08/05/2009
Cours d'eau
Tout à l’heure comme je marchais sur le chemin du halage, j’ai entendu le vol des cygnes avant de les apercevoir tous les deux, côte à côte, à quelques mètres derrière moi. Dans l’air calme les claquements d’ailes des deux oiseaux produisaient un son métallique assez fort, comme celui d’un petit engin à hélice. Ils passèrent à toute vitesse, dégageant une belle énergie, et survolèrent en un rien de temps la péniche Norway qui filait en sens inverse. Ce petit monde du canal, qui semble presque s’ignorer, se regarde en fait du coin de l’œil, se salue souvent. Les oiseaux avaient sûrement repéré la seule maison des environs. La dame qui en sortait, ils en avaient probablement fait la maîtresse des lieux. N’étant pas itinérante, elle jardinait ; et ce qui participe de cette façon à l’écosystème, ne pouvait leur échapper. J’admirais les iris, les lilas, les rosiers, mais les cygnes n’étaient déjà plus là.
Un kilomètre plus loin, des maisons se succédaient bien en retrait du chemin, entourées de pelouses sur lesquelles on pouvait souvent voir de petits toboggans et autres jeux. Néanmoins, il y avait de longues rangées d’arbres, dont certaines, de hauts peupliers. Ils vivaient en osmose ici avec la faune et les hommes qui semblaient tout petits sous les nuages.
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07/05/2009
Le candélabre de fer
Extrait du livre Contes Derviches, de Idries Shah
"Il était une fois une pauvre veuve qui regardait un jour par la fenêtre de sa maison lorsqu’elle vit un humble derviche s’avancer sur la route. Il paraissait las, à bout de force, et sa robe rapiécée était couverte de poussière. Il avait manifestement besoin d’aide.
Se précipitant dans la rue, la vieille dame lui cria : « Noble derviche, je sais que tu es un des Élus mais il y a sûrement des occasions où même une personne aussi insignifiante que moi peut être utile aux Chercheurs. Viens te reposer chez moi car n’est-il pas dit : « Quiconque aide les Amis sera aidé à son tour et quiconque contrarie leurs desseins verra ses desseins contrariés, bien qu’on ne sache jamais quand et comment. »
— Merci, bonne dame ", dit le derviche. Et il entra dans la chaumière. Après quelques jours, il était dispos et tout à fait rétabli.
Or cette femme avait un fils du nom d’Abdullah qui avait eu peu d’occasions de progresser dans la vie : il avait passé le plus clair de son existence à couper du bois pour le vendre au marché du pays et n’avait pu ainsi élargir le champ de ses expériences au point de parvenir à se tirer d’affaire ou de pouvoir aider sa mère.
« Mon enfant, lui dit le derviche, je suis un homme de savoir, si démuni que je puisse te paraître. Viens, sois mon compagnon, et je te ferai partager de magnifiques occasions. Si toutefois ta mère y consent. "
La mère n’était que trop heureuse de permettre à son fils de voyager en compagnie du sage. Et ils se mirent en route.
Après avoir traversé de nombreux pays et enduré ensemble bien des épreuves, le derviche dit à Abdullah : « Abdullah, nous voici au terme de notre voyage. Je vais célébrer certains rites. S’ils sont favorablement reçus, ils feront s’entrouvrir la terre. Elle nous révélera ce qu’il n’est donné qu’à peu d’hommes de voir : un trésor caché il y a bien des années en ce lieu. As-tu peur ? "
Abdullah donna son consentement et jura de rester loyal quoi qu’il arrive.
Le derviche exécuta alors d’étranges mouvements et murmura certains sons et Abdullah se joignit à lui et la terre s’ouvrit.
« Écoute-moi bien, Abdullah, dit alors le derviche, prête-moi une entière attention. Tu vas descendre dans la caverne qui s’ouvre à nos pieds. Ta tâche consiste à prendre possession d’un candélabre de fer. Avant de l’atteindre, tu verras des trésors dont il a été rarement donné aux hommes de voir la pareille. Ignore-les, car seul le candélabre de fer est ton but et l’objet de ta quête. Dès que tu l’auras trouvé, rapporte-le ici . »
Abdullah descendit dans la grotte au trésor et effectivement il y trouva tant de joyaux resplendissants, tant de vaisselle d’or, de trésors étonnants qu’on ne peut les décrire car les mots manquent. Et il était stupéfié. Oubliant les paroles du derviche, il s’emplit les bras du butin le plus éclatant.
Enfin il vit le candélabre. Pensant qu’il ferait aussi bien de le rapporter au derviche et qu’il pourrait toujours cacher assez d’or pour lui dans ses vastes manches, il le ramassa et remonta l’escalier qui le ramenait à la surface. Mais quand il se retrouva au grand jour, il s’aperçut qu’il était tout près de la chaumière de sa mère. Quant au derviche, il avait disparu.
Dès qu’il essaya de montrer l’or et les bijoux à sa mère, ils semblèrent fondre et s’évanouir. Il ne resta plus que le candélabre. Abdullah l’examina : il avait douze branches ; dans l’une, il alluma une bougie. Aussitôt, il crut voir apparaître une silhouette qui rappelait celle d’un derviche. L’apparition tournoya un instant, posa une petite pièce sur le sol et disparut.
Abdullah alluma alors douze bougies. Douze derviches se matérialisèrent, tournèrent en cadence pendant une heure et lui jetèrent douze pièces avant de disparaître.
Quand ils furent revenus de leur stupeur, Abdullah et sa mère se rendirent compte qu’ils pouvaient fort bien vivre du produit du candélabre car ils découvrirent aussi qu’ils pouvaient obtenir chaque jour douze pièces d’argent de " la danse des derviches ".
Mais il ne se passa pas longtemps avant qu’Abdullah ne se reprenne à songer aux incalculables richesses qu’il avait entrevues dans la caverne souterraine, et il décida de voir s’il pouvait trouver une autre occasion de faire fortune.
Il chercha encore et encore mais il ne parvint pas à retrouver l’entrée de la caverne. Désormais, le désir d’être riche était devenu une obsession qui ne le quittait plus. Alors il se mit en route et voyagea de par le monde jusqu’à ce qu’il arrive un jour aux portes d’un palais où vivait le derviche misérable que sa mère avait découvert, chancelant, près de chez elle.
Cela faisait des mois et des mois qu’il cherchait… Abdullah se sentit tout heureux lorsqu’on le conduisit auprès du derviche. Il était entouré d’une horde de disciples et royalement vêtu.
« O ingrat ! Dit le derviche, je vais te montrer maintenant ce que le candélabre peut faire en vérité. « Il prit un bâton, en frappa le candélabre : chaque branche se transforma en un trésor plus vaste que tout ce que le jeune homme avait pu voir dans la caverne. Le derviche fit emporter l‘or, l’argent et les bijoux pour qu’ils fussent distribués à des gens méritants et voilà qu’à nouveau on put voir le candélabre, dressant ses branches, prêt à resservir.
Le derviche se tourna vers le jeune homme : « Puisqu’on ne peut compter sur toi pour faire les choses correctement et parce que tu as trahi la confiance que j’avais mise en toi, il te faut me quitter. Mais puisque tu as malgré tout rapporté le candélabre, tu peux prendre avec toi un chameau et sa charge d’or. »
Abdullah passa la nuit au palais et, au petit matin, il réussit à cacher le candélabre dans le bât du chameau. Sitôt rentré chez lui, il alluma les bougies et frappa le candélabre de son bâton.
Mais il n’avait toujours pas appris comment la magie opérait : au lieu d’utiliser la main droite pour tenir le bâton, il s’était servi de la gauche. Les douze derviches apparurent immédiatement, prirent l’or et les bijoux, sellèrent le chameau, saisirent le candélabre et disparurent.
La situation d’Abdullah était pire qu’auparavant car il gardait toujours le souvenir de son inaptitude, de son ingratitude et de son forfait. Et il ne pouvait oublier que la richesse avait été à portée de sa main. Mais il n’eut plus jamais d’autres occasions et jamais plus son esprit ne fut tout à fait tranquille."
***
"Ce conte a été conçu dans une école soufi comme « exercice de développement « à l’adresse d’un certain nombre d’étudiants considérés comme trop terre-à-terre. Il fait allusion d’une façon déguisée à certains exercices derviches et indique que ceux qui utilisent des procédés mystiques sans avoir triomphé de certaines tendances personnelles peuvent se nuire, ou travailler pour rien."
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06/05/2009
Les lilas
Je rentrais d’une marche à pieds quand j'entendis un cri sauvage provenant d’une voiture. En un dixième de seconde, la vitre avant côté passager se baissa pour laisser passer la main de celui qui venait de hurler. Il me faisait signe bonjour et m’adressa un sourire dont la douceur était aussi surprenante que la sauvagerie du cri qu’il venait de pousser. Sous l’effet de la surprise, je me vis en train de lui sourire à mon tour, chaleureusement, comme on rend une poignée de main.
Aujourd’hui je ne suis pas rentrée à la maison en ligne directe comme cette fois-là, j’ai bifurqué vers les allées parallèles, bordées de haies entrecoupées d’arbres et arbustes ; elles enserrent un parc étroit, lieu où le canal coulait, avant d’être recouvert d’un manteau de verdure sur un petit kilomètre de son passage en centre-ville. J’ai coupé vers ce lieu, pour sentir les lilas, et autres parfums forts de seringats que le vent du soir mélange. J’ai respiré ce cocktail d’odeurs avec la même reconnaissance éprouvée envers les sourires dans la tempête. De ceux qui vous demandent de les comprendre et qui vous donnent beaucoup.
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