sa diablerie,
Il faut que je l'appelle et "mon cœur" et "ma mie".
Ariste
Allez, c'est se moquer. Votre femme, entre nous,
Est par vos lâchetés souveraine sur vous.
Son pouvoir n'est fondé que sur votre faiblesse,
C'est de vous qu'elle prend le titre de maîtresse ;
Vous-même à ses hauteurs vous vous abandonnez,
Et vous faites mener en bête par le nez.
Quoi ? vous ne pouvez pas, voyant comme on vous nomme,
Vous résoudre une fois à vouloir être un homme ?
À faire condescendre une femme à vos vœux,
Et prendre assez de cœur pour dire un : "Je le veux" ?
Vous laisserez sans honte immoler votre fille
Aux folles visions qui tiennent la famille,
Et de tout votre bien revêtir un nigaud,
Pour six mots de latin qu'il leur fait sonner haut,
Un pédant qu'à tous coups votre femme apostrophe
Du nom de bel esprit, et de grand philosophe,
D'homme qu'en vers galants jamais on n'égala,
Et qui n'est, comme on sait, rien moins que tout cela ?
Allez, encore un coup, c'est une moquerie,
Et votre lâcheté mérite qu'on en rie.
Chrysale
Oui, vous avez raison, et je vois que j'ai tort.
Allons, il faut enfin montrer un cœur plus fort,
Mon frère.
Ariste
C'est bien dit.
Chrysale
C'est une chose infâme
Que d'être si soumis au pouvoir d'une femme.
Ariste
Fort bien.
Chrysale
De ma douceur elle a trop profité.
Arsite
Il est vrai.
Chrysale
Trop joui de ma facilité.
Ariste
Sans doute.
Chrysale
Et je lui veux faire aujourd'hui connaître
Que ma fille est ma fille, et que j'en suis le maître
Pour lui prendre un mari qui soit selon mes vœux.
Ariste
Vous voilà raisonnable, et comme je vous veux.
Chrysale
Vous êtes pour Clitandre, et savez sa demeure :
Faites-le-moi venir, mon frère, tout à l'heure.
Ariste
J'y cours tout de ce pas.
Chrysale
C'est souffrir trop longtemps,
Et je m'en vais être homme à la barbe des gens.
Molière - Les femmes savantes.
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03/02/2014
Un petit point
Ce que je retiens des romans policiers dont j'ai pris connaissance c'est le portait qu'ils font de la société.
On a souvent affaire à des personnes bien intégrées mais frustrées pour une raison ou une autre et donc en quête de reconnaissance. Les acteurs des divers événements, de part et d'autre, maîtrisent les technologies diverses et cela se voit, c'est important, cette maîtrise des technologies étant la base pour se faire reconnaître à minima de ceux que la société a institué en quasi demi-dieux, c'est-à-dire les hommes de pouvoir, à statut social important cela va sans dire.
Ceux que cette réalité indispose seraient tentés de suivre la voie de la poésie, du réenchantement, pour sortir du carcan. Hélas, quand on ne suit pas les parcours voulus, on s'expose dangereusement. Parfois les parcours de vie sont accidentés en raison de paramètres insolubles, ou difficiles, parfois il s'agit du choix de gens qui se croyaient libres ne voyant pas les dangers de cette liberté compte tenu de la réalité sociale. Les polars rappellent durement que dans ce cas de figure, cela se termine effectivement mal en général. Ces électrons libres, en raison de leur apparente instabilité peut-être, sont perçus et traités en marginaux, paumés, on les appelle parfois des "charlots" dans le Nord (merci quand même Charly Chaplin), et cela empire à mesure que le lecteur constate leur chute dans la petite délinquance, faute de droit au travail souvent (comme on l'a implicitement compris), dans la drogue, où alors "ces paumés", touchant le fond, deviennent psychiatrisables à souhait, on le devine aisément dès lors.
"les gens ont besoin de reconnaissance, d'instantanéité, quitte à sacrifier leur liberté." Jess Kaan
"Les gens", à lire les polars, probablement très lucides par ailleurs, ne sauraient plus éprouver suffisamment d'estime pour eux-mêmes, il faut qu'elle vienne de l'extérieur avant tout, par besoin de considération qui tiendrait de l'urgence et qui passe par l'argent, lequel va de pair avec la reconnaissance de ces demi-dieux à leur égard. Le problème est de taille quand on s'aperçoit que les hommes de pouvoir en question, dans les romans policiers (toute ressemblance etc.), tournent en général mal. Notamment, dans le polar de Jess Kaan, (le dernier lu), par leurs pratiques sexuelles avilissantes. Si le sexe est prêché comme libérateur par ces quelques pontes monstrueux, il devient en fait une prison et ne procure à la longue que routine ennuyeuse et jouissance simulée ou si fugitive ! Cela m'a fait penser à Bernanos qui en parlant du nez de M. Ouine, quand Steeny observe celui dont il voulait faire son maître, mort, voit "une bête malfaisante".
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