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31/10/2012

L'auteur

L'auteur de Eugène Sue et le fantastique de la revue Europe est Roger Bozzetto. Un site le concernant, vous y trouverez en bas ce page un dictionnaire spécialisé. Bonne lecture : http://rernould.perso.neuf.fr/IMAGINAIRE/BozzEtat.html 

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30/10/2012

"Rigolette en un tournemain y trouvera de quoi installer les Morel"

Rigolette, Coeur Saignant, Le Chourineur, Fleur-de-Marie, la Chouette, Bras Rouge, la Louve... quel univers! Dans la note précédente, j'ai ajouté la suite de l'extrait de la critique littéraire d'Eugène Sue, tirée de la revue littéraire mensuelle Europe,  datant de l'hiver 1982. Analyse passionnante.

03:51 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (0)

Eugène Sue - Revue littéraire Europe novembre décembre 1982

Le fantastique des Mystères de Paris

"Il nous paraît remarquable que Sue, écrivant les premières lignes de cet ouvrage ne sache où il va, ni ce qu’il souhaite faire ; qu’il n’ait aucune idée de la valeur de ce qu’il découvre, alors qu’il est en train d’écrire, comme en témoigne sa lettre à Legouvé. «  Mon bon Ernest, je vous envoie je ne sais quoi. Lisez, c’est peut-être bête comme un chou. » Comme son héros, Rodolphe, il s’aventure en plein inconnu, loin de ses bases, peut-être pour y rencontrer dans la « pourriture sociale » cette « chose au milieu de laquelle vous vivez, et que vous ne voyez pas et qui vous porte… le peuple » En prévision de cette exploration, son héros a appris à "dévider le char" (1,1) et Sue va nous traduire, en s’excusant dans ses notes de rapporter ces sortes de bruits humains qu’émettent, pour se comprendre entre eux, les "barbares" (1,1) qui nous côtoient. Cette traduction est la première phase d’une  "adapatation" du lecteur à ce monde neuf, l’une des ruses par lesquelles Sue va nous permettre de voir cet invisible qui nous cerne.

L’analyse du Fantastique des Mystères de Paris passe par un examen du rôle de Rodolphe, moins évident qu’on a voulu le croire. En effet Sue ne fait pas de son héros un picaro, venu des zones de l’en-deçà porter un regard madré sur les valeurs et les comportements de la société bourgeoise, pas plus qu’il ne s’en sert pour confiner notre regard, dans le cadre d’un vague exotisme, sur la "jungle des villes" avec le point de vue d’Asmodée. Ce seraient là des regards assurés, alors que celui de Rodolphe ne l’est pas, il varie, il voit mal, et dans le cadre de sa "mission" est annulée toute possibilité réelle de picaresque ou de pittoresque. Son projet est tout autre, même s’il est, pour l’auteur, mal défini au départ. Sue ignore que, lançant son héros à la recherche d’une personne disparue, il va lui permettre de (nous) découvrir un monde enfoui, et par là lui donner le droit de cité en littérature. Comment ? Son héros va se heurter aux rugosités de cet "autre monde", s’y blesser. Aussi va-t-il tenter de lui imposer un ordre moins sauvage (même s’il emploie pour ce faire les moyens de la sauvagerie) ; de le ranger sous sa loi (en employant son arbitraire propre)."

 suite de ces lignes, ici,  demain.

 Europe - revue littéraire mensuelle - Eugène SUE - novembre décembre 1982 (page 106)

30 octobre 2012, voici la suite :

"Ainsi s’expliquent les punitions qu’il inflige : celle du Maître d’école aveuglé (1,21) ou celle de Ferrand. Dans les deux cas, cette violence, Rodolphe la justifie par la notion de « bien de l’humanité », elle est présentée comme nécessaire et il n’apparaît pas (malgré quelques traits liés à son expression) comme tyrannique, puisqu’il est le Justicier dans un monde que la loi « veut ignorer » (III,19). Ce monde qu’il nous présente comme « hors la loi » est d’abord pressenti comme chaos, ressac, grouillement : ce n’est que peu à peu - et très localement - que le héros le fait entrer dans le cadre de sa loi. Et que, parallèlement, Sue le fait surgir de l’innommé lui permettant une certaine émergence dans l’ordre du représentable. Mais le parallèle tourne court, avec l’échec du héros. Rodolphe désire poser sur l’ensemble social (y compris les bas-fonds) un regard qui l’harmonise, généralisant l’utopie champêtre et ponctuelle qu’est la ferme de Bouqueval, qu’il a créée, et qu’il fait surgir en magicien (1,10) sous les yeux de Fleur-de-Marie, qui y voit « quelque chose de surnaturel » (1,11). Mais, pour que l’œuvre de Sue demeure crédible, ce désir de Rodolphe ne peut se réaliser; et pour garder son statut de justicier il doit se retirer dans sa principauté idyllique de Gerolstein, en n’avouant pas cet échec. Quelles en sont les causes ? Cet échec est d’abord lié à la résistance qu’opposent les individus : Tortillard « attiré par la hideur et la méchanceté comme d’autres par la beauté » (1,17), le Squelette qui se rit de tout, la Martial, une révoltée totale : «  quand ma tête tombera elle grimacera de rage et de haine » (X,1) dit-elle sur les marches de l’échafaud. Ceux-là sont irrécupérables : le Justicier a beau passer, ils demeurent tels. Cet échec est dû aussi à la résistance du système. Rigolette a beau insister, dans sa lettre datée de Bouqueval, sur le fait que « la Banque des travailleurs sans ouvrage et des prêts gratuits » fonctionne à merveille, que le « bien être se répand dans le quartier » (Epilogue, chap.4), Marx a bien raison de noter qu’il s’agit là de naïvetés, que les seules subventions nécessaires pour Bouqueval nécessiteraient « la bourse de Fortunatus ».  Loin de changer quoi que ce soit au système, Rodolphe ne peut que se constituer comme le signale Rigolette « une famille de reconnaissants » pour qui il est une Providence, ou un « dieu » comme le dit le Chourineur. Malgré les apparences, Rodolphe reste dans les limites de la philanthropie, ce qui justifie son retrait. Mais cet échec est aussi dû au fait que le regard de Rodolphe n’est pas posé d’une façon nette. Lui-même est insaisissable : trop beau pour un homme, ange, démon, dieu, noble, tyrannique, justicier, coléreux, passionné — ce sont là les qualificatifs qui le dépeignent — il traverse tous les milieux en vrai caméléon, se justifiant ici par le désir de faire le bien, là par le « piquant » qu’il trouve à ses métamorphoses. Aucune élaboration psychologique ne peut rendre compte de Rodolphe comme « caractère » : il est le truchement d’un regard ambigu posé sur ce monde qu’il nous découvre, il est la métaphore de l’impossibilité de se situer hors du champ du désir variable. Et il cesse d’exister dès qu’il réintègre son « idéalité » de Prince. En ce sens, il est lui-même un personnage fantastique. En apparence, il permet par ses "transgressions sociales" un point de vue unifiant sur la société dans son ensemble. Mais par son instabilité, son "insituabilité", il construit ce point unifiant comme strictement imaginaire, illusoire, en ce qu’il est le seul à pouvoir en occuper le lieu. Dès qu’il systématise son désir en théorie, on tombe dans l’utopie philanthropique.

Cependant, il serait absurde d’interpréter l’échec de Rodolphe comme celui du romancier : le héros n’est qu’un moyen ; la mise en scène de son échec, en problématisant les données, permet à Sue d’éviter deux écueils. Celui de la fade utopie, celui de la fascination par l’exotisme des bas-fonds. Cet échec du héros est le moyen d’une critique de la volonté d’idéaliser ; il rend nécessaire une rhétorique du compromis, du biais, du fantastique, afin de permettre que l’innommé, le monde des "classes laborieuses" puisse être représenté, même si cela ne se fait encore que dans une lumière sulfureuse. Ce monde va être perçu par un regard instable et mal assuré, on l’a dit. Il apparaîtra dans le regard de Rodolphe mais aussi en dehors de lui, si ce n’est à son insu. Par Rodolphe nous affrontons les monstres sociaux que sont le Maître d’Ecole, Bras Rouge, la Chouette et son sadisme. Nous visitons avec lui leurs tanières : les ruelles nocturnes, le Tapis Franc, le puits hanté de rats de « Cœur Saignant » où Rodolphe se trouve réduit à quelques mouvements convulsifs de bête à l’agonie (1,18). Il nous montre aussi le mouroir des Morel « au sol d’une couleur sans nom, infect, gluant et semé çà et là de débris de paille pourrie » (III,18) bien qu’il soit incapable d’en rendre "l’aspect sinistre". Mais le regard de Rodolphe nous permet de percevoir là où lui-même est atteint d’une étrange cécité. Par exemple sur le marché du Temple, qui nous met en contact avec l’économie sous-jacente de la cité. Là, "la plus infime rognure d’étoffe quelconque, le plus mince débris de fer, de cuivre, de fonte d’acier y trouve son vendeur et son acheteur » (IV,5), lui n’y verra rien, que "des choses sans nom, sans forme et sans couleur… des semelles fossiles, des squelettes de chaussures, des objets bizarres, fantastiques". En revanche, Rigolette, en un tournemain y trouvera de quoi installer les Morel : Rodolphe permet, alors même qu’il y est aveugle, que le lecteur perçoive la vie populaire. Cette réalité du peuple est présentée aussi alors qu’il est absent ; dans les prisons, dans l’île des Naufrageurs, chez Ferrand ; ou dans ce qui est évoqué par les récits de la Louve, du Chourineur ou de Fleur-de-Marie. Mais tout ceci ne prend un sens que par rapport à la difficulté éprouvée par Rodolphe à se représenter ce qui est sous ses yeux et qui lui échappe en partie, devenant en quelque sorte une réalité fantastique."

 Europe - revue littéraire mensuelle - Eugène Sue (novembre-décembre 1982) P. 108-109             

 

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