Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/10/2013

Respiration

Dans toutes les religions il y a des choses qui me paraissent à la limite de la mesquinerie, tout au moins à première vue ; les impressions comptent pour beaucoup dans l’idée que l’on se fait de quelque chose, bien que comme chacun sait, il ne faille pas toujours s’y fier. Cependant les religions dégagent aussi du positif à mon sens. Le texte mis en ligne précédemment parle de certains traits du catholicisme, catholicisme que je connais bien pour avoir été dévote jusque l’âge de douze ans. Cette prose relève de la poésie également parce qu’elle évoque une figure pour moi hautement poétique, qui est celle de la madone. L’auteur, du fait sûrement que ses personnages soient dans sa peau, écrit Sainte vierge. En ce qui me concerne, l’image de mère candide et sublime à la fois de Myriam prévaut nettement sur la croyance en sa virginité, qui n’a à mes yeux pas d'importance. Projection des dévots sur leur sainte qui devient du même coup leur mère spirituelle en raison des qualités qu’ils lui prêtent. En dépit du fils assassiné, ils l’imaginent bien au-delà de la vengeance. Ce qui est assez impressionnant. Projection en effet de leur propre aspiration au sublime sur elle, susceptible d’élever n’importe qui jusque là où l’amour le porte. Autre possibilité qui tient de la croyance établie, foi à l’état pur, Marie mère de Jésus, est sublime en soi, sainte, et c’est elle qui porte. Elle est seule capable de cette miséricorde envers les misérables qui ne rêvent que de règlements de compte ou crimes. Tellement en mesure d’une telle miséricorde que des miracles peuvent parfois se produire au gré de la connexion des croyants avec elle.

Pour revenir aux choses qui me paraissent à la limite de la mesquinerie dans les religions. Dans le catholicisme, j’ai toujours été dérangée, bien que je ne sois pas plus vampire que diablesse, par la vue du crucifix. Hélas, j’ai été « servie » si l’on peut dire, puisque jadis, lorsque mes parents ont acheté un coin de terrain pourtant pas bien grand, ils ont été obligés ce faisant, d’acheter le calvaire qui faisait partie du lot. J’ai donc dû, jusque mes dix-huit ans, supporter cette vision qui me faisait sinon baisser la tête,  regarder la croix avec une contriction bizarre de fausse coupable en voie d'exacerbation, d'exaspération durable pourrais-je même affirmer. Quand je rends visite à mes parents, je détourne  les yeux de cette croix imposante de bien presque deux mètres cinquante de haut, perchée, qui plus est, sur son monticule de ciment. Elles sont nombreuses dans le département et les voyant, on peut se demander en toute logique si les catholiques croient vraiment en la résurrection. J'avais une amie à l'époque qui, sarcastique, m'a avoué un jour que chez elle, on nous appelait, mes sœurs  et moi, "les filles du calvaire", une blague de catho quoi. Je confesse que là encore une pointe bien sentie d'exaspération planta son petit clou en moi.

  Je suis, par voie de conséquence,  comme soulagée de voir bouddha représenté non pas torturé, mais au contraire reposé, en paix. Mais, car il y a toujours un - mais - pour moi en presque tout, le concept du karma est ce qui ne me paraît pas vraiment sympathique dans le bouddhisme car il tend une perche pour se détourner des autres lorsqu'une tuile leur tombe méchamment dessus. Comme si chaque religion avait ses lacunes et d’autres côtés qui mettent en poésie, autrement dit pour moi, en respiration. 

07:12 Publié dans Note | Lien permanent | Commentaires (0)

16/10/2013

Et un groupe de femmes veillait sur les rochers

"Cependant la cloche, dans la chapelle, hélait encore plaintivement car il manquait trois barques, et un groupe de femmes veillait sur les rochers.

Mais avant minuit deux d’entre elles revinrent et, comme l’équipage ayant ramassé les filets, se dirigeait vers les maisons, une vieille lui barra le chemin.

— « Je Cherche » est-elle loin ?— demanda-t-elle tout bas.

— Savons pas, la mère. Tout de suite après midi le brouillard et le vent nous ont saisis. Nous nous sommes perdus. Peut-être qu’elle vient derrière nous, peut-être qu’elle s’est égarée ou ben qu’elle attend près des Sirènes que le brouillard soit tombé. Le temps est mauvais ; au large le flot vient d’en bas, le vent est court et le brouillard étouffe ; c’est seulement près des rochers que nous avons entendu les cloches. Ayez pas peur, y reviendront au matin. Bonne nuit, mère Caradec !

Elle ne répondit pas, elle écoutait l’océan.

Depuis longtemps déjà, le rivage s’était tu ; les derniers paniers de poissons avaient été enlevés des barques, quelque part la dernière porte s’était refermée, le dernier cabaret était clos et la dernière fenêtre s’était éteinte ; la mère Caradec veillait encore. Elle attendait son fils et sa fière « Je Cherche ». Elle attendait.

La nuit retomba silencieuse, obscure, humide. Les brumes enveloppaient le monde de leurs voiles noirs, mouillés, sur lesquels de temps en temps brillaient les éclats argentés de lumières lointaines. L’océan s’effondrait lourdement dans l’obscurité, les eaux s’amassaient ; on entendait la foule tumultueuse des vagues sortir des profondeurs et éclabousser les bords avec une plainte. La lutte sauvage, acharnée, avec la terre, recommençait.

Le village dormait, les maisonnettes en granit s’étaient assoupies, et les ruelles étroites, les routes interminables reposaient inertes au fond de la nuit.

Dans la chapelle déserte, embrumée, une lampe brûlait et parmi les reflets tremblants, dorés, émergeait, spectrale, la figure violette de la Sainte-Vierge et ses yeux immobiles regardaient à travers le brouillard, à travers le monde entier.

Assise sur le seuil, la mère Caradec égrenait un chapelet.

Patiemment elle attendait son fils et sa « Je Cherche ».

La pluie filtrait sans cesse et la frappait à la tête avec un murmure monotone assoupissant. Parfois les lames du flux crachaient sur elle une immonde écume salée ; mais elle ne sentait pas le froid ; absorbée dans sa prière elle ne savait ce qui se passait autour d’elle.

Elle disait son chapelet, pesant longtemps chaque grain, murmurant chaque mot avec un infini amour ; cette prière la défendait contre l’inquiétude et la frayeur dont les serpents flamboyants enveloppaient son cœur en des étreintes étouffantes. Par moments elle oubliait la prière, le chapelet s’échappait de ses mains et ses yeux se dirigeaient, craintifs, dans l’obscurité menaçante et lugubre.

Elle cherchait son fils là bas et ne trouvait que l’effroi, car, venus des brumes, les terribles fantômes du passé entouraient son âme.

Ils éveillèrent en elle les anciennes minutes maudites et douloureuses.

— Ayez pitié de moi ô Mère de miséricorde ! — murmurait-elle suppliante, revenant dans le cercle des reflets dorés. Et, comme un oison abandonné, elle se blottissait confiante aux pieds de la statue sacrée ; elle voulait s’enfuir loin de ces fantômes lugubres ; mais les anciennes douleurs, les anciens désespoirs, comme des cadavres, se levaient des tombes de l’oubli."

 

Intégral : http://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Reymont%20-...

04:53 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0)

15/10/2013

Pas une voile ne s'inclinait sur l'onde grise

"Pas une voile ne s’inclinait sur l’onde grise, pas une traînée de fumée ne se dessinait, pas un clapotis ne scintillait dans l’espace.

Et les sabots claquetaient sans cesse. Hors des ruelles étroites, des maisonnettes en granit, des routes blanches, les femmes s’élançaient ; elles allaient par deux, par trois, par quatre ; elles tricotaient des bas et s’avançaient fixant les lointains gris, elles allaient rapides ; les cornettes tremblaient et les rubans blancs flottaient derrière elles.

Elles grimpaient sur les pentes abruptes, sur les masses élevées de rochers jetés au loin dans la mer par la main des cyclopes, vers la chapelle svelte, poussée entre les hauts blocs de granit étagés, et regardaient le désert de l’océan, écoutant le calme avec crainte.

Puis elles s’assirent en rang au bord du précipice comme des oiseaux de deuil à têtes blanches ; elles tricotaient des bas, les aiguilles scintillaient entre leurs mains et parfois un murmure s’échappait de leurs lèvres pâlies. Assises immobiles, elles fixaient les flots silencieux, opaques, et leurs âmes glissaient sur les profondeurs de l’horizon, planaient au-dessus des sombres gouffres déserts, fouillaient les eaux livides, appelant de leurs voix muettes et douloureuses.

Pas une voile n’émergeait des abîmes et le silence ne répondit par aucun clapotis de rames.

Vers les cœurs en détresse s’avançait lourdement l’Inconnu.

Alentour quelque chose d’inconcevable s’accomplissait.

C’était comme si soudain le ciel se fût effondré ; les corps gigantesques des nuages fondirent sur la terre et les eaux, en masses monstrueuses de brumes grises.

Un insondable tourbillon s’éleva, ouragan muet de poussière et, silencieusement, les brouillards couvrirent le monde. Ils s’élevaient des eaux en trombe vacillante, montaient de terre, emmêlés, et les inépuisables cratères du ciel soufflaient des colonnes de fumée pâle qui rampait lentement, jaillissait en fontaines, s’épandait de plus en plus largement et coulait sans trêve comme une mer écumante de grisaille et de tristesse.

Les femmes se hélaient entre elles et, errant parmi les tourbillons, s’assemblaient sous la chapelle, se blottissaient contre les murs, s’asseyaient sur le seuil ; leurs aiguilles scintillaient toujours et elles regardaient le monde avec une inquiétude croissante."

 

Intégral :

http://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Reymont%20-...

20:53 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)