27/10/2013
Implication
Un auteur sérieux serait à mon sens celui qui écrit parce qu'il a à dire quelque chose qui touche pour lui à l'essentiel au moment où il l'exprime, il y parvient plus ou moins, sa prose l'emporte j'imagine au-delà de ce qu'il voulait dire, une dialectique s'engage ou pas. Cette implication est forcément difficile, au départ du moins, et sûrement libératrice à la fin de par ce qu'elle a proposé d'expérience humaine en partage. Certains auteurs inventent des situations où leurs témoignages se distillent en même temps que leur philosophie de la vie, d'autres se basent sur leur mémoire qu'ils considèrent garante de la vérité cherchée à travers elle. Il y aura cohérence de toute façon s'ils ne se sont pas mentis dans leurs intentions. De mon point de vue de lectrice tout témoignage vaut la peine d'être lu. Celui de Maurice Chapelan comme celui de Bernanos. Pour l'heure voici ce que Maurice Chapelan écrit de sa façon de vivre dans le contexte religieux que ses parents lui imposaient : extrait page 98 de Mémoires d'un voyou paru chez Grasset :
"Pourquoi avoir choisi Lourdes, surtout au mois d'Août, en pleines saisons de pèlerinages, pour les vacances sanitaires d'un enfant ? Ma mère, très superstitieuse, avait dû attraper le culte de la Vierge, je ne sais avec qui ni comment. Il ne m'étonnerait pas qu'elle lui adressât alors des prières de ce genre : "Bonne Sainte Vierge, faites que je reste jeune et belle." Oui, c'est cela : elle voulut tâter de Lourdes contre les rides. Quant à moi, un triste miracle m'y attendait. Après deux ou trois jours, je commençai d'étouffer pendant la nuit. Un médecin du cru diagnostiqua de l'emphysème, m'ordonna de boire chaud à table et l'application de ventouses. Ces premières crises, fort bénignes par rapport à ce que l'asthme me réservait, m'angoissaient affreusement, à supposer que j'allais mourir.
Le souvenir de cette angoisse, habitée par la trouille de l'enfer, a effacé pour moi toutes les autres, sauf l'image de la grotte où les innombrables béquilles appendues me donnèrent à réfléchir. A vingt ans, en lisant le Jardin d'Epicure, je retrouvais sous la plume d'Anatole France la réflexion que je m'étais faite : " Une seule jambe de bois prouverait davantage." je me suis dit depuis que nous avions tort tous les deux, car elle ne prouverait rien de plus : il ne saurait y avoir de miracle puisque tout, au monde, est miracle."
19:37 Publié dans Lecture, Note | Lien permanent | Commentaires (0)
Jobelins et uranistes
"La querelle des jobelins et des uranistes est une querelle littéraire survenue en 1648.
Dans la société française du XVIIe siècle, le moindre incident était l’occasion de querelles littéraires, ou, comme on disait, de cabales. Celle des Jobelins et des Uranistes (ou Uraniens ou encore Uranins) est l’une des plus fameuses par le bruit qu’elle fit et par ce qu’elle mit d’humeur poétique en mouvement.
Elle eut pour sujet deux sonnets entre lesquels se partagèrent la ville et la cour. L’un était le sonnet d’Uranie, par Voiture et l’autre le sonnet de Job, par Benserade. Les partis prirent leur nom de l’œuvre qui avait leur préférence."
Wikipedia
17:01 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)
Mémoire d'un voyou
"Les dortoirs, étaient installés sous les combles. La lumière y pénétrait largement de toute part, car les fenêtres mansardées y étaient nombreuses. Une allée centrale partageait les six rangées de lits, celles contre les murs réservées aux anciens, où les places d’angle constituaient le privilège des meilleurs élèves, des plus sages, des moins soupçonnables, ou de ceux qui paraissaient avoir la vocation. C’est pourtant sur l’une de ces couches exemplaires que j’ai surpris par hasard, un soir d’été, tout le monde en récréation et le dortoir des grands vide, le futur séminariste qui en jouissait en train d’étreindre et baisoter un garçon de la division des moyens dont la blondeur, le joli teint et des fesses qui remplissaient trop sa culotte faisaient des ravages. Le pion couchait derrière un rideau, près des cabinets.
Il y avait, à la tête de chaque lit, une petite table qui portait une cuvette minuscule et un pot à eau ; la contenance de celui-ci ne dépassait guère un litre. L’hiver, il arrivait qu’il fallût, au réveil, briser avec le manche de sa brosse à dents la pellicule de glace qui s’y était formée durant la nuit. Bien que, dans l’Aveyron, les hivers soient extrêmement rigoureux, Saint-Gabriel était dépourvu non seulement d’eau courante mais de tout moyen de chauffage à l’intention des pensionnaires. Pas le moindre poêle, sauf à l’infirmerie ; les pères et le personnel laïc pouvaient faire du feu dans leur chambre. Seule douceur permise : l’abonnement à la bouillote, contre une modeste contribution au domestique du dortoir. On se défendait du froid avec des chandails, un passe-montagne, de gros cache-nez, des mitaines à l’intérieur, des gants fourrés au-dehors. Le trousseau comportait obligatoirement des chaussons et une paire de sabots cloutés, qu’on enfilait pour sortir et dont il fallait, avant de rentrer, gratter la neige, qui sévissait de décembre à mars. Engelures et gerçures tuméfiaient les doigts, enflammaient la peau des cuisses et fendillaient celle des lèvres. Je m’aperçois aujourd’hui que nous étions des petits martyrs.
Le manque d’hygiène m’étonne encore. A peine se débarbouillait-on ; on se lavait les pieds la veille des vacances de Carnaval, de Pâques et de Pentecôte, assis par brochettes sur les bancs du réfectoire, où un garçon nous apportait de la cuisine des bassins d’eau chaude ; enfin, on prenait un bain par an, dans un établissement de la ville, la semaine de la distribution des prix. Cérémonie périlleuse au cours de laquelle les pères, chargés de notre surveillance, s’affolaient de nous savoir tout nus en train de regarder et tripoter notre corps. Le Taureau veillait lui-même, montre en main, à ce que personne ne séjournât plus de dix minutes dans cette antichambre de l’enfer. Les bons pères ne se trompaient pas : presque tout le monde s’y branlait.
Il reste à dire que les chiottes des cours de récréation étaient d’une saleté repoussante."
Maurice Chapelan Mémoire d'un voyou, Grasset, extrait page 105
09:56 Publié dans Lecture | Lien permanent | Commentaires (0)