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27/10/2012

Pyat et Eugène Sue

Extrait d'une critique littéraire de Jean-Louis Bory du  livre intitulé Eugène Sue, page 228 : 

"Pyat avait pour la première fois rencontré Sue chez le libraire Ladvocat, au moment de Paris ou le Livre des Cent et Un. Chevelure blonde, enthousiasme romantique, idées avancées, feuilletoniste au Siècle, Pyat était fou de théâtre. La Porte-Saint-Martin avait déjà représenté de lui, en février 1834, Le Brigand et le Philosophe, pièce frénético-sociale, où n’existaient que des criminels, où l’auteur prenait véhémentement à partie le train du monde qui ne songeait qu’à favoriser le triomphe du mal. De quoi plaire à Szaffie-Arthur. Dans un autre drame, Ango, joué en 1835 à l’Ambigu, François Ier, après avoir commis les pires horreurs, s’évanouissait de peur et de lâcheté. De quoi amuser l’ennemi de Louis XIV. Les Deux Serruriers visaient à bouleverser. Le théâtre représentait une misérable mansarde, sans feu, sans meubles, presque sans lumière; fenêtre brisée, pluie, vent; un bébé dans une sorte de berceau; un vieil ouvrier, Samuel Davis, agonise. Il est misérable mais  honnête, ou plutôt : misérable parce qu’honnête. Arrivée des recors dépêchés par le banquier Murray : ils vont saisir le berceau! Mais survient le fils Davis qui jette l’argent aux recors : il s’est vendu, c’est-à-dire : engagé. 

Sue fut vivement frappé : dans Les Mystères de Paris nous retrouverons la mansarde, c’est la mansarde des Morel; et la scène des recors : c’est la fille Morel qui se vend. Frappé mais sceptique, en bon dandy. A l’entracte, il bavarde avec Pyat. Bravo  pour la pièce, mais le peuple, croit-il — ainsi que le comte Duchâtel —, n’est pas comme ça; il est malheureux certes, mais… La réalité dépasse la fiction soutient Pyat. Et il invite Eugène Sue à dîner pour le lendemain, rue Basse-du-Rempart, chez un ouvrier qui habite non loin de l’hôtel où Sue a vécu son adolescence de mirliflore impertinent."

Page 232. Sue est invité à souper chez l’ouvrier Fugères, un homme mûr, chef d‘atelier et père de famille. Le repas est excellent. la suite :

"...On n’était pas seulement venu pour convaincre Sue des capacités culinaires de ce qui était encore à peine la classe ouvrière. Il fallait « affranchir » ce bourgeois aristocrate. Dans La Vigie de Koat-V  Sue s’était plaint que les « propagateurs de lumière » aient dépossédé le prolétariat de son royaume des cieux sans lui donner rien en échange : si, précisément, on peut lui donner quelque chose en échange, il suffit d’organiser la société. Fugères parle.

Je vis alors le lettré écouter de toutes ses oreilles, surpris, puis charmé. De la littérature, l’ouvrier en vint à la politique, et de façon à confondre ministre et roi. Enfin, il arriva au socialisme. Le lettré écoutait toujours de plus en plus béat. Il recevait la foi. Décidément, l’ouvrier avait le verbe et donnait la lumière. Discutant théorie et pratique, les divers systèmes à la mode, saint-simonisme, fouriérisme, comtisme tous les ismes du jour, il traita à fond les questions économiques les plus ardues, matière première, main-d’œuvre, crédit, produit, salaire, échange, circulation et distribution, capital et travail associés ou opposés, tous les problèmes de la science sociale, sans esprit de secte, avec le génie du philosophe, la passion du tribun, la raison de l’homme d’État et le bon sens de l’ouvrier, terminant par les misères du peuple avec une charité d’apôtre, une foi de prophète et une espérance de martyr; si bien qu’à la fin de ce prodigieux discours Eugène Sue, comme illuminé de rayons et d’éclairs, se leva et s’écria : «  Je suis socialiste! »

Qu’il y ait encore de la boutade, voire du paradoxe élégant dans le cri d’Arthur, et que la reconnaissante euphorie qui suit les repas succulents y soit pour quelque chose, je le crois. Les rayons et les éclairs sont ajoutés par Pyat. Je ne pense pas que Sue, rue Basse-du-Rempart, ait été renversé par des fulgurations comme Paul sur le chemin de Damas. Mais s’il n’y a pas eu vision comparable à la vision de Claudel à Notre-Dame, il y a eu révélation. La révélation du chien au chasseur, précise Pyat.

J’ai fait lever un lièvre, vous le tirerez : vous tirez mieux que moi. Mais ne perdez pas votre poudre. Jusqu’ici vous ne voyez guère qu’un monde mort, le noble, ou mourant, le bourgeois. C’est le passé, ou au plus, le présent qui passe. Je vous montre le monde qui vient, l’avenir, le peuple. La vie est là. L’art doit descendre ou plutôt monter là. Depuis 1789, le peuple est souverain. Son règne arrive, et l’art est toujours parallèle au droit.

Fugères a tout simplement appris à Sue des choses que Sue — fort excusable, on n’apprend pas ces choses chez Tortoni — ne savait pas. Il les avait déjà entendu dire chez Marie d’Agoult, ou lors des quelques discussions sérieuses qu’il avait pu avoir avec Victor Schoelcher ou Pyat : pareils propos participaient encore de la conversation mondaine, du bavardage parisien; il était bien différent de les tenir de la bouche d’un ouvrier, et cela au cours d’une soirée dépaysante, une soirée où le complexe d’infériorité qui pouvait gêner Sue dans les beaux salons avait cédé la place à un complexe de supériorité qui facilitait les échanges, la chaleur humaine; Sue ne se tenait pas sur ses gardes. Bref cet épateur d’épiciers a été épaté. Et cette surprise a été le premier choc ébranlant l’élégant mais instable échafaudage qu’était alors la vie intérieure de Sue."  

 
 

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26/10/2012

"The nurseryman glanced over his shoulder"

"Roland pulled out a hundred note and a fifty. « How about it — with the cage ? »

The nurseryman glanced over his shoulder, as if Roland’s mother might interfere. « If he bites, stick an onion at him. He won’t bite you after he bites into an onion. »

Margaret Lemoinnier was surprised and annoyed that Roland had bought a ferret. « You’ll have to keep the cage in the garden. You mustn’t take it in the house. »

Antoine said nothing, but his pink-white face took on a more sour expression than usual. He put lots of newspaper on the back seat of the Jaguar so that the cage would not touch the leather upholstery."

 

"Roland sortit un billet de cent francs et un de cinquante. « Qu’en dites-vous… avec la cage ? »

Le pépiniériste jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, comme si la mère de Roland risquait d’intervenir. « S’il mord, collez-lui un oignon sur le museau. Il ne vous mordra plus après avoir mordu dans un oignon. »

Margaret Lemoinnier fut surprise et ennuyée de voir que Roland avait acheté un furet. « Il faudra laisser la cage dans le jardin. Tu ne dois pas l’amener dans la maison. »

Antoine ne répondit pas, mais son visage d’un rose pâle prit une expression plus revêche que de coutume. Il entassa des journaux sur le siège arrière de la jaguar, afin que la cage n’en abîme pas le cuir."

Patricia Highsmith Harry : A Ferret ; Harry, furet

 

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25/10/2012

Critique de critique

À mes heures je suis critique de critique. Cette critique de Pierre Murat à propos du film Amour de Haneke, j'aime, un vrai coup de coeur pour elle. Nul besoin d'avoir vu le film pour apprécier ce qu'en dit Pierre Murat. Étrange, mais c'est ainsi. La voici :

"Quand Ingmar Bergman, jadis, notamment dans Gris et chuchotements, montrait interminablement les hurlements de douleur d’une mourante, il avait un but : fustiger, face à l’importance de chaque vie, l’assourdissant silence de Dieu, Michael Haneke filme, lui aussi, des plaintes et des gémissements, mais, pas un instant, on ne comprend pourquoi. La spiritualité est étrangère à son œuvre. Et l’indulgence, aussi : exalter les êtres humains jusque dans leurs petitesses pour mieux révéler leur grandeur, ce n’est pas son truc. À quoi peut bien servir alors cet Amour qui en est si dépourvu ? Rappeler aux distraits et aux inconscients qu’avant de s’en aller sous terre nourrir les vers, ils finiront leur vie en bavoir et couche-culotte ? C’est ça, son film ? Cette banalité ? Cette évidence ? Mais tout le monde sait ça, tout le monde le redoute, pas besoin qu’on nous le rappelle avec tant de froideur et d’insensibilité.

Bien sûr que Haneke a du talent : Benny’s Video, autrefois, Le Ruban blanc, récemment, l’ont prouvé. Seulement voilà : c’est un sombre. Un sévère (Cioran, à côté, c’est Feydeau). Un moraliste moralisateur, donneur de leçons angoissantes. Ses films, on les suit la peur au ventre, tassé dans son fauteuil, en se demandant, à chaque instant, si on supportera jusqu’au bout son sadisme. Et si oui, pourquoi… En fait, Haneke aurait tout pour égaler Bergman. Il lui manque seulement la compassion, qu’il remplace par de la rigueur. Mais la rigueur comme la sensiblerie, quand elles sont exacerbées, c’est de la pure complaisance." Pierre Murat  Télérama p.55 

 

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